- Des données satellitaires indiquent que la plantation de caoutchouc est actuellement à moins d’un kilomètre d’habitats de forêt primaire. Le développement se poursuit, et s’accompagne d’inquiétudes concernant d’une part les menaces qui pèsent sur les espèces menacées vivant à l'intérieur et à l'extérieur du parc, et d’autres part les allégations de violation des droits fonciers communautaires et d’affiliations politiques avec le gouvernement camerounais.
- L’expansion de cette plantation de caoutchouc représente « de loin le plus grand défrichement pour l'agriculture industrielle dans le bassin du Congo » selon Greenpeace.
- L’expansion du caoutchouc devrait également toucher les 9 500 personnes qui vivent dans les villages situés à la périphérie de la réserve. Selon Greenpeace Afrique, Sudcam n'a pas reçu le Consentement Préalable, donné Librement et en Connaissance de Cause (CPLCC) de ces communautés avant d'acquérir les terres. Les habitants ont également affirmé que des parcelles de subsistance leur avaient été confisquées sans qu’ils ne reçoivent de compensations, ou très peu.
- Les membres de la communauté écologiste estiment qu’il est nécessaire, si l’on souhaite un développement durable de l’exploitation du caoutchouc au Cameroun, que les entreprises collaborent avec les ONG de conservation dans le but de créer des zones tampons robustes autour des zones humides et des cours d’eau, d’aménager des corridors pour la faune, d’établir des zones servant à filtrer les écoulements de toxines et de sédiments et de créer des alternatives à la viande de brousse. Ils recomman
Une plantation industrielle de caoutchouc acquiert actuellement des droits fonciers en bordure de la réserve de faune du Dja au Cameroun. Et elle se rapproche, selon une analyse des données satellitaires publiée par Global Forest Watch. Les données montrent que la plantation, exploitée par Sud Cameroun Hévéa (Sudcam) et détenue par la Chine, est actuellement à moins d’un kilomètre (0,6 miles) d’habitats de forêt primaire. L’actuel développement s’accompagne d’inquiétudes concernant d’une part les menaces qui pèsent sur les espèces en danger vivant à l’intérieur et à l’extérieur du parc, et d’autre part les allégations de violation des droits fonciers communautaires et d’affiliations politiques avec le gouvernement camerounais.
Global Forest Watch a analysé les données satellitaires recueillies par le laboratoire GLAD (Global Land Analysis and Discovery ou Terres mondiales, analyses et découvertes) de l’Université du Maryland. Elles indiquent que l’expansion s’accélère. Selon le rapport, 10 kilomètres carrés de couvert forestier ont été affectés entre novembre 2017 et janvier 2018. À ce jour, Sudcam s’est vu attribuer plus de 450 kilomètres carrés (177 milles carrés) de terrain à développer dont plus de 90 kilomètres carrés (35 milles carrés) ont été défrichés. Un rapport de Greenpeace de 2018 considérait cette expansion comme étant « de loin le plus grand défrichement pour l’agriculture industrielle dans le bassin du Congo ».
La biodiversité menacée
Le bassin du Congo contient l’une des plus grandes forêts tropicales au monde. La zone protégée au sein de la réserve de faune du Dja est considérée comme l’une des forêts tropicales les plus préservées et les plus riches en espèces d’Afrique. L’état naturel et la biodiversité de la réserve ont conduit à son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO et comme zone importante pour la conservation des oiseaux. Le Dja abrite 107 espèces de mammifères connues, notamment les gorilles des plaines de l’ouest (Gorilla gorilla gorilla) en danger critique d’extinction, les chimpanzés (Pan troglodytes) et les éléphants de forêt africains (Loxodonta cyclotis) en danger d’extinction ainsi que les pangolins géants (Smutsia gigantea) classés comme vulnérables. La réserve abrite également le peuple autochtone Baka, qui maintient un mode de vie traditionnel de chasseurs-cueilleurs dans la forêt.
Le développement de l’industrie agroalimentaire est actuellement l’une des trois principales menaces pesant sur la biodiversité de la région du Dja, selon Manfred Aimé Epanda, coordinateur national pour Africa Wildlife Foundation (AWF ou Fondation africaine pour la faune et la flore sauvages). Il a déclaré que le braconnage, une autre menace majeure, risque d’être aggravé par l’augmentation de la circulation humaine et de l’accessibilité, résultant de l’expansion des plantations. Défricher la forêt pour créer des plantations fragmentera également l’habitat des primates, menacés d’extinction et perturbera les corridors fauniques utilisés par les éléphants de forêt, a indiqué Epanda. En outre, les voies navigables situées à proximité, risquent d’être exposées à la pollution par les pesticides et à la sédimentation, en raison du ruissellement agricole et de l’érosion.
« Une étude stratégique mesurant l’impact de la plantation à la périphérie du Dja est nécessaire pour comprendre les effets sur la biodiversité », a déclaré Epanda à Mongabay dans un courriel.
Tandis que la réserve renferme les zones les plus préservées, la concession accordée à Sudcam comprend également des parties denses de la forêt tropicale. Selon un document publié en 2016 par le Centre pour la recherche forestière internationale (Center for International Forestry Research ou CIFOR), une évaluation mesurant l’impact des plantations de caoutchouc sur l’environnement a révélé que « la zone du projet contenait une biodiversité sauvage abondante ». Le CIFOR conclut en disant que le développement de l’industrie du caoutchouc « pourrait avoir un impact négatif majeur sur l’importante biodiversité [de la région]… notamment par la destruction du couvert végétal, par l’accroissement de la chasse et du braconnage ainsi que par la perturbation de la faune.
Communautés à risque
L’expansion du caoutchouc devrait également toucher les 9 500 personnes qui vivent dans les villages situés à la périphérie de la réserve. Selon Greenpeace Afrique, Sudcam n’a pas obtenu le Consentement Préalable, donné Librement et en Connaissance de Cause (CPLCC) de ces communautés avant d’acquérir le terrain. Selon les termes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), le CPLCC est un droit permettant aux peuples autochtones d’accorder ou de refuser leur consentement à un projet qui pourrait les affecter ou toucher leurs terres. Le Cameroun fait partie des pays ayant voté en faveur de la Déclaration lors d’une session de l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2007. Dans le cas de Sudcam, les habitants concernés ont affirmé que des parcelles de subsistance leur avaient été confisquées sans qu’ils ne reçoivent de compensations, ou très peu, déclara Sylvie Djacbou, chargée de campagne forêt pour Greenpeace Afrique, à Mongabay.
« Les Baka soulignent également le fait que des tombes et des sites sacrés très importants pour eux sur le plan spirituel avaient également été détruits », a déclaré Sylvie Djacbou.
Alors que l’article du CIFOR déclare que Sudcam avait l’intention de « construire des infrastructures sociales et économiques destinées aux communautés locales », Greenpeace affirme que les membres de la communauté interrogés ont dit que ces infrastructures n’étaient pas accessibles. « L’école et l’hôpital censés être construits pour les communautés se situent au centre de la concession et sont inaccessibles aux membres des communautés locales », a déclaré Sylvie Djacbou. « Étant donné que l’école et l’hôpital sont tous deux situés à l’intérieur du camp des employés de Sudcam, nous pouvons supposer qu’ils sont destinés aux employés et non aux communautés. »
En outre, les experts fonciers estiment qu’au Cameroun, les lois sur l’expropriation ne reconnaissent pas les droits fonciers coutumiers. Le rapport du CIFOR indique que « cela a des conséquences particulièrement graves pour les populations des minorités qui ne possèdent pas de titres de propriété officiels et se fient au respect des règles d’accès coutumières pour leur subsistance ».
Manque de transparence
Les opposants considèrent que le développement des plantations s’est accompagné d’un manque de transparence, ajoutant au mécontentement des communautés locales. Selon le CIFOR, Sudcam a obtenu une concession temporaire de plus de 450 kilomètres carrés par décret présidentiel en 2008. Cependant un rapport annuel de 2013 produit par la société mère de Sudcam, GMG Global Ltd., cite Sudcam comme propriétaire absolu du terrain à l’origine loué. Depuis novembre 2016, GMG Global opère en tant que filiale de Halcyon Agri Corporation Ltd.
« Pour Greenpeace, la loi camerounaise ne prévoit pas l’attribution en pleine propriété de domaine nationale, et le bail foncier de Sudcam, daté d’avril 2013, indique clairement que la plantation se situe sur un domaine national », a déclaré Sylvie Djacbou.
De plus, le rapport du CIFOR indique que certaines portions de la concession détenue par Sudcam avaient été temporairement accordées à des sociétés d’exploitation forestière, expulsées depuis pour développer des plantations de caoutchouc. Étant donné que, selon la loi, le domaine national du Cameroun ne peut être concédé que si le terrain n’est pas en cours d’occupation ou d’utilisation, les auteurs du rapport écrivent que cela suggère une autre violation. Dans son enquête, le CIFOR a appris que 20% des actions de Sudcam étaient détenues par un « membre influent de l’élite politique camerounaise » non identifié. Ce manque de transparence et l’insinuation de liens avec le gouvernement camerounais ont suscité des rumeurs sur les motivations politiques derrière l’octroi du terrain à Sudcam.
Dans le cadre d’entretiens auprès de 25 communautés touchées par la plantation, Greenpeace Afrique a appris que les membres des communautés craignaient de partager leurs préoccupations avec la compagnie et les autorités locales en raison de la croyance répandue que la famille du président était directement liée à la plantation. Selon l’organisation, la présence d’un manoir appartenant au président Paul Biya à proximité de la plantation alimente également cette conviction.
Des preuves récentes suggèrent également que Sudcam utiliserait des terres en dehors de sa concession. Dans un rapport intitulé « Tempête annoncée », l’organisation de recherche environnementale à but non lucratif, Earthsight, a constaté que Sudcam avait défriché environ 3,3 kilomètres carrés (1,3 miles carrés) de forêt en dehors des limites de la concession. Bien que des autorisations supplémentaires aient pu être accordées à Sudcam sans que Earthsight en ait eu connaissance, « il est notable que Halcyon Agri, société mère de Sudcam, n’en ait pas profité pour démentir cette allégation avant la publication », a déclaré Sam Lawson, le directeur de Earthsight, à Mongabay.
Mongabay s’est adressé à Sudcam, Halcyon Agri et au gouvernement camerounais pour obtenir des commentaires, mais n’a reçu aucune réponse au moment de la publication. Dans une réponse aux rapports de Earthsight et de Greenpeace publiée le 27 avril, Halcyon Agri a nié tout lien avec le gouvernement et le déboisement de la forêt en dehors de sa concession, et a contesté les allégations de violation des droits fonciers.
Recommandations pour aller de l’avant
Manfred Aimé Epanda de l’AWF a déclaré à Mongabay qu’il existait plusieurs moyens d’atténuer les impacts négatifs que peut avoir l’expansion du caoutchouc sur l’environnement. Ceux-ci comprennent la collaboration avec des ONG de conservation pour créer des zones tampons robustes autour des zones humides et des cours d’eau, aménager des corridors fauniques entre les plantations, établir des zones pour filtrer l’écoulement de toxines et de sédiments, et créer des alternatives à la viande de brousse.
Au niveau national, Greenpeace Afrique « demande au gouvernement camerounais de suspendre les contrats de location octroyés à Sudcam jusqu’à ce que des conditions préalables et modalités claires soient établies ». Greenpeace recommande également une planification participative de l’utilisation des sols et une transparence accrue. Cela inclurait l’obtention du Consentement Préalable, donné Librement et en Connaissance de Cause (CPLCC) des communautés vivant dans les zones considérées pour le développement.
Selon Sam Lawson de Earthsight, les pays destinataires du caoutchouc de ces plantations, tels que les États-Unis et l’Union Européenne, doivent également prendre leurs responsabilités. « Ces gouvernements doivent prendre des mesures, comme ils l’ont déjà fait pour le bois, pour obliger les importateurs à procéder aux vérifications nécessaires afin de s’assurer que leurs produits et matières premières aient été achetés légalement dans les pays d’origine ».
« Ils doivent également utiliser leur influence pour encourager les gouvernements des pays producteurs comme le Cameroun à améliorer la gouvernance foncière, notamment en améliorant considérablement la transparence en matière de licences. »