- Une enquête menée pendant trois ans a permis aux autorités de la République démocratique du Congo de mettre la main sur deux tonnes d'ivoire cachées dans une planque située dans la ville de Lubumbashi, dans le sud du pays.
- On estime que les défenses valent 6 millions de dollars sur le marché international et qu'elles ont appartenu à plus de 150 éléphants.
- Les trois personnes arrêtées lors du raid du 14 mai seraient membres d'un important réseau de trafic d'espèces sauvages dans la région de l'Afrique australe.
Les autorités de la République démocratique du Congo ont saisi deux tonnes d’ivoire dans la ville de Lubumbashi, plaque tournante du trafic d’ivoire.
Selon Adams Cassinga, qui dirige Conserv Congo, une ONG qui lutte contre le trafic d’espèces sauvages et qui a participé à l’opération, la saisie du 14 mai est l’une des plus importantes de ces dernières années. La valeur de l’ivoire saisi est estimée à 6 millions de dollars.
Les autorités ont arrêté trois personnes, soupçonnées de faire partie de l’un des réseaux de trafic d’espèces sauvages les plus importants de la région. Le réseau est lié à la contrebande de 20 tonnes d’ivoire au cours des cinq dernières années seulement.
La dernière saisie concerne plus de 150 éléphants tués pour leurs défenses, a déclaré Cassinga. Les défenses provenaient de pays d’Afrique australe, qui ont connu une augmentation du trafic d’ivoire dans les années 2000, alimentée par la demande de l’Asie, notamment de la Chine.
Au paroxysme de la crise, 30 000 éléphants étaient tués chaque année, soit une moyenne de 80 par jour. Selon une analyse du WWF, les populations d’éléphants d’Afrique ont diminué de 80 % au cours des 100 dernières années. L’éléphant de savane d’Afrique (Loxodonta africana) est classé « en danger » sur la liste rouge de l’UICN, tandis que l’éléphant de forêt d’Afrique (Loxodonta cyclotis) est « en danger critique d’extinction », à deux doigts de disparaître à l’état sauvage.
Le braconnage a diminué ces dernières années, selon un rapport publié en 2021 par Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC), organisation à but non lucratif basée à Genève. L’un des facteurs invoqués pour expliquer cette baisse est la fragilisation des réseaux criminels grâce aux raids et aux arrestations.
« La diminution du braconnage semble être le résultat du démembrement, par le biais d’arrestations et de poursuites, d’un grand nombre de réseaux criminels organisés transnationaux impliqués dans le braconnage et le trafic d’ivoire en Afrique orientale et australe entre 2014 et 2020 », explique le rapport du GI-TOC.
Le raid de Lubumbashi a été mené par la plus haute autorité de conservation de la RDC, connue sous son acronyme ICCN. Des membres de la police nationale, des fonctionnaires du tribunal et l’ONG Conserv Congo ont participé à l’opération.
L’équipe a récupéré l’ivoire dans une planque située à Lubumbashi, dans le sud de la RDC. Les trafiquants ont introduit l’ivoire braconné en RDC depuis la Zambie, qui se trouve à la frontière sud du pays. Lubumbashi est devenue une plaque tournante importante à partir de laquelle des membres d’animaux sauvages braconnés sont acheminés hors d’Afrique. Ces articles proviennent principalement de pays d’Afrique australe tels que l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et la Zambie.
Cassinga a tweeté : « Nous sommes certains que ce raid apportera beaucoup de dissuasion dans un endroit où, auparavant, les lois sur la faune étaient négligées et non appliquées ».
La faible application des lois, les conflits armés et la corruption ont permis aux gangs internationaux d’opérer en toute impunité en Afrique occidentale et centrale. La RDC, qui partage ses frontières avec neuf pays, sert de point de transit important pour le mouvement d’articles issus d’un trafic. Cette nation d’Afrique centrale, qui abrite la plus grande partie de la forêt tropicale du Bassin du Congo, représente également un pays source pour les produits illégaux issus des espèces sauvages.
Cependant, de 2000 à 2014, alors que le braconnage des éléphants était omniprésent, la RDC n’a récupéré qu’environ 8 tonnes d’ivoire lors de saisies. Plus tard, entre 2015 et 2019, les autorités du pays ont saisi 20 tonnes, selon les données recueillies par l’Environmental Investigation Agency, une ONG basée au Royaume-Uni.
« Nous faisons de gros efforts pour démanteler tous les réseaux de commerce illégal. Avec le temps, nous avons plus d’impact sur les réseaux illégaux », a déclaré Olivier Mushiete, directeur général de l’ICCN, lors d’un entretien téléphonique avec Mongabay.
Le raid de Lubumbashi fait suite à une série de raids qui ont eu lieu l’année dernière à Kinshasa, capitale de la RDC. Mushiete avait alors déclaré à Reuters qu’ils espéraient récupérer plus de 60 tonnes lors de prochaines saisies. L’opération du 14 mai est le résultat de trois années d’enquête.
« Les relations entre le gouvernement et la société civile s’améliore et cela porte ses fruits », a déclaré Cassinga. Il a ajouté que le soutien de partenaires comme le Wildlife Crime Prevention, basé en Zambie, et de donateurs internationaux tels que le Rhino Recovery Fund, les aide à lutter contre le trafic d’espèces sauvages.
Selon Bloomberg, le trafic d’ivoire est l’un des commerces illicites les plus lucratifs, évalué à environ 23 milliards de dollars par an.
La CITES, Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages, a interdit le commerce international de l’ivoire en 1989. Cependant, certains pays autorisent toujours le commerce intérieur et le commerce international, sous réserve de différents degrés de réglementation.
Au cours des dix dernières années, les efforts visant à freiner la demande d’ivoire se sont accélérés notamment grâce aux États-Unis qui ont imposé une interdiction quasi totale du commerce de l’ivoire d’éléphant en 2016 et à la Chine qui a interdit le commerce intérieuren 2017. L’Union européenne a renforcé sa réglementation sur le commerce de l’ivoire en 2021. Des exemptions plus strictes limitent le commerce légal de l’ivoire, qui, selon les défenseurs de l’environnement, est souvent utilisé pour couvrir des transactions illégales.
Les trois trafiquants présumés du raid de Lubumbashi doivent comparaître devant le tribunal cette semaine.
Même si les saisies et les arrestations augmentent, l’impact sur le braconnage pourrait être limité par l’incapacité des pays à poursuivre en justice les trafiquants présumés. Il est difficile de coordonner les enquêtes transfrontalières et de rassembler les preuves nécessaires. Souvent, les organismes chargés de l’application de la loi ou les autorités judiciaires ne font pas des crimes contre les espèces sauvages une priorité.
L’arrestation de deux ressortissants vietnamiens lors de la saisie de 3,3 tonnes d’ivoire dans la capitale ougandaise, Kampala, en 2019, n’a engendré aucune condamnation. En effet, les deux suspects ont été remis en liberté sous caution.
Aussi, les raids ont tendance à interpeller les intermédiaires mais conduisent rarement à l’arrestation de ceux qui organisent, financent et profitent le plus de ce commerce illégal. « Le démantèlement du réseau est peu probable mais nous pouvons ralentir son développement » a déclaré Chris Morris, qui travaille avec l’organisation Saving Elephants through Education and Justice (SEEJ), basée au Kenya. « Ces cartels représentent un business. Ils sont préparés aux pertes liées aux saisies et aux arrestations. »
Image de bannière : Éléphants de forêt d’Afrique dans le Bassin du Congo. Image de Peter Prokosch/GRID-Arendal via Flickr (CC BY-NC-SA 2.0).
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2022/05/ivory-from-at-least-150-poached-elephants-seized-in-the-drc-raid/