- L’écotourisme pour répondre aux besoins en matière de développement a des limites, déclare le ministre gabonais de l’Environnement.
- Une valorisation du bois et une exploitation forestière sélective et contrôlée doit entrainer une diminution du nombre d’arbres abattus ainsi qu’une hausse des revenus et des emplois plus durables pour les Gabonais.
- La certification Conseil de bonne gestion forestière (Forest Stewardship Council, FSC) et des contrôles plus rigoureux aux ports gabonais, associés à la fois à des peines minimales plus sévères en cas de corruption et à des audits des sociétés d’exploitation forestière permettront de mettre un frein aux activités illégales.
Durban, Afrique du Sud – Lee White, nommé ministre gabonais des Eaux et Forêts, de la Mer et de l’Environnement en juin 2019, est chargé du Plan climat (du respect des objectifs de développement durable) et du Plan d’affectation des terres. Ce biologiste natif britannique a dirigé l’Agence nationale des parcs nationaux en Afrique centrale pendant 10 ans. Il s’est entretenu avec Mongabay en marge de la Conférence ministérielle sur l’environnement, qui s’est déroulée en Afrique du Sud en novembre 2019. Cet interview a été condensée et révisée pour des raisons de clarté.
Mongabay : Le gouvernement gabonais parle de l’importance de ses forêts tropicales et de la nécessité de les préserver en même temps qu’il parle du développement du secteur du bois. Ces deux projets sont-ils compatibles ?
Lee White: J’ai passé la majeure partie de ma vie à essayer de maintenir les arbres sur pieds. J’ai même travaillé avec le prince Charles sur son projet Forêt tropicale, à travers lequel il appelait le monde entier à donner plus de valeur aux forêts vivantes que détruites. C’était le lancement du Programme ONU-REDD (sur la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) visant à atténuer les changements climatiques.
Maintenant une partie de ma mission consiste à abattre les arbres. Alors la question est comment le faire de manière durable ?
La forêt tropicale couvre environ 88 % de la surface du Gabon. En pourcentage, nous sommes le second pays le plus boisé de la planète, derrière le Suriname (92 %). Notre pays compte beaucoup de forêts protégées. Nous avons préservé la plus grande partie biodiversifiée de notre forêt, qui a, selon nous, le plus fort potentiel touristique et les plus importants services écosystémiques, comme l’apport d’eau aux barrages hydroélectriques.
Mais nous ne pouvons pas développer notre pays, qui est pratiquement uniquement composé de forêts, qu’à l’aide de l’écotourisme. Des représentants d’ONG nous disent : vous ne devriez pas abattre le bois des forêts tropicales, vous devrez faire de l’écotourisme, vous ne devriez pas planter de palmiers à huile, vous devriez faire de l’écotourisme à la place. Mais l’écotourisme nécessite un environnement spectaculaire…une faune extraordinaire. Bien que nous possédions cet environnement spectaculaire et cette faune extraordinaire pour attirer les touristes, il y a toutefois bien évidemment des limites au potentiel de l’écotourisme dans une nation forestière aussi dense que la nôtre.
Il existe peu de lieux où vous pouvez faire de l’écotourisme. Il y a peu d’exemples – Costa Rica en est peut-être une petite exception – de pays qui se sont entièrement développés uniquement grâce à l’écotourisme. Ce n’est donc pas impossible, mais c’est difficile.
C’est pourquoi nous devons trouver un moyen de valoriser notre forêt. Je dois pouvoir vous prouver, si vous êtes un acheteur potentiel d’une magnifique table, que cette table a été fabriquée en utilisant un bois légal et en respectant les principes du développement durable. En retour, je m’attends à ce que vous et le reste du monde appréciiez et payiez cette magnifique et précieuse ressource à sa juste valeur. Nous avons l’intention de commercialiser une ressource durable et de qualité premium, à un prix premium également.
Qu’entendez-vous par exploitation forestière durable ?
En 2001, le Gabon a adopté une loi obligeant les sociétés d’exploitation forestière à pratiquer une exploitation durable. Avant cette date, notre pays abattait les arbres sans aucune stratégie en place.
Pendant mon doctorat [1989-1992], les sociétés forestières que j’ai rencontrées étaient majoritairement dirigées par des Français, principalement des ouvriers du Sud de la France. À cette époque, l’exploitation forestière consistait essentiellement à maintenir les bulldozers en action. Ces Français étaient donc des ouvriers qui profitaient de la vie en Afrique ; ils n’utilisaient aucune cartographie ni plan de gestion, leur travail consistait seulement à abattre des arbres.
La plupart de ces Français m’avaient rapporté qu’ils avaient vécu en Côte d’Ivoire avant de venir au Gabon. Et, pour ainsi dire, chacun d’entre eux m’a raconté, autour d’un Ricard, qu’ils s’étaient vus contraints de quitter la Côte d’Ivoire, car le gouvernement avait mal géré ses forêts. La Côte d’Ivoire en est venue à manquer d’arbres, aujourd’hui le pays ne compte plus que 3 % de couverture forestière, et 80 % de ses aires protégées ont été détruites.
En leur parlant, j’ai soudain eu une vision d’horreur, je me suis dit que dans 20 ans ces gens iraient tous en République démocratique du Congo (RDC), et raconteraient la même histoire : “Nous étions au Gabon, un pays magnifique, mais le gouvernement a mal géré le pays, alors nous avons été obligés de venir en RDC”.
En 2009, Ali Bongo a interdit l’exportation de bois brut, après avoir été élu président. Il avait alors déclaré : “Cela fait 120 ans que vous déboisez mon pays, vous le voyez comme une source d’approvisionnement bon marché pour cette ressource naturelle.” Selon la législation forestière, en 2009, 70 % du bois aurait dû être transformé dans le pays, or seulement 15 % l’était à cette époque.
Il a donc tapé du poing sur la table et déclaré “ok, dorénavant, 100 % du bois sera transformé au Gabon. À partir d’aujourd’hui, il est interdit d’exporter du bois brut.”
Toute le monde a pensé qu’il était fou, que c’était une idée stupide…mais le président a campé sur sa position. Cela nous a porté préjudice au début. De nombreuses entreprises ont fait faillite, certaines ne voulaient pas investir dans la transformation du bois. Nous avons perdu près de la moitié des 15 000 emplois forestiers. Mais aujourd’hui nous sommes remontés à 27 000. Ainsi cette stratégie a permis de doubler le nombre d’emplois et de tripler la contribution du secteur forestier au PIB sur huit à dix ans.
En 2009, nous exportions 3,5 millions de m3 de bois brut, et l’an dernier nous en avons exploité 1,6 millions de m3. Nous exploitons donc deux fois moins de bois, générons trois fois plus d’argent et avons créé deux fois plus d’emplois.
Ainsi, du côté gagnant-gagnant, le travail est en cours. Nous continuons d’ouvrir toujours plus d’usines de transformation du bois, et de plus en plus d’entreprises investissent dans cette activité, en particulier dans notre entreprise de Nkok, spécialisée dans l’exportation de bois transformé. Le contreplaqué et le bois de sciage représentaient la majorité de nos exportations, mais maintenant nous commençons à exporter des meubles, des portes et des encadrements de fenêtres. Nous sommes passés d’une non-transformation à une production avec plus de valeur ajoutée. Et cela créé des emplois.
En vendant du bois brut, comme le Congo et le Cameroun le font aujourd’hui, vous réalisez en moyenne 200 dollars par m3. Mais si vous transformez ce même bois en parquet, en encadrements de fenêtres ou en chaises et en tables, vous pouvez alors facilement atteindre 2 000 dollars par m3, et pour le bois dit précieux, comme le bubinga, cette marge peut être encore plus importante.
En fait, c’est vous qui donnez plus de valeur aux ressources naturelles, et c’est ce qui va nous pousser à gérer notre capital naturel d’une manière beaucoup plus réfléchie. Parce que si nous parvenons à bien le gérer, nous pourrons alors continuer à fabriquer ces meubles dans le futur. Mais si nous n’y arrivons pas, comme bon nombre de pays, alors l’opportunité de développer une économie basée sur une gestion durable des forêts nous échappera.
Actuellement, notre pays abrite 23,7 millions d’hectares de forêts. La filière bois rapporte environ 800 millions de dollars au pays aujourd’hui (15 % du PIB), et ce chiffre augmente chaque année. Si vous regardez la Malaisie, elle compte 21 millions d’hectares de forêts, son secteur forestier génère un revenu de 3,6 milliards de dollars, et le pays compte 321 000 emplois. Il y a donc quelque chose que nous ne faisons pas correctement.
Mais la Malaisie incarne-t-elle un modèle de gestion forestière durable ?
Il ne s’agit pas forcément du modèle que nous souhaitons suivre. La Malaisie importe beaucoup de bois et possède à la fois des forêts naturelles et des plantations d’essences forestières à croissance rapide. Mais cela vous donne une indication. Si vous décidez de vous tourner vers l’exploitation durable d’une espèce spécifique de feuillu à croissance lente, il va peut-être vous falloir prévoir de très longues rotations. Si vous ne disposez que de bois précieux, votre gestion forestière devient limitée. Alors qu’en recouvrant un bois d’eucalyptus à bon marché d’une seule couche d’un joli placage de feuillu, vous irez beaucoup plus loin avec votre feuillu et vous pourrez augmenter vos profits.
Alors, cela peut paraitre paradoxal, mais j’estime que si nous parvenons à donner plus de valeur ajoutée à nos forêts de cette façon, nous pouvons encourager le gouvernement et les Gabonais à vouloir les préserver.
L’Agence d’investigations environnementales (AIE) a révélé que WCTS, une entreprise chinoise, excédait les quotas d’extraction du bois, contournait les taxes et utilisait des sociétés de couverture. Alors que fait votre gouvernement pour éradiquer l’exploitation et l’exportation de bois illicite ?
L’AIE a mené une enquête entre 2015 et 2017. En tant que directeur des parcs nationaux, j’ai collaboré avec eux sur cette enquête.
Tout cela a eu en quelque sorte l’effet d’une grosse tempête. Lorsque nous avons interdit l’exportation de bois brut, ces sociétés chinoises réalisaient 30 à 40 % de bénéfices. Il leur a alors fallu trouver soudainement des moyens de maintenir leurs marges, car elles n’étaient pas intéressées par des investissements durables sur le long-terme. Elles ciblaient les 30 à 40 % de profits que vous cherchez à réaliser en Afrique pour vous couvrir des risques politiques, économiques etc.
Les seuls moyens qu’elles aient trouvés pour maintenir leurs marges ont été la corruption et l’illégalité. Nous ne l’avions pas anticipé. Nous n’avons pas renforcé la police forestière. Mais nous nous sommes relevés de cette situation en partie grâce à l’aide de l’AIE.
Ils m’ont contacté avec les premiers films qu’ils ont réalisés en 2016. Nous sommes allés sur le terrain, dans les concessions forestières et avons vérifié que ce qui était dit dans les enregistrements était correct.
WCTS est un bon exemple : dans leur plan de gestion, ils avaient déterminé la zone qu’ils allaient exploiter sur les 25 prochaines années. Pour chaque année, une zone était identifiée comme un site d’opération. Nous avons découvert qu’ils allaient opérer sur 8 ans au lieu d’une rotation originelle de 25 ans et qu’ils allaient aussi abattre des arbres de petite taille.
Les emplois des Gabonais de la région, prévus pour une durabilité de 50 ans, auraient ainsi disparu au bout de 8 ans à cause de l’entreprise qui était en train de dépouiller la forêt.
En faisant le calcul de tous ces abattages illégaux pour la période 2015-2017, nous avons découvert que 15 millions de tonnes d’émission de dioxyde de carbone n’avaient pas été pris en compte dans les accords de Paris sur le changement climatique.
Notre président a annoncé en 2017 que nous allions continuer à travailler d’arrache-pied pour que toutes nos forêts soient certifiées FSC d’ici 2022 – une première étape dans notre série d’interventions pour lutter contre l’abattage illicite.
Comment allez-vous y arriver en pratique ? Car en raison de ses propres manques de moyens financiers, le Gabon a déjà vraisemblablement un champ d’action limité pour la mise en application de telles pratiques et de tels contrôles, non ?
C’est ma responsabilité de faire en sorte que cela fonctionne. Mon prédécesseur et le vice-président du Gabon ont été congédiés en mai 2019, car ces objectifs n’avaient pas été atteints.
Tout le bois récolté doit être transformé. Ensuite, il est expédié depuis deux ports du Gabon, Libreville et Port-Gentil. Le bois transporté par voie terrestre n’est pas un problème, car 99 % du bois passe par les contrôles portuaires. Par conséquent, si vous arrivez à renforcer les contrôles portuaires et si vous êtes aidés par un procureur qui veut faire changer les choses, et c’est le cas actuellement, et qui bénéficie du soutien du président et du Premier ministre…Au lieu de tout simplement laisser les autorités douanières et forestières s’en charger. Nous avons impliqué la police dans ces contrôles et mis en place des équipes mixtes sous étroite supervision.
Nous avons mené une enquête il y a près de trois mois, nous avons saisi dans le port environ 10 000 m3 de bois illicite. Nous avons adopté un nouveau code pénal il y a environ deux mois, extrêmement strict sur la corruption au sein du gouvernement, dont des sentences minimales de 10 ans de prison, ce qui n’était pas le cas dans le passé.
Nous avons clairement indiqué qu’il s’agissait d’une priorité du gouvernement. Le Premier ministre vient tout juste de lancer une vaste campagne anti-corruption.
En contrôlant les ports…nous n’autoriserons aucun chargement de bois au-delà du port à moins que ces entreprises ne puissent prouver l’origine du bois et son exploitation légale. Ces mesures ont permis de réduire les exportations illicites et nous auditons maintenant toutes ces sociétés pour identifier les sociétés qui opèrent de manière légale et illégale. Ce processus nous permettra d’ici la fin 2020 d’avoir éliminé la majorité du bois abattu de manière illicite. Nous ferons de nouveau appel à l’AIE pour nous auditer et pour faire le bilan des résultats que nous avons atteints. En fait, les procédures de contrôle de l’AIE ont déjà commencé.
Image de banière : Photographie aérienne de Nyonié, Gabon. Photo de Christian Vigna via Wikicommons (CC BY-NC-4.0)
Matthew Hattingh codirige Developing Environmental Watchdogs, un programme de formation de l’agence Roving Reporters.
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2020/02/eco-tourism-isnt-enough-to-develop-a-country-qa-with-gabons-environment-minister-lee-white/