- Des plaignants issus des États-Unis et de cinq pays européens ont déposé plainte contre l’UE auprès de la Cour de justice de l'Union européenne le lundi 4 mars. La plainte concerne la conversion rapide à travers l’UE de centrales électriques au charbon en centrales bioénergétiques produisant de l’énergie par la combustion de pastilles et copeaux de bois. Les politiques énergétiques de l’UE sont dénoncées par des activistes comme imprudentes et dangereuses pour le climat.
- La bioénergie est considérée comme neutre en carbone selon le protocole de Kyoto. Les pays qui l’utilisent peuvent donc l’omettre du décompte de leurs émissions en carbone relatif à l’accord de Paris. Pourtant, des études publiées au cours des vingt dernières années ont conclu que la bioénergie, bien que techniquement neutre en carbone, n’est en réalité pas neutre en carbone dans la période de temps dont le monde dispose pour réduire ses émissions.
- Il faut en effet plusieurs décennies aux nouveaux arbres pour réabsorber le carbone émis lors de la combustion d’arbres adultes. Parallèlement, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat de l’ONU a déclaré en octobre dernier que le monde n’avait que 12 ans, et non pas plusieurs décennies, pour radicalement réduire ses émissions afin d’éviter de probables augmentations de températures et autres conséquences climatiques catastrophiques.
Des plaignants issus des États-Unis et de cinq pays européens ont porté plainte contre l’UE auprès de la Cour de justice de l’Union européenne le lundi 4 mars, un événement sans précédent.
La directive sur les énergies renouvelables adoptée par l’UE en 2018, également connue sous le nom de RED II, oblige les états membres à s’assurer qu’au moins 32 % de leur énergie proviendra de sources renouvelables d’ici à 2030. Selon les plaignants, cette directive va conduire à une augmentation de la demande en pastilles et copeaux de bois du fait de la classification actuelle par l’ONU de la combustion de biomasse comme neutre en carbone.
Cette classification permet aux pays concernés de ne pas comptabiliser dans le total de leurs émissions de CO2 les émissions de carbone dues à la combustion de bois. Le protocole de Kyoto a initialement conclu à la neutralité en carbone de la « bioénergie » il y a plus de vingt ans. De nombreuses études scientifiques ont depuis invalidé ses conclusions. Cette découverte d’une « faille dans le décompte de CO2 émis par la bioénergie » est au cœur de la plainte.
« La politique de l’UE repose sur la supposition fausse et dangereuse selon laquelle la combustion de biomasse est neutre en émissions. Pourtant, des scientifiques du monde entier, y compris ceux qui conseillent l’UE, [l’ont] avertie que la combustion de biomasse conduit en fait à la hausse des émissions de CO2 en comparaison aux combustibles fossiles », explique Mary S. Booth, directrice de Partnership for Policy Integrity, organisme basé aux États-Unis dont les recherches sur la biomasse sont à la source de la plainte.
Ole W. Pedersen, avocat spécialiste de l’environnement à l’université Newcastle Law School, au Royaume-Uni, a confié à Mongabay que quels que soient les mérites de l’action déposée en justice, les plaignants auront les plus grandes peines à établir leur droit de déposer plainte auprès de la Cour de justice de l’Union européenne. Les individus et les ONG ne sont habituellement pas autorisés à attaquer en justice des actes législatifs, à moins de pouvoir prouver que ceux-ci les affectent directement, ce que la plainte tente de démontrer. Seuls les pays membres et institutions de l’UE sont généralement habilités à contester des actes législatifs.
Bien que leur plainte ait peu de chances d’être recevable, Booth a expliqué à Mongabay que les plaignants la perçoivent comme la meilleure action à entreprendre puisqu’ils ont échoué, malgré plusieurs tentatives, à convaincre les leaders européens de faire face à la défaillance du système de décompte des émissions de CO2.
La biomasse émet davantage de CO2 que le charbon
La plainte avance qu’à travers l’UE, des centrales électriques alimentées au charbon sont actuellement rapidement converties à la combustion de pastilles de bois en provenance des forêts du sud-est des États-Unis et d’Europe de l’Est, principalement. En 2016, près de la moitié de « l’énergie renouvelable » produite dans l’UE provenait de combustibles de biomasse ligneuse, selon la plainte, et on s’attend à ce que la demande en bioénergie ne fasse qu’augmenter considérablement à l’avenir.
Selon les chercheurs qui soutiennent la plainte, puisque davantage de pastilles de bois sont nécessaires à la production de la même quantité d’énergie qu’avec le charbon, la combustion du bois émet en réalité plus de CO2 que le charbon. Pourtant, en raison des conclusions obsolètes du protocole de Kyoto en matière de neutralité carbone, ces émissions ne sont pas comptabilisées.
La neutralité carbone de la biomasse se fonde sur l’idée désormais invalidée selon laquelle puisque de nouveaux arbres sont plantés en lieu et place des arbres adultes qui ont été coupés, les émissions de CO2 dues à la combustion du bois sont contrebalancées par cette nouvelle forêt. Une étude du Woods Hole Research Center, dans le Massachusetts, aux États-Unis, a montré au contraire que même si un nombre égal d’arbres était planté, ce qui n’est souvent pas le cas, il faudrait de nombreuses décennies à ces nouveaux arbres pour absorber les émissions de CO2 produites par les tonnes de pastilles de bois qui sont brûlées chaque jour.
Ainsi, même si les émissions finiront un jour par être absorbées et l’équilibre rétabli, ce délai de plusieurs décennies est beaucoup trop long, dans la mesure où il est urgent de s’assurer que les températures ne pourront pas augmenter de plus de 1,5 degré Celsius par rapport aux températures de l’ère préindustrielle. Le monde n’a que 12 ans pour réduire ses émissions de CO2 et éviter un changement climatique catastrophique, selon les conclusions inédites du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat publié en octobre dernier.
Selon les défenseurs de l’environnement qui se sont exprimés lors de la conférence mondiale sur le climat en Pologne en décembre dernier, si la biomasse demeure classée comme neutre en carbone, c’est le dessein de l’accord de Paris sur le climat dans son ensemble qui se trouve fragilisé. Cet accord vise à limiter l’augmentation des températures mondiales à 1,5 degrés Celsius à la fois en réduisant les émissions de CO2 dues aux combustibles fossiles et en préservant les forêts, puits de carbone protégeant également la biodiversité. La faille dans le décompte des émissions de la bioénergie rendrait ces deux objectifs impossibles à atteindre, ce qui provoquerait un dépassement excessif des émissions de CO2 et une augmentation inacceptable des températures jusque dans la zone de danger, préviennent des scientifiques.
Le décompte des émissions remis en question
Selon les défenseurs de l’environnement, si toutes les émissions de CO2 ne sont pas comptabilisées complètement et correctement, particulièrement celles qui sont dues à la combustion du bois dans un contexte où de plus en plus de forêts sont dégradées ou rasées, les émissions de gaz à effet de serre augmenteront, et avec elles les températures mondiales. Dans le même temps, les pays concernés continueront de publier des chiffres indiquant qu’ils atteignent leurs objectifs en matière de réduction d’émissions de carbone.
Il est urgent de refermer cette faille dans le décompte des émissions de CO2, préviennent les scientifiques. Les températures mondiales des cinq dernières années ont été les plus élevées jamais enregistrées. Leur impact sur une variété d’événements climatiques est de plus en plus fort de par le monde : augmentation du niveau de la mer, fonte de la calotte glacière, tempêtes violentes, épisodes de sécheresse, feux de forêts, disparition des récifs coralliens… Cette hausse des températures endommage les écosystèmes, augmente le nombre des réfugiés climatiques et représente aussi une catastrophe économique.
« Cette plainte est nécessaire parce que l’UE a pour l’instant refusé d’étudier les recherches sur la biomasse », a confié à Mongabay Martin Luiga, membre du mouvement Estonian Forest Aid. « Cela signifie que les dommages causés par RED II vont se poursuivre, alors que dans le même temps, les contribuables européens sont floués : ils ne reçoivent pas les bénéfices de cette ‘’énergie verte’’ qu’ils financent. »
Les plaignants, issus de plusieurs pays (Estonie, France, Irlande, Roumanie, Slovaquie et États-Unis), soutiennent avoir déjà souffert des effets de l’exploitation forestière et de la combustion de biomasse. Ceux-ci causeront davantage encore de dommages environnementaux à mesure qu’augmente la demande en pastilles de bois, avancent-ils. Chaque plaignant vient d’une région du monde où des forêts établies, parfois même des forêts anciennes, sont exploitées pour produire des pastilles de bois destinées à l’industrie bioénergétique.
L’un d’entre eux, Kent Robertson, originaire de Williamston, dans l’est de la Caroline du Nord, affirme que les 12 hectares de terres que sa famille cultive et sur lesquels elle vit et chasse depuis 1898 ont été écologiquement endommagés par l’exploitation intensive de pastilles de bois environnante. Des oiseaux et d’autres animaux ont disparu, de même que les forêts qui offraient une protection contre le risque d’inondation et de tempêtes violentes telles que l’ouragan Florence de 2018.
« L’UE se complait à ignorer l’impact que la combustion du bois a sur le climat mondial, et plus particulièrement, sur les forêts et les communautés du sud des États-Unis », selon Adam Colette de l’organisme Dogwood Alliance, basée en Caroline du Nord. Il est témoin dans l’affaire. « Nous devons faire en sorte que l’UE arrête de brûler nos forêts et investisse dans la protection des forêts dans le monde entier ; elles sont notre meilleure défense contre le changement climatique. »
Les arguments en faveur de la bioénergie
Pour sa part, la World Bioenergy Organization, basée à Stockholm, en Suède, est favorable à la combustion de biomasse, y compris de bois, en tant qu’alternative à la combustion de charbon. Interrogé par Mongabay, l’organisme s’est rangé du côté des politiques européennes.
« La bioénergie est une alternative importante à la combustion de carburants fossiles », nous a-t-elle répondu par e-mail. « La bioénergie est neutre en carbone, et la gestion durable de la biomasse pour produire de l’énergie et des produits fait partie du cycle naturel du carbone. »
Des leaders du secteur de l’exploitation forestière ont également avancé qu’ils n’exploitent pas de forêts établies pour produire les pastilles qui sont brûlées, mais des forêts cultivées, des arbres morts, des résidus ligneux issus du sous-bois et les déchets de bois de scieries.
Kate Dooley, chercheuse à l’Australian-German Climate and Energy College de l’université de Melbourne, a contredit ces affirmations dans un entretien accordé à Mongabay.
« Dans l’état du Victoria, où j’habite, nous avons le problème suivant : seuls les résidus de bois peuvent légalement être exploités pour la bioénergie, mais l’industrie du bois reclasse en fait une partie de sa récolte de bois comme résidus, affirme-t-elle. Donc, même si l’on restreint l’usage de biomasse ligneuse à celui des résidus du bois, il n’est pas garanti que les forêts seront protégées. »
L’autorisation de contester la loi sera-t-elle accordée aux plaignants ? Il se peut maintenant que ce soient les tribunaux qui déterminent l’issue de la controverse sur la combustion de biomasse dans l’Union européenne et sur la faille dans le décompte d’émissions de CO2 créée par les Nations Unies.
Image de bannière : Centrale bioénergétique de Drax, au Royaume-Uni. Crédit photo : nican45 tirée de Visualhunt.com / CC BY-NC-SA.
Justin Catanoso, collaborateur régulier de Mongabay, est professeur de journalisme à l’université américaine Wake Forest University, en Caroline du Nord. Suivez-le sur Twitter @jcatanoso
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2019/03/eu-sued-to-stop-burning-trees-for-energy-its-not-carbon-neutral-plaintiffs/