- Sur les 5 dernières années environ 500 km² de zones de défrichements ont fait place à de nouvelles plantations de caoutchouc et de palmiers à huile dans les pays d'Afrique centrale d’après les rapports d’Earthsight.
- Earthsight a également constaté que des entreprises détiennent des licences d'agriculture industrielle sur 8 400 km² de terre réparties dans cinq pays d'Afrique centrale.
- Les enquêteurs avertissent que des milliers d'hectares de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde pourraient être perdus dans le bassin congolais si la gouvernance des forêts ne s'améliore pas.
Dans le bassin du Congo, la deuxième plus grande forêt tropicale du monde est au bord de la destruction. Des milliers de kilomètres carré sont menacés, d’après le nouveau rapport publié par Earthsight, organisation à but non-lucratif étudiant les problèmes environnementaux mondiaux.
Sur les 5 dernières années environ 500 km² de zones de défrichements ont fait place à de nouvelles plantations de caoutchouc et de palmiers à huile dans les pays d’Afrique centrale d’après les rapports d’Earthsight. L’organisation a également constaté que des entreprises du Cameroun, du Gabon, de la République Centrafricaine, de la République du Congo et de la République démocratique du Congo (RDC) détiennent des licences d’agriculture industrielle sur 8 400 km² de terre. Leurs recherches dévoilent que les autorités gouvernementales ont accordé plusieurs de ces concessions sans transparence, et dans certains cas, en violant les lois visant à protéger les forêts. Les impacts de telles actions sont dévastateurs pour les communautés locales.
A l’échelle mondiale, la conversion illicite des forêts en terres agricoles a entraîné près de la moitié de la déforestation des forêts tropicales entre 2000 et 2012.
Les prix particulièrement bas du commerce de l’huile de palme et du caoutchouc sur les marchés mondiaux de produits de base a freiné la conversion des zones forestières en RDC pour l’instant, explique Sam Lawson, directeur exécutif d’Earthsight dans une interview. Le manque de routes et d’infrastructures fonctionnelles dans la majorité du Bassin du Congo fait de la région un endroit compliqué et coûteux pour les entreprises agricoles, a-t-il dit, de sorte que les prix doivent être suffisamment élevés pour justifier les surcharges.
Selon M. Lawson, les producteurs manquent de terres en Asie du Sud Est et dans d’autres parties du monde où l’huile de palme et le caoutchouc sont cultivé depuis des décennies. Le problème se répétera donc forcement sur l’Afrique tropicale afin d’assurer la production continue des produits de base.
“La demande de matières premières en Chine continue de croître et les terres disponibles dans les zones de production traditionnelle ne cessent de diminuer “, s’alarme M. Lawson. Le rapport révèle que plusieurs des plus grandes entreprises opérant dans la région le font de manière illégale, y compris deux sociétés liées en République du Congo.
En 2013, le gouvernement de la République du Congo a autorisé la société Lexus Agric à planter des palmiers à huile et des arbres à caoutchouc sur une zone forestière de 500 km² dans le sud du pays. Les contrats en question n’ont pas été rendu publics.
Le permis d’exploitation de Lexus Agric a expiré en juin 2016 dans la région, pourtant des images satellites révèlent que l’entreprise a continué à créer des chemins forestiers et à défricher la forêt jusqu’en juillet de cette même année. La société ne s’est pas privé d’empiéter sur les zones d’habitats essentiels appelées “paysages forestiers intacts”.
Secrets de Polichinelle
Durant le processus du défrichement illégal sur la concession Lexus Agric en 2016, Jeremie Issamou n’a pas tenue sa langue. Le directeur de l’entreprise a publié la photo du camion transportant un énorme tronc de bois en dehors de la forêt, sur Facebook. Le directeur général de l’Agriculture de la République du Congo, Simon Dieudonné Savou, a commenté la publication d’un avertissement qui encourageait la concession d’arrêter de se vanter de cette “activité secondaire” pouvant conduire à des sanctions à l’encontre de l’entreprise.
Savou n’a pas répondu à notre demande d’interview. Issamou nous a répondus mais a refusé de commenter les conclusions du rapport.
En 2010, le gouvernement de la République du Congo a doté la société Atama Plantation d’une concession de 4 700 km² afin de développer une plantation de palmiers à huile. Issamou était anciennement à la tête de cette société. Cette étendue abrite de grandes populations de chimpanzés et de gorilles, ainsi que des tourbières riches en carbone et des paysages forestiers intacts.
Dès 2011, les activités de l’entreprise ont ralenti pour cause d’allégations accusatrices soulignant le manque d’études conformes de l’incidence sur l’environnement. Earthsight a déclaré qu’en 2016 l’entreprise commerçait effectivement dans la filière bois, coupant et transformant les arbres que ses employés abattaient pour la vente.
Des activités illicites
Les grandes entreprises agricoles passent souvent au peigne fin des “O.N.G. de surveillance” et des consommateurs si elles s’engagent dans des commerces douteux. Lawson et son équipe ont constaté que les entreprises qui ne sont pas traditionnellement issues de l’agriculture détiennent un certain nombre de licences de plantations agricoles à grande échelle dans le bassin du Congo. A cette échelle les entreprises sont protégées des critiques extérieurs.
D’après un rapport d’Earthsight, Greenfil gagne le prix de la déforestation la plus rapide de la région. Nana Bouba, propriétaire multimillionnaire de Greenfil, prévoit d’utiliser l’huile de palme de la concession pour fabriquer du savon pour le marché camerounais par l’intermédiaire d’une autre société qu’il possède nommé Azur.
Il existe peu d’information publique sur le projet Greenfil dont on ne connaît pas la superficie (estimation allant de 300 à 1 230 km²). De récentes observations satellitaires d’Earthsight ont révélé que la zone de défrichement se situe à moins de 5 kilomètres de la Réserve d’Ebo, site d’un projet de parc national et de sanctuaire pour les sous-espèces de chimpanzés (Pan troglodytes ellioti) en voie de disparition au Nigeria-Cameroun.
À l’étranger, les producteurs se protègent derrière l’opacité des sociétés-écrans. Jusqu’en 2017, un groupe malaisien appelé Wah Seong possédait partiellement la plantation d’Atama depuis 2012. Depuis que les allégations d’illégalité sur le domaine d’Atama se sont multipliées l’année dernière, Wah Seong a vendu sa participation à Agro Panorama, une société-écran en Malaisie qui est également liée à quelques 250 autres sociétés.
Mongabay a tenté de contacter les représentants de Wah Seong et d’Atama mais n’a reçu aucune réponse.
M. Lawson souligne que si la demande faisait à nouveau grimper les prix de l’huile de palme et du caoutchouc sur les marchés internationaux, beaucoup d’entreprises trouveraient plus d’intérêts à mener à bien les projets de manière peu scrupuleuse. “Il y a assez de marchés pour qu’ils puissent vendre leurs produits.” ajoute-t-il.
Des mesures de protections
Les grandes entreprises sont davantage prédisposées à lisser les illégalités rattachées à leurs chaînes d’approvisionnement d’huile de palme et de caoutchouc afin de protéger leur image, tandis que certains autres acteurs ne sont pas incommodés par de telles préoccupations.
“Ces entreprises sont loin d’être sensibles aux influences habituelles” explique M. Lawson. “C’est un des risques auquel nous faisons face quand nous accordons trop d’importance aux engagements volontaires d’une entreprise associée à ces produits forestiers à risque pour lutter contre la déforestation”.
Lawson explique que les responsabilités de la filière bois ont été rehaussées grâce à la régulation européenne sur le bois, la Loi Lacey aux États-Unis, ainsi que d’autres accords et partenariat volontaires entre les pays producteurs de bois et les acheteurs européens. De plus d’autres stratégies similaires visant à améliorer la durabilité et la légalité de l’agriculture industrielle pourraient réduire l’impact environnemental négatif, si celles-ci se centrent sur les sources de matières premières telles que l’huile de palme et le caoutchouc.
“C’est d’une approche réglementaire dont nous avons besoin. Aussi bien du côté de l’offre que de la demande” souligne M. Lawson.
Mais à l’heure actuelle, ces mêmes règles et régulations ne s’appliquent pas aux titulaires de permis de conversion.
Certains mécanismes de financement, tels que REDD+ (soit “la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts” ), dont se servent les pays riches pour payer les pays en développement afin de maintenir leur couvert forestier, pourraient octroyer aux donateurs le ” pouvoir souple ” de faire pression pour une meilleure gouvernance de l’agriculture industrielle. Ces efforts impliquent des centaines de millions de dollars.
D’après Lawson, si [les donateurs] employaient les mêmes efforts pour faire pression sur le gouvernement afin d’obtenir une meilleure preuve de transparence en ce qui concerne l’octroi de licences pour le caoutchouc et l’huile de palme, l’usage de leur influence serait beaucoup plus constructif.
Les prix de l’huile de palme et du caoutchouc ne demeureront pas toujours bas, a-t-il ajouté, il est donc essentiel de trouver des moyens de tirer le meilleur parti de cette opportunité.
“Tous les ingrédients sont en place si nous voulons inévitablement répéter la catastrophe causée par l’agriculture industrielle dans d’autres forêts tropicales du monde “, explique-t-il dans un communiqué. “Il y a encore une chance d’empêcher cela, mais le temps presse.”
La photo de la bannière représente un Gorille des plaines occidentales au Cameroun. Photo de John C. Cannon/Mongabay.
Retrouvez John Cannon sur Twitter : @johnccannon
CITATIONS
Greenpeace, University of Maryland, World Resources Institute and Transparent World. “Intact Forest Landscapes. 2000/2013” Accessed through Global Forest Watch. www.globalforestwatch.org.
“Mining concessions.” Accessed through Global Forest Watch. www.globalforestwatch.org.