- Menacés par les méthodes agricoles non durables et la chasse, les forêts de Mangabe-Ranomena-Sahasarotra, et les lémuriens qu'ils abritent, sont en danger.
- Un projet vise à former les jeunes villageois de cette région d’Alaotra-Mangoro, à l’est de Madagascar, aux techniques agricoles durables et les sensibiliser à la protection des lémuriens.
- Ces jeunes sont formés pour devenir des ambassadeurs de la protection de l’environnement qui transmettront leurs savoirs aux prochaines générations.
ANTANANARIVO, Madagascar — Au détriment des forêts qui entourent son village, Safidiharinjaka Emmanuel Tolojanahary ne connaissait que des méthodes agricoles traditionnelles. Comme la plupart des habitants de son village situé à l’est de Madagascar, il pratiquait le défrichement et brûlait ce qui restait des arbres coupés afin de gagner une parcelle pour la culture du riz. Les locaux appellent cette technique de culture sur brûlis le tavy.
Son désir d’être plus responsable pour un avenir meilleur et d’apprendre d’autres techniques l’a poussé en septembre 2019, alors qu’il était âgé de 23 ans, à rejoindre un projet d’enseignement de méthodes alternatives agricoles en vue de protéger les forêts. Aujourd’hui il est le président d’un des 16 groupes de jeunes ruraux de la commune de Lakato, district de Moramanga, région Alaotra-Mangoro qui sont formés par l’ONG malgache Madagasikara Voakajy. Dans le village d’Ambodivarongy, son groupe s’appelle Vintsiala, nom vernaculaire du martin-pêcheur malgache (Corythornis madagascariensis), oiseau de couleur orange et blanc, au bec démesuré qui réside dans la forêt voisine.
Tolojanahary et son équipe se considèrent ambassadeurs des méthodes agricoles qu’ils ont apprises. « Dans mon groupe, nous voulons allier ceux qui vivent avec nous à notre cause », dit-il.
Les besoins de subsistances des gens font partie des pressions qui pèsent sur les forêts malgaches et sur la faune extraordinaire qu’elles abritent. La protection des forêts nécessite donc la participation de ces populations. Face à la dégradation de la réserve de Mangabe-Ranomena-Sahasarotra, Madagasikara Voakajy a ainsi lancé ce projet avec les jeunes pour trouver un équilibre entre les besoins des populations et la survie de la réserve, qui abrite des espèces endémiques en danger critique d’extinction telle que des lémuriens et la grenouille mantella dorée (Mantella aurantiaca).
Ciblant particulièrement la jeune génération de 14 à 30 ans, le projet forme aux techniques agricoles durables afin d’améliorer les moyens de subsistance des villageois, réduire la pression sur la forêt, et les sensibiliser à la protection des lémuriens. Le programme les encourage également à effectuer des activités de restauration forestière telles que le reboisement.
« C’est grâce au projet pour les jeunes qu’on a su qu’on n’est pas obligé de faire le tavy pour obtenir un bon rendement rizicole. » dit Tolojanahary.
La pression sur les forêts menace les lémuriens
Le projet met en avant la protection de deux lémuriens habitants de la réserve Mangabe-Ranomena-Sahasarotra. Classés comme « espèces en danger critique d’extinction » par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), l’indri (Indri indri) et le sifaka à diadème (Propithecus diadema) sont menacés à cause de la perte de leur habitat et de la chasse. D’après l’analyse de Madagasikara Voakajy et selon les critères de l’UICN, il est prévu que la population de ces deux lémuriens chute de 80% sur une période de 30 à 33 ans. En effet, l’UICN considère comme « espèces menacées » 103 des 107 lémuriens, primates iconiques et endémiques de l’ile.
L’aire protégée de Mangabe-Ranomena-Sahasarotra s’étend sur une surface de 27100 hectares (67000 acres). Chaque année entre 2001 et 2019, l’aire a perdu environ 611 ha (1510 acres) de forêts, d’après Global Forest Watch. Cela correspond à une perte de 45% de sa couverture forestière depuis l’an 2000. Or l’indri et le sifaka à diadème sont parmi les plus grandes espèces de lémuriens et ont besoin de beaucoup d’espace pour vivre. Des études menées dans les forêts de Mantadia, proche de l’aire protégée Mangabe-Ranomena-Sahasarotra, ont montré qu’en moyenne, l’indri peut occuper 13 ha de territoires dans les forêts fragmentées et jusqu’à 40 ha (32 à 99 acres) dans les forêts primaires.
Les lémuriens sont les habitants les plus visibles de la réserve. Toutefois, le projet des jeunes agriculteurs peut aussi aider les animaux moins célèbres, comme la mantella dorée, une espèce de grenouille endémique à la région, et la grèbe malgache (Tachybaptus pelzelnii), une espèce d’oiseau endémique et en danger d’extinction qui est chassée pour être consommée ou vendue sur les marchés.
“En mettant en avant la protection de lémuriens ayant besoins de grands espaces, on pourra aussi englober d’autres espèces plus petits dans la boucle de nos objectifs de protections. » dit Voahirana Claudia Randriamamonjy, chef du projet Mangabe des jeunes agriculteurs.
La perte d’habitats forestiers et de la faune dans la zone Moramanga est due, entre autres, au tavy. Elle est aussi liée à l’exploitation forestière et minière à petite échelle et à la chasse. Les arbres sont coupés pour la construction, le bois de chauffe, la collecte des plantes médicinales et la culture sur brûlis. Les animaux chassés, comme les lémuriens et les canards sauvages, sont vendus sur les marchés pour leur consommation.
Face à la pauvreté, la population locale n’a pas beaucoup d’alternatives de subsistance que de se tourner vers les forêts.
« Les gens veulent protéger les indris mais ne peuvent pas, parce qu’on doit couper les forêts pour pouvoir cultiver du riz », dit Tolojanahary.
“Malheureusement et heureusement, la communauté locale qui vit aux alentours de ces aires protégées peut être la source des problèmes de conservation des lémuriens mais aussi est la solution à ces mêmes problèmes », dit Zoavina Randriana, directrice nationale de The Mad Dog Initiative (MDI).
Grâce à son expertise dans les forêts d’Andasibe-Mantadia, dans la même région, Randriana et son équipe effectuent chaque année des campagnes de limitation des populations de chiens et chats errants aux alentours des forêts. Cette stratégie vise à aider les espèces protégées en essayant de limiter leur compétition avec les animaux domestiques errants. Parce que ces derniers sont considérés comme un problème de santé publique, MDI sensibilise les communautés locales à la fois à leur limitation et à la protection des animaux sauvages.
Selon Randriana, il est important de sensibiliser les populations autochtones aux problèmes liés à la conservation, mais il faut surtout les habiliter à prendre des décisions informées et agir en conséquence.
Des techniques agricoles durables
Financé par l’UICN, le projet de Madagasikara Voakajy autour de Mangabe-Ranomena-Sahasarotra a débuté en 2016 et a entamé sa deuxième phase en 2019 jusqu’en 2021. Les jeunes participants, dont la grande majorité n’ont pas reçu d’éducation, n’auront d’autre choix que d’être agriculteurs. Les techniques agricoles durables leur offrent donc des opportunités plus prometteuse que la chasse ou la destruction des forêts.
Au cours de la première phase du projet, Madagasikara Voakajy a formé 7 groupes, soit 45 participants au total. Au lancement de la deuxième phase, le projet comptait 16 groupes répartis dans 16 villages et réunissait 158 jeunes. Chaque groupe apprend, selon leur choix, les techniques durables de riziculture, de la culture de haricots, de gingembre ou d’apiculture.
Les équipes de riziculture ont effectué leur première récolte en mai 2020. Ils ont obtenu des rendements allant jusqu’à 2,9 tonnes par hectare (2.5 acres), par rapport à 1 tonne avec la méthode de culture traditionnelle. Les résultats pour le haricot et le gingembre sont attendus pour ce mois de Novembre. De plus, Madagasikara Voakajy projette d’impliquer le secteur privé à appuyer ces jeunes notamment en les aidant à trouver de nouveaux marchés.
L’amélioration des moyens de subsistance pour réduire la pression sur l’environnement est une approche que partagent d’autres programmes de conservation à travers le monde. L’enjeu de Madagasikara Voakajy est que, sur le long terme, les jeunes deviennent réellement ambassadeurs de la conservation des lémuriens, que leurs pratiques agricoles améliorent les habitats forestiers et qu’ils ne les chassent plus.
« Je pense que l’un des plus grands défis de la conservation des lémuriens à Madagascar c’est de justement réconcilier la conservation de ces espèces et le développement économique et social surtout dans ces localités près des aires protégées », dit Randriana. « Les initiatives comme le projet de Madagasikara Voakajy qui valorisent la participation de la communauté locale sont essentielles pour tacler à la racine les défis relatifs à la protection des lémuriens. »
Par ailleurs, en 2020, les problèmes liés au COVID-19 réduisent les champs d’action des conservateurs de l’environnement. À cause de l’état d’urgence sanitaire du 21 mars au 18 octobre et du confinement qui a duré jusqu’à mi-août, Madagasikara Voakajy a dû retarder le programme de pisciculture qui était planifié. L’introduction des alevins dans les étangs était prévu pour mars mais elle ne commencera qu’en novembre. De plus, la situation des villageois est devenue très fragile. Ils se voient obligés d’exploiter les moyens de subsistance qu’ils peuvent trouver. Cette précarité augmente les risques d’infractions sur les aires protégées, surtout lorsque la surveillance est réduite à cause du confinement.
Toutefois, un représentant des jeunes participants, contacté en septembre par téléphone, pendant l’état d’urgence sanitaire, exprime son optimisme. Daumiriry Rajaofelina, résident du village d’Avolo, croit toujours à la réussite du projet et n’hésite pas à contacter l’ONG pour des conseils sur ses parcelles de haricots ainsi que des éclaircissements sur l’évolution de la pandémie de COVID-19.
“Après les formations que j’ai eu avec Madagasikara Voakajy, j’ai vu que les techniques agricoles ont beaucoup évolué et que les récoltes seront bonnes », dit Laurent Randrianirina, membre de Fiaka — nom vernaculaire du lémur couronné (Eulemur coronatus) — l’un des groupes formés par Madagasikara Voakajy. « Le projet est vraiment efficace et moi personnellement je projette de me lancer dans la culture du gingembre à partir de maintenant et je vais laisser les mauvaises méthodes d’avant. »
Image de bannière : Portrait d’un groupe de jeunes agriculteurs formés par l’ONG Madagasikara Voakajy, dans la commune rurale d’Ambodin’Ifody, à Moramanga. Image de Madagasikara Voakajy.
Edité par Valentine Charles.
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