- En Afrique centrale, une analyse signale que les chemins des concessions forestières certifiées sont responsables d’une plus grande perte en matière de paysages forestiers intacts, ou PFI, que les chemins forestiers de celles qui ne disposent pas de la certification.
- Les exploitations forestières certifiées bâtissent bien souvent des réseaux routiers plus conséquents, qui sont plus susceptibles d’apparaître sur les images satellite.
- Les résultats de l’analyse mettent en lumière une contradiction tangible entre la visée de la certification pour la gestion forestière et la protection des PFI, dont certains opposants estiment qu’elle n’a pas sa place parmi les principes du Forest Stewardship Council.
Une analyse récente portant sur les chemins forestiers du bassin du Congo, en Afrique, a révélé que les concessions ayant obtenu la certification délivrée par le conseil de la gestion forestière, le Forest Stewardship Council (FSC) ont perdu davantage de parcelles de forêt intacte que les autres.
Depuis 2014, ces lopins de forêt, appelés paysages forestiers intacts, ou PFI, font partie des objets que défend la politique de l’organisme de certification pour la durabilité. À cette époque, les membres du FSC, qui comptent aussi bien des exploitations forestières que des organisations non gouvernementales pour la conservation, des groupes indigènes et des universités, ont mis en place une mesure exigeant la protection de 80 % des terrains de compagnies certifiées considérés comme des PFI.
Pourtant, lorsqu’une exploitation construit une route à travers une forêt vierge, celle-ci ne peut plus être considérée comme un paysage forestier intact : par définition, un PFI est une zone de forêt qui s’étend sur au moins 500 km2 et qui ne présente aucun signe de présence humaine. Dans l’analyse, l’écologiste tropical Fritz Kleinschrothse et ses collègues ont découvert que les chemins forestiers des concessions certifiées par le FSC étaient plus visibles sur les images satellite que ceux de concessions non certifiées. Ces résultats font ainsi apparaître une contradiction : les propriétaires de compagnies qui souhaitent obtenir la certification pourraient s’en trouver désavantagés.
« Cette définition des PFI, qui se fonde sur l’absence de route, n’est pas compatible avec ce que certifie le FSC », explique Fritz Kleinschroth, chercheur post-doctorat à l’école polytechnique fédérale de Zurich, en Suisse.
Les résultats de l’analyse qu’il a menée avec ses collègues ont été publiés le 29 mai dans la revue Ambio.
Le problème provient notamment de la manière dont les scientifiques détectent la présence des chemins forestiers. Les réseaux routiers établis par les exploitations non certifiées n’apparaissent généralement pas aussi clairement sur les clichés pris par les capteurs installés sur nos satellites. Fritz Kleinschroth affirme que la canopée peut les masquer, mais que même des routes moins bien définies peuvent receler un danger pour la forêt. Ces chemins ouvrent la voie aux travailleurs vers d’autres arbres à couper pour obtenir du bois de feu, et leur laissent de la place pour installer des fermes et se nourrir en chassant la faune locale.
Le post-doctorant explique que les concessions certifiées ont généralement à leur disposition davantage de ressources pour construire de meilleurs réseaux routiers. Pour rester en conformité avec les politiques du FSC, toutefois, elles doivent également faire en sorte que ces chemins limitent les perturbations qui y sont associées.
« Les entreprises certifiées par le FSC déploient bien plus d’efforts, par exemple, pour privilégier d’autres sources de protéines » afin de limiter la chasse, précise-t-il. « Elles font venir de la viande d’ailleurs et la vendent à bas prix à leurs employés, ce qui n’est pas habituel dans les autres concessions. »
Kim Carstensen, le directeur général du FSC, indique que les entreprises certifiées sont également tenues de mettre leurs chemins hors service une fois qu’elles ne les utilisent plus, afin que plus personne ne puisse les emprunter pour accéder à la forêt et que la zone puisse rapidement se remettre de plusieurs années d’exploitation.
De telles mesures seraient bénéfiques à la forêt sur le long terme, soutient Kim Carstensen : « Les entreprises certifiées FSC sont plus susceptibles de favoriser la régénération et la récupération de l’intégrité des parcelles de PFI, car elles mettent en œuvre des mesures de gestion forestière plus efficaces, qui permettent en définitive une meilleure protection.
« Il est important de comprendre que, pour le FSC, les entreprises forestières qui sont certifiées doivent mettre en place des mesures de protection qui, dans un premier temps, limitent leurs répercussions… et qui, dans un deuxième temps, contribuent à la régénération de l’endroit une fois l’exploitation terminée », ajoute-t-il.
Si la certification doit devenir un instrument pour protéger les PFI, à l’image des réserves et des parcs naturels qui n’autorisent aucune activité humaine, l’équipe de Fritz Kleinschroth écrit que la définition des PFI « prend en compte des modèles plus dynamiques et plus réalistes du changement forestier ». Face à un tel changement, une zone peut regagner son statut de PFI une fois qu’elle a eu la possibilité de se remettre.
Peter Potapov, scientifique en télédétection de l’Université du Maryland, explique pourtant que la récupération complète d’une forêt peut prendre un siècle, pendant lequel les hommes ne doivent plus du tout l’exploiter.
En 2017, Peter Potapov et une équipe internationale de scientifiques ont rapporté que l’expansion agricole et l’exploitation forestière, en combinaison avec l’exploitation minière et les incendies, ont entraîné la perte de 7 % des PFI dans le monde entre 2000 et 2013. Des analyses plus récentes prévoient que le rythme de la perte des PFI continuera d’augmenter.
Le scientifique ajoute que même l’exploitation forestière sélective, que les entreprises certifiées FSC pratiquent généralement dans les forêts tropicales, a des répercussions sur les ressources que fournit la forêt. Dans leur thèse de 2017, ses collèges et lui ont relevé l’importance des PFI en tant que refuges pour la biodiversité ainsi que leur rôle de réserve de carbone.
« Si vous commencez à en tirer parti et à donner accès à ces zones, les bienfaits de cette… « protection » disparaissent », assène-t-il. « On ne peut plus les considérer comme des PFI. »
Il soulève également le problème de l’incapacité des entreprises certifiées par le FSC à empêcher d’autres individus de s’aventurer dans la forêt une fois qu’elle a commencé à être exploitée.
« Aussitôt que vous lancez et développez cette infrastructure industrielle, particulièrement en Afrique, il s’en suit une cascade d’effets néfastes », continue Peter Potapov. « Les entreprises ne sont pas en mesure de l’arrêter. »
Il ajoute qu’il est insensé d’intégrer la protection des PFI aux principes du FSC.
« Le FSC ne devrait même pas envisager de tenter de le faire », dit-il. « Il est évident que le FSC ne contribue pas à la protection des PFI. »
Fritz Kleinschroth estime néanmoins qu’il vaut la peine d’essayer de réconcilier certaines des contradictions de la certification.
« Pour moi, il est clair que le FSC fait de gros efforts », défend-il, « et il ne servirait à rien de vouloir presser les choses sous peine de tout faire échouer. »
Il précise encore que, si ce principe très coûteux et fastidieux à mettre en place était imposé à des entreprises qui pourraient en tout autre point obtenir la certification du FSC, celle-ci ne pourrait plus faire partie des « quelques instruments » dont les pays consommateurs disposent pour promouvoir une gestion forestière plus durable dans des régions comme l’Afrique centrale.
« Je suis parfaitement d’accord avec le fait que nous devons tout mettre en œuvre pour protéger chaque recoin de forêt, aussi minuscule soit-il, au nom de la biodiversité », conclut-il. « Mais si notre vision de ce qui doit être fait et de ce qui est possible est trop limitée, et que nous sous-estimons les répercussions des mesures à prendre, nous risquons d’en demander trop aux mauvaises personnes. »
L’image d’en-tête représentant un gorille des plaines occidentales a été prise par John C. Cannon (Mongabay).
John Cannon est un rédacteur de Mongabay basé au Moyen-Orient. Retrouvez-le sur Twitter : @johnccannon
Citations
Kleinschroth, F., Garcia, C., & Ghazoul, J. (2018). Reconciling certification and intact forest landscape conservation. Ambio, 1-7.
Potapov, P., Hansen, M. C., Laestadius, L., Turubanova, S., Yaroshenko, A., Thies, C., … & Esipova, E. (2017). The last frontiers of wilderness: Tracking loss of intact forest landscapes from 2000 to 2013. Science Advances, 3(1), e1600821.
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