- Certaines espèces de lémuriens à Madagascar sont susceptibles de contracter le SARS-CoV-2, le virus qui cause la maladie COVID-19.
- A la suite des appels lancés par la communauté scientifique de l’île et à l’étranger, une cellule d’urgence pour les lémuriens face au virus se met en place.
- Jusqu’ici, il n’y a aucun cas confirmé de COVID-19 chez les lémuriens.
- L’éventualité de la propagation du virus chez les lémuriens, dont la plupart des espèces sont en danger, inquiète les chercheurs qui craignent leur disparition.
ANTANANARIVO, Madagascar — L’éventuelle contamination des lémuriens par le nouveau coronavirus, SARS-CoV-2, cause de la maladie COVID-19, inquiète la communauté scientifique et de conservation de l’île. Elle a tiré la sonnette d’alarme dans les jours qui ont suivi le décret de l’état d’urgence sanitaire en mars en vue de la mise en place d’une cellule d’urgence destinée à renforcer la protection de ces animaux emblématiques du pays.
Au 25 juin, Madagascar enregistre 1 829 cas humains confirmés de COVID-19, dont 991 personnes sont en cours de traitement, 823 guéris et 16 décès. Selon une étude en avril 2020, directement mise en ligne avant son évaluation par les pairs et sa publication dans un journal, la structure protéique et génétique des récepteurs à enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (ACE2) de certaines espèces de lémuriens est très proche de celle des humains. Le virus SARS-CoV-2 se lie à cette enzyme pour infecter les cellules de l’hôte.
Sensibilité de chaque espèce
Les espèces et sous-espèces de lémuriens actuellement décrites sont au nombre de 111 et vivent quasi exclusivement sur la Grande Île. La liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) classe aujourd’hui plus de 90 % des lémuriens en menace d’extinction.
La ressemblance entre le récepteur ACE2 des lémuriens et celui des humains varie selon les espèces. Par exemple, selon l’étude d’avril, le Sifaka de Coquerel (Propithecus coquereli), espèce classée en danger d’extinction, a un récepteur proche de celui des humains. De même que l’un des plus grands lémuriens, l’Indri (Indri indri) et le Lémur aux yeux turquoise (Eulemur flavifrons), deux espèces classées en danger critique, ont aussi un récepteur considéré comme proche de celui des humains.
Selon Fidisoa Rasambainarivo, expert en médecine de conservation chez Mahaliana, laboratoire et service de recherche sur la faune sauvage à Antananarivo, cela signifie que si ces espèces sont exposées au SARS-CoV-2, il pourra s’attacher à leurs cellules et les rendre malade. Cependant, le type de récepteur ACE2 n’est qu’un des facteurs nécessaires mais pas une cause de maladie au sens strict.
En revanche, le Microcèbe mignon (Microcebus murinus), l’un des plus petits primates pesant tout juste 60 grammes (2 onces), possède une variante du récepteur qui, selon l’étude, le rendrait moins vulnérable au SARS-CoV-2.
« On sait déjà qu’il y a plus d’une trentaine de maladies que les humains et les primates non humains, y compris les lémuriens, pourraient se transmettre entre eux », indique Jonah Ratsimbazafy, Président du Groupe d’Etude et de Recherche sur les Primates de Madagascar (GERP) qui est aussi, avec Rasambainarivo, membre de la cellule d’urgence pour la protection des lémuriens face au coronavirus. « Il ne faut pas oublier que les lémuriens sont nos espèces emblématiques. Des études ont montré que les lémuriens en captivité ont transmis la rage aux humains. Ceci confirme la vulnérabilité des lémuriens lorsqu’ils sont en contact avec des personnes infectées par le coronavirus ».
Rasambainarivo souligne que d’autres primates, par exemple les macaques, et les félins ont un récepteur ACE2 qui ressemble à celui des humains et ils présentent des signes de maladie respiratoire lorsqu’ils sont infectés. « Certaines espèces, comme les porcs ou les chiens, ont les [mêmes types de] récepteurs également mais semblent ne pas tomber malades, dit-il. La sensibilité de chaque espèce et leur habileté à propager la maladie est une question à laquelle on ne connait pas encore la réponse. Il convient alors de prendre les mesures adéquates pour les protéger ».
Principale attraction touristique
En mars, un touriste italien porteur du virus, a visité un parc privé à Andasibe et a contaminé plusieurs personnes. Dans ce parc, le contact direct entre les humains et les lémuriens est très familier.
A ce jour, aucun lémurien n’a été testé positif. Grâce à la collaboration de la Clinique Universitaire Vétérinaire à Antananarivo, la direction des Services vétérinaires et l’Institut Pasteur de Madagascar, des tests de dépistage COVID-19 ont été effectués sur trois spécimens de Lémur catta (Lemur catta) mal en point à Andasibe. Les tests se sont révélés négatifs.
Toutefois, il est primordial de limiter l’exposition des lémuriens au virus, particulièrement les espèces à haut risque, en évitant le contact direct et indirect avec les humains, disent Ratsimbazafy et Rasambainarivo. La fermeture de tous les parcs et de toutes les aires protégées du pays a été ordonnée dès le mois de mars. Mais le risque pour les lémuriens en captivité, dont la population estimée est de 28 000 à Madagascar, reste problématique.
Action pour protéger
Dès les premiers alertes, un grand nombre d’acteurs du secteur public et privé, évoluant dans le monde de la conservation, de la recherche, de la promotion des aires protégées, de la santé animale, du tourisme et même de la communication ont manifesté leur volonté d’intégrer la cellule d’urgence pour la protection des lémuriens face au coronavirus. La première réunion s’est tenue en mai. Elle a été l’occasion pour les parties prenantes de mettre en commun des idées déjà longuement discutées en ligne. Actuellement, les membres de la cellule d’urgence élaborent des plans de riposte, de prévention, de surveillance et de communication. Selon Ratsimbazafy, il faut attendre la fin du confinement pour la mise en œuvre.
Le Président du GERP indique que l’éventuelle contamination des lémuriens par la COVID-19 représente un risque dévastateur pour Madagascar compte tenu de leur rôle dans l’attractivité touristique de l’île. Et, 20 % des espèces de primates connues dans le monde étant des lémuriens, ce risque concerne la planète toute entière.
Image de bannière : Le Propithèque de Coquerel (Propithecus coquereli), espèce classée En danger d’extinction. Image par Rhett Butler.
Rédigé par Rivonala Razafison. Edité par Valentine Charles.
Citation:
Damas, J., Hughes, G. M., Keough, K. C., Painter, C. A., Persky, N. S., Corbo, M., … Lewin, H. A. (2020). Broad host range of SARS-Cov-2 predicted by comparative and structural analysis of ACE2 in vertebrates. doi:10.1101/2020.04.16.045302
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