- Originaire d’Asie du Sud-Est, l’arbre à pain produit de gros fruits semblables à des pommes de terre. Ceux-ci ont de nombreuses applications culinaires, ce qui en fait une culture fiable pour les régions qui luttent contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire.
- D’après de récentes études, la hausse des températures due aux changements climatiques étendra l’aire de répartition de l’arbre à pain, notamment en Afrique subsaharienne.
- Quelques petites organisations travaillent à répandre la culture de l’arbre à pain en encourageant les fermiers à les planter aux côtés d’autres cultures vivrières sur des parcelles agroforestières. Selon les ONG, ce type de culture renforce la sécurité alimentaire et permet également de rendre ces systèmes alimentaires plus résilients face aux changements climatiques.
Marisol Villalobos a sa routine avec ses arbres à pain : tous les matins ou presque, alors que le soleil émerge tout juste à l’horizon, elle conduit jusqu’à son verger niché sur le mont Jayuya, à Porto Rico. Là, elle sort de sa voiture et prend le temps de humer le parfum épais des fleurs, des feuilles mortes et des fruits mûrs. Tandis qu’elle écoute les cris des perroquets et des coucous dans la canopée, elle bénit ses arbres et pense, comme elle le fait souvent, qu’il est tout à fait approprié qu’en portoricain, on les appelle pana, un mot également employé pour désigner un ami très proche.
Car pour Villalobos, et vraisemblablement pour l’humanité, l’arbre à pain apparaît comme un ami qui a beaucoup à offrir : une source de nourriture polyvalente, une potentielle protection de la biodiversité et peut-être même une solution aux multiples problématiques de la crise climatique.
Produisant une abondante récolte annuelle de fruits amylacés et nutritifs ayant les mêmes applications que la pomme de terre, l’arbre à pain offre aux fermiers une culture de base fiable qui nécessite peu d’entretien une fois arrivée à maturité. En outre, une récente étude publiée dans PLOS Climate prédit que l’aire de répartition de l’arbre à pain s’étendra avec la hausse des températures due aux changements climatiques, notamment en Afrique subsaharienne.
« Nous savons que beaucoup de cultures essentielles dans le monde, comme le riz, le maïs ou le blé, vont être lourdement impactées par les changements climatiques », affirme Lucy Yang, chercheuse en science de l’environnement et co-autrice de l’étude, à laquelle elle a participé alors qu’elle était étudiante à l’université Northwestern. « Mais l’arbre à pain peut être une pièce maîtresse pour la biodiversité. Il est extrêmement nutritif et le point principal de cet article est qu’il s’agit d’une solution importante pour les régions du monde situées à de faibles latitudes qui, justement, souffrent également de l’insécurité alimentaire. »
L’arbre à pain en plein essor
Grâce aux efforts de quelques petites organisations, des vergers d’arbres à pain émergent partout autour du monde, le propageant bien loin de son habitat d’origine, en Asie du Sud-Est. La polyvalence de son fruit vert noueux parfois aussi gros qu’un ballon de football en a également fait une étoile montante en cuisine : il peut être rôti, grillé, frit, cuit à la vapeur ou au four. Il peut être consommé avec de la viande, cuisiné en ragoût, en frites, en craquelins, en chips, ou encore en tartes ressemblant à des cheese-cakes.
Ainsi, beaucoup de militants encouragent les agriculteurs à multiplier les avantages de l’arbre à pain en le plantant sur des parcelles d’agroforesterie aux côtés d’autres cultures plutôt qu’en rangées espacées dans des vergers dédiés.
L’arbre à pain peut être associé au manguier, à l’avocatier, au cocotier ou au bananier et, ensemble, ils aident à la rétention d’eau du sol et offrent de l’ombre. Sous leur canopée, les fermiers peuvent planter des cultures qui préfèrent l’ombre comme le café, le cacao, le curcuma, le gingembre ou le manioc. À l’orée de cette « forêt », ils peuvent également semer des ignames, des patates douces, des piments ou des tomates qui tireront ainsi parti à la fois de l’ensoleillement et des nutriments fournis par les arbres.
« Tout dépend vraiment de la famille et du fermier, de ce qu’ils aiment manger et de quelles fleurs ou plantes médicinales ils préfèrent récolter », explique Diane Ragone, fondatrice et directrice du Breadfruit Institute du Jardin botanique tropical national d’Hawaï. « Ça peut être tout à fait flexible et changer au fil du temps : ce qui peut être cultivé dans une agroforêt nouvellement plantée est différent de ce qui pourra l’être dans trois, cinq ou 10 ans. »
Ces systèmes de culture plus diversifiés renforcent la sécurité alimentaire d’une famille d’agriculteurs et apportent d’autres sources de revenus. Pendant ce temps, les cultures mixtes bénéficient de l’ombre, de la rétention d’eau et de l’enrichissement naturel du sol qui résultent du partage de l’espace avec des arbres à longue durée de vie qui forment une canopée.
Ces parcelles denses à plusieurs niveaux ressemblent plus à des forêts naturelles qu’à des champs de monoculture. Elles créent un habitat pour les oiseaux, les insectes, les reptiles, les amphibiens et les petits mammifères. Par exemple, une étude menée au Costa Rica a montré que les assemblages d’oiseaux et de chauve-souris dans les agroforêts de cacao et de bananes étaient tout aussi fournis en espèces abondantes et diverses que les forêts naturelles (bien que les espèces y soient différentes).
Les agroforêts ne nécessitent pas d’ajouts d’engrais grâce aux apports naturels résultants de la décomposition des feuilles et des fruits. Elles tendent aussi à nécessiter moins de pesticides puisque la diversité des plantes offre une résistance aux maladies tandis que les oiseaux et les chauves-souris qui les visitent se nourrissent des parasites. À noter également que, comme il n’est pas labouré chaque année, le sol des agroforêts peut piéger des quantités non négligeables de carbone : entre 30 et 300 mégagrammes (1 mégagramme = 1 million de grammes, ou 1 tonne métrique) par hectare-carré selon some certaines estimations.
Selon Ragone, cette méthode permet aux agriculteurs de cultiver l’arbre à pain dans les îles du Pacifique depuis des milliers d’années.
« L’agroforesterie en tant que méthode fonctionne si bien pour l’arbre à pain et, inversement, l’arbre à pain fonctionne si bien pour l’agroforesterie », explique Ragone. « L’arbre à pain peut être le pilier d’une agroforêt, car l’agroforesterie est multidimensionnelle, à la fois dans le temps et dans l’espace. »
Le Breadfruit Insitute est une organisation qui fournit aux fermiers des arbres à pain et les ressources nécessaires à leur culture. Leurs efforts commencent à porter leurs fruits à domicile : environ un tiers des habitants des îles du Pacifique souffrent d’insécurité alimentaire, et la vaste majorité de la nourriture est importée. À Hawaï, on estime que 90 % des denrées alimentaires proviennent de l’extérieur de l’île. Tout au long de son développement, le Breadfruit Institute a distribué près de 100 000 jeunes arbres dans 44 pays tropicaux, comme la Micronésie, le Ghana et le Costa Rica, dont certains ont des taux de pauvreté et d’insécurité alimentaire élevés.
Renforcer la demande locale dans un contexte de changement climatique
À Porto Rico, Villalobos moud ses fruits à pain, ainsi que ceux d’autres agriculteurs locaux, en une farine sans gluten. Elle collabore avec Trees That Feed Foundation (TTFF), une organisation à but non lucratif basée dans l’Illinois, pour distribuer des échantillons de sa farine, commercialisée sous la marque Amasar (« pétrir » en espagnol), à des chefs cuisiniers et pour aider à sensibiliser les Portoricains au potentiel du fruit à pain. Villalobos et TTFF partagent un même objectif : apprendre aux gens à apprécier l’arbre à pain, ce qui, en cas de succès, créera de nouveaux marchés pour les produits de fruit à pain.
« Je considère qu’il est de ma responsabilité d’aider ces agriculteurs à vendre leurs produits, parce que si vous avez trop de fruits, mais pas de marché, les arbres deviennent vulnérables », explique Mary McLaughlin, co-fondatrice de TTFF. Cette ancienne géologue et artiste a grandi en Jamaïque, où elle a découvert l’arbre à pain pour la première fois sur une parcelle agroforestière.
Lorsqu’ils commencent à cultiver des arbres à pain et que ceux-ci sont encore petits, les fermiers peuvent planter à leur pied des légumes friands de soleil et faciles à vendre. Le modèle de TTFF vise à faire croître l’intérêt local pour les arbres à pain en parallèle de leur maturation de sorte que, lorsque le sous-bois devient trop ombragé pour les légumes, il y ait une demande encourageant les agriculteurs à en planter davantage. McLaughlin voit déjà ce marché se solidifier, notamment dans les pays comme la Jamaïque où TTFF est bien établie.
« Quand nous avons débuté, il y a 15 ans, nous devions supplier les gens de planter ces arbres », se rappelle-t-elle. « Il y a désormais une telle demande pour les arbres à pain, de plus en plus de personnes en veulent. »
Même si les défenseurs du fruit à pain se tournent vers l’avenir, le climat reste au centre de leurs préoccupations. Déjà, Villalobos s’imagine comme, lors des journées les plus chaudes, la récolte dans les agroforêts d’arbres à pain sera, grâce à l’ombre fournie par la canopée dense, plus sûre pour les travailleurs que dans les grands champs ouverts. Et alors que les changements climatiques apportent des tempêtes plus violentes, son expérience personnelle suggère que la résilience de l’arbre à pain se montrera essentielle. Après l’ouragan Maria, beaucoup d’arbres à pain à Porto Rico étaient les seuls encore debout au milieu de forêts dévastées. En outre, parce qu’ils se reproduisent principalement par la pousse de rejets, les arbres à pain qui avaient été renversés ont repoussé en quelques mois.
« Nous mangions des fruits à pain l’année suivante, avant ça, nous mangions des plantains ou des bananes », raconte-t-elle.
Bien sûr, le climat futur n’est pas seulement une bonne nouvelle pour cet arbre. En analysant l’aire de répartition potentielle de l’arbre à pain, l’étude publiée dans PLOS Climate prévoit une légère baisse de sa capacité d’adaptation en Amérique latine et dans les Caraïbes, à la fois dans des conditions climatiques stables (environ 10,1 %) et dans un scénario d’émissions élevées (11,5 %).
Nyree Zerega, coautrice de l’étude de Yang et directrice du programme de biologie végétale et de conservation à Northwestern et au Jardin botanique de Chicago, souligne toutefois que cette estimation s’apparente davantage à un condensé de données mondiales. Ainsi, la plupart des zones géographiques verront un léger changement dans leurs arbres locaux, mais les prédictions pourraient être affinées avec l’inclusion de données supplémentaires.
« Je ne pense pas que nous devions nous concentrer sur les chiffres précis, mais plutôt sur les tendances générales », dit-elle. « Cela permet aux gens de prendre conscience qu’il s’agit d’un sujet auquel il faut prêter attention et qu’il faut étudier davantage. »
Yang ajoute également qu’il est important de ne pas considérer l’arbre à pain comme un remède miracle. Bien qu’il soit difficile, voire impossible, pour l’arbre à pain de devenir une espèce invasive (la plupart des variétés cultivées ne produisent pas de graines et ne peuvent se propager que par la plantation de boutures par l’homme), il y a des considérations éthiques à avoir lorsqu’on introduit une espèce d’arbre non native dans un nouvel environnement. D’autant plus avec la mondialisation croissante des systèmes alimentaires.
« Nous voulons nous assurer que l’introduction de l’arbre à pain ne se fait pas sans aucune considération pour le contexte. Il faut que les gens s’intéressent réellement à cette culture et qu’elle ait du sens pour eux », explique Yang. « Nous savons que les systèmes alimentaires sont l’un des principaux moteurs de la perte de biodiversité, et le fruit à pain peut contribuer à changer cela, mais en tant que solution holistique : une part importante du gâteau dans tous les changements qui doivent se produire pour améliorer l’alimentation. »
Image de bannière : Originaire d’Asie du Sud-Est, l’arbre à pain produit de gros fruits semblables à des pommes de terre. Image reproduite depuis Pixabay (domaine public).
Citations:
Yang, L., Zerega, N., Montgomery, A., & Horton, D. E. (2022). Potential of breadfruit cultivation to contribute to climate-resilient low latitude food systems. PLOS Clim 1(8): e0000062. doi:10.1371/journal.pclm.0000062
Jose, S. (2012). Agroforestry for conserving and enhancing biodiversity. Agroforest Syst 85, 1–8. doi:10.1007/s10457-012-9517-5
Harvey, C.A., González Villalobos, J.A. (2007). Agroforestry systems conserve species-rich but modified assemblages of tropical birds and bats. Biodivers Conserv 16, 2257–2292. doi:10.1007/s10531-007-9194-2
Ramachandran Nair, P.K., Nair, V.D., Kumar, B.M., Showalter, J.M. (2010) Chapter Five – Carbon Sequestration in Agroforestry Systems. Advances in Agronomy, Academic Press, Volume 108, Pages 237-307. ISSN 0065-2113, ISBN 9780123810311, doi:10.1016/S0065-2113(10)08005-3
Lorenz, K., Lal, R. (2014) Soil organic carbon sequestration in agroforestry systems. A review. Agron. Sustain. Dev. 34, 443–454. doi:10.1007/s13593-014-0212-y