- Le bassin du Congo a connu sa plus grande perte de forêt primaire tropicale en 2022 : une superficie d'environ 646 000 hectares, selon l’outil de surveillance forestière Global Forest Watch (GFW).
- Selon Kendie Kenmoe, gestionnaire technique pour GFW, la déforestation dans le bassin du Congo est causée par l’exploitation du bois, la production de charbon, l’exploitation minière, et l’agriculture.
- Pour préserver la forêt, des représentants de la société civile appellent à une meilleure gouvernance et à l'implication des communautés locales dans la prise de décisions.
« Le bassin du Congo a connu sa plus grande perte de forêt primaire tropicale en 2022. Cette perte est évaluée à une superficie d’environ 646 722 hectares », s’inquiète Kendie Kenmoe, gestionnaire technique du Forest Atlas du World Resources Institute (WRI) Africa lors d’un webinaire sur la déforestation dans le bassin du Congo. Au cours de cette réunion d’information qui a eu lieu le 19 octobre , il a présenté le dernier rapport du Global Forest Watch (GFW), l’outil de surveillance forestière du WRI, et les résultats ne sont pas bons.
En un an, la perte de forêt tropicale primaire a augmenté de 10 % dans le monde. Parmi les régions tropicales, le bassin du Congo enregistre de grosses pertes. Les forêts primaires sont des écosystèmes forestiers qui n’ont jamais été défrichés, exploités et déforestés ; leur biodiversité est donc préservée.
Il y a 5 ans, le bassin du Congo affichait déjà une perte d’environ 631 310 hectares de forêt primaire. La hausse peut paraître timide mais elle intervient alors que plusieurs engagements ont été pris pour préserver les forêts.
Au cours de ce webinaire, Kenmoe a choisi de se focaliser sur trois pays de la région, y compris un des deux pays qui a enregistré les pertes les plus importantes : la République démocratique du Congo (RDC).
Entre 2021 et 2022, la RDC a perdu 512 672 hectares de forêts primaires selon GFW. Les principaux moteurs de la déforestation dans la région sont l’exploitation du bois pour l’exportation comme pour la production de bois énergie, l’exploitation minière mais aussi l’agriculture.
« On observe que dans la province du Bas Uele, par exemple, les communautés pratiquent l’agriculture sur brûlis, ce qui exerce des pressions sur la forêt, alors que dans la province de la Tshopo, c’est la plantation forestière avec l’ouverture des routes par les concessionnaires qui cause la perte de forêt en 2022 », dit Kenmoe.
En regardant les pertes de forêt primaire sur les 5 dernières années, on se rend compte que cette déforestation est en légère augmentation. Pourtant, la RDC multiplie les stratégies pour réduire la déforestation. En 2012, elle a adopté la stratégie-cadre nationale REDD+, visant à stabiliser le couvert forestier à 63,5 % de la surface du pays et à le maintenir à partir de 2030. L’initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI) créée en 2015 pour financer des programmes de protection de la biodiversité forestière est son bras financier.
Ensemble, ils ont mis en place un programme national de surveillance des forêts. Leur but est d’identifier les moteurs de la déforestation et de mettre en place une politique d’aménagement du territoire pour l’endiguer. Cette politique comprend des programmes de reforestation, un travail sur la rédaction d’une loi foncière, et la mise en place de mécanismes de dénonciation pour les témoins de déforestation illégale. Pour l’illustrer, le coordinateur national REDD+ de la RDC, Hassan Assani Ongala, cite la mise en place d’une plantation d’eucalyptus dans le Nord Kivu afin que la population cesse de couper les arbres du parc national des Virunga pour fabriquer du charbon de bois.
Mais une dizaine d’années plus tard, la déforestation continue. Pour Serge Bondo, coordinateur de l’Observatoire de la Gouvernance Forestière (OGF) qui a participé au webinaire de WRI, c’est en partie à cause de la gouvernance.
« On a l’impression qu’on tourne en rond », dit-il. « Je pense que pour protéger la forêt, il faut renforcer les capacités institutionnelles, notamment le contrôle forestier. Il faut aussi impliquer les communautés pour assurer une application rigoureuse des lois et leur proposer des alternatives économiques durables. C’est comme ça qu’on pourra endiguer efficacement ce fléau. »
Avec son ONG, Bondo répertorie des alertes de déforestations faites par des entreprises et les populations locales avant de les transmettre aux autorités afin qu’elles fassent appliquer la loi. En mai 2022, son équipe a travaillé au sein de la réserve de Biosphère de Luki, située dans la province du Kongo-Central. Selon le rapport de mission, en 1 mois, ils ont répertorié 36 alertes liées à l’agriculture itinérante sur brûlis et à la carbonisation (fabrication de charbon de bois).
Malgré les arrestations faites par les écogardes, Bondo se sent impuissant : « Nous monitorons, nous dénonçons les atteintes à la forêt, mais la justice ne suit pas. Les personnes qui sont responsables d’infractions sont rarement sanctionnées. Nous assistons depuis pratiquement 15 ans à ce problème qui favorise justement cette déforestation illégale. Il faut que cela change, il y a un travail d’information et de formation de magistrats qui doit être fait », dit-il.
Le webinaire s’est aussi focalisé sur la République du Congo (Congo-Brazzaville) qui a vu la tendance baisser ces 5 dernières années. D’après Global Forest Watch, en 2022, la République du Congo aurait perdu 26 000 hectares de forêt primaire, l’une des pertes les plus faibles du bassin du Congo. Cependant, entre 2021 et 2022, ces pertes auraient augmenté de 33%. « Nous suivons l’évolution du couvert forestier et nous pensons qu’à l’allure où vont les choses avec l’expansion des activités minières, des activités agro-industrielles, le taux de déforestation peut augmenter rapidement et la situation devenir inquiétante », dit Nina Cynthia Kiyindou Yombo, responsable du programme Ressources naturelles et communautés forestières auprès de l’Observatoire congolais des Droits de l’Homme (OCDH) en République du Congo.
Elle partage la frustration de Bondo quant à la difficulté à faire appliquer les lois liées à la protection de la forêt. « La République du Congo a souscrit plusieurs engagements au niveau international dans le but de bien gérer ses ressources et de lutter contre la déforestation. C’est bien de s’engager dans de telles démarches, mais le véritable problème reste la concrétisation des mesures qui sont inscrites au niveau de ces différents engagements. Les mises en œuvre sont souvent très lentes », dit-elle.
En 2020, à travers son nouveau code forestier, le pays a introduit un système de vérification de la légalité du bois vendu et a promulgué un arrêté pour que les nouvelles exploitations agro-industrielles d’envergure ayant une superficie supérieure à 5 hectares soient orientées en zones de savanes et non en zones forestières. Mais Kiyindou Yombo reste soucieuse.
En août 2023, l’OCDH a publié un rapport sur l’exploitation aurifère dans la région forestière de la Sangha, une exploitation qu’elle qualifie de « pillage à huis clos ». Le rapport fait état d’une exploitation chinoise utilisant des moyens mécaniques et des orpailleurs artisanaux africains qui s’installent sur les chantiers abandonnés par les chinois, le tout sans la supervision de l’État congolais, « faute de moyens logistiques ». Cette exploitation génère des dégradations de l’environnement et de la forêt sans l’obligation de réparation.
Elle appelle donc son gouvernement ainsi que la communauté internationale, bénéficiaire de cet or, à sanctionner ces pratiques : « L’idéal serait que toutes les forêts soient aménagées [cartographiées et gérées de manière stricte et durable] pour qu’il y ait de moins en moins de déforestation ».
Image de bannière : Un trogon dans le bassin de la forêt tropicale du Congo. Image de Steve Garvie via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).
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