- La tortue peinte d’eau douce (Batagur borneoensis), en danger de disparition, est l’une des 25 tortues les plus menacées dans le monde, selon la Coalition pour le sauvetage de la tortue - le nombre de survivants en Indonésie et en Malaisie est inconnu.
- L’espèce est sous une énorme pression à cause du braconnage de ses œufs et de l’agro-industrie, qui dégrade et transforme sa rivière, ses plages et ses mangroves en lieux d’aquaculture pour les poissons et crevettes et en plantations d’huile de palme.
- Joko Guntoro et la Fondation Satucita - avec l’aide du zoo de Chester d’Angleterre, du zoo de Houston au Texas, et de l’Alliance pour la Survie de la Tortue (TSA) - ont construit un établissement de base en Indonésie et ont incubé avec succès plus de six cent petits qui doivent être relâchés cet automne.
- C’est une mystérieuse espèce, et les scientifiques ne connaissent rien de la migration ou des comportements juvéniles ou adultes de la tortue d’eau douce peinte - les clés de la conservation. Malheureusement, les chercheurs peu subventionnés n’ont pas les fonds pour traquer l’espèce via des satellites.
La plupart de l’année, la tortue peinte d’eau douce porte mal son nom. La carapace de cette grande tortue de rivière Asiatique est généralement d’un gris/brun banal. Mais pendant la saison de reproduction, le mâle connaît une transformation épatante. La couleur de sa carapace s’éclaircit et exhibe fièrement des marques noires tape à l’œil. Comme si cela ne suffisait pas à attirer les dames, sa tête devient toute blanche, et une resplendissante section rouge se développe entre les yeux – en faisant l’une des tortues les plus remarquables et belles de façon unique, d’après la Coalition pour la survie de la tortue, qui classe la tortue peinte parmi les 35 tortues terrestres ou d’eau douce les plus menacées du monde.
Quand Joko Guntoro voit ces teintes vives, il songe au drapeau Indonésien aux mêmes couleurs et à l’extraoridinaire biodiversité de son pays. « L’Indonésie a perdu de nombreuses espèces, par exemple le tigre javanais. Je ne veux pas que ma région, mon pays, perde la tortue peinte. Alors je fais ce que je peux. »
Guntoro est le fondateur et directeur de programmes de la Fondation Satucita, une petite organisation populaire œuvrant à sauver la tortue peinte dans ce qui est sans doute son dernier lieu fort Indonésien – une région dans la pointe Nord-Ouest de Sumatra nommée Aceh Tamiang, une régence de 1939 kilomètres carrés. La fondation prépare actuellement la mise en liberté historique de centaines de petits.
La lutte pour survivre
En 2009, on ignorait s’il restait des tortues peintes (Batagur borneoensis) à Aceh Tamiang. Cela faisait treize ans que l’UICN avait classé l’espèce comme étant en danger critique de disparition. Guntoro est donc parti chercher les animaux sur les plages de ponte et dans les filets de pêcheurs.
Son enquête d’un an n’a trouvé que neuf adultes.
Il découvrit que les tortues peintes d’Indonésie étaient devenues les victimes d’une liste trop familière d’attaques auxquelles l’espèce a toujours dût faire face, notamment en Malaisie, au Brunei, et en Thaïlande, où elle a désormais disparu. Comme tous les chéloniens, sa viande et ses œufs sont délicieux, et sa beauté est très valorisée dans le commerce d’animaux domestiques, tandis que son habitat disparaît rapidement.
Bien que les femelles fassent leur nid sur des plages d’océan, la tortue peinte vit principalement dans des forêts de mangrove et estuaires de rivières. C’est là qu’elle trouve des troncs où se reposer. Et c’est là qu’elle cueille de la végétation riveraine qui tombe, comme des mannes du paradis, dans l’eau. Cela explique son museau retroussé, qui l’aide à manger à la surface.
Mais les forêts de mangrove d’Aceh ont été abattues pour la production charbonnière ou converties en plantations d’huile de palme. Et, sur les plages de ponte que la tortue peinte partage avec les tortues de mer, sa descendance (née en portées de 10 à 12 œufs) est particulièrement vulnérable par rapport à une tradition et un commerce anciens, désormais illégaux.
« Les tortues peintes d’eau douce sont généralement des « nideurs », c’est à dire qu’elles utilisent les même sites de nidation d’une année à l’autre, et elles couvent à peu près en même temps [aussi] », dit Rick Hudson, , le président et PDG de L’Alliance pour la Survie de la Tortue (TSA). « Historiquement, depuis des centaines d’années, les locaux savent où elles font leurs nids, donc il leur est facile de sortir récolter les œufs ».
Après que Guntoro ait découvert ces neuf tortues, il s’est consacré à la conservation de l’espèce – pas évident en voyant le manque de fonds et les obstacles logistiques. Il quitta son métier au Programme de conservation de l’orang-outan de Sumatra et pris le parti du chélonien nettement moins charismatique car, en ces propres mots, « quelqu’un doit faire quelque chose pour aider cette espèce ».
À l’origine, ses efforts étaient simples et sans haute technologie. Il rassembla quelques douzaines d’œufs – principalement achetés à des pêcheurs – et les incuba dans des boîtes de polystyrène pleines de sable, à l’intérieur d’une maison non loin, afin d’éviter les prédateurs. Dix œufs seulement ont éclos cette première année.
Puis, en 2011, financée par TSA, la fondation Satucita construisit une simple facilité de base pour incuber les œufs et élever les bébés. Une fois que les jeunes tortues atteignaient une taille d’environ 12 centimètres, elles étaient relâchées.
Ces cérémonies de libération étaient conduites avec beaucoup de fanfare et d’éclat. Tout le monde est venu voir les bébés se presser dans l’eau : le chef de la police et le commandant militaire local, des troupes de scouts et des villageois. Mais cette stratégie élémentaire d’incubation-mise en liberté n’a obtenu qu’un succès minimal. Au total, seulement 300 petits ont été relâchés, et l’année dernière, seulement 10% des œufs recueillis ont éclos.
Un meilleur chemin vers la conservation de la tortue peinte
Dr Gerardo Garcia, le Conservateur des anamniotes et invertébrés au Zoo de Chester du Royaume-Uni, a une théorie quand au taux bas d’éclosion. Il affirme que le centre d’incubation – à presque 20 km des plages de ponte – est loin d’être idéal. « Les œufs peuvent être sensibles à toute secousse ou rotation, ou tout changement de température, ce qui peut impacter l’embryon. Alors un déménagement très doux des portées, sans aller loin, est la clé du succès ».
Il parle d’une nouvelle stratégie qu’essaie cette année la Fondation Satucita, basée sur les recommandations de Garcia et Hudson. Appuyée par des fonds provenant des zoos de Chester (Royaume-Uni) et Houston (Texas), ainsi que de TSA, la fondation paie deux patrouilles 24/7 sur deux plages de ponte près de l’océan.
Ce n’est pas une mince affaire : la patrouille doit trainer toute sa nourriture, son eau et ses affaires jusqu’aux plages de ponte lointaines. Une nouvelle équipe arrive toutes les deux semaines. Lors de cette opération de cinq mois, même Guntoro a participé à la garde.
Quel est le plus difficile dans cette mission ? « Nous ne pouvons parler qu’à trois personnes par jour. C’est très stressant, psychologiquement, » nous confie Guntoro. « Nous nous moquons de la nourriture, nous nous intéressons à qui nous parlons ! »
Les équipes patrouillent après la tombée de la nuit et avant l’aube, marchant plus de sept kilomètres par nuit. Quand elle trouve une nouvelle ponte, l’équipe ré-enterre soigneusement les œufs dans une zone clôturée sur la même plage. Cela les protège des sangliers sauvages cherchant une proie facile.
Guntoro a remarqué que – à cause du manque de compagnie humaine diverse – les sangliers sont souvent bien accueillis. « En fait, les sangliers sauvages sont très amicaux. Quand nous somme stressés et nous en voyons un, peut-être que nous lui disons ‘bonjour’ ! »
Les pêcheurs sortis collecter les œufs sont souvent moins congéniaux et moins faciles à convaincre. « Nous leur parlons, parfois une heure. Nous leur demandons de ne pas collecter ces œufs. Nous leur disons que nous faisons cela pour que leurs enfants puissent voir cette espèce ».
Cela aide que Guntoro ait embauché des pêcheurs comme membres de patrouilles. « Ils viennent du même village. Ils se connaissent ». Cette technique de recrutement local qui a fait ses preuves est pratiquée avec succès depuis plusieurs décennies, depuis que l’herpétologue renommé et écologiste pionnier Archie Carr l’a employée pour la première fois dans les années 50, dans des communautés en bord de mer au Costa Rica, afin de conserver les tortues de mer vertes.
Guntoro dit que lui et son équipe ont, en fin de compte, réussit à dissuader les locaux de prendre les œufs. Gerardo Garcia, un conservateur du zoo de Chester, affirme que ceci témoigne de l’importance d’impliquer les locaux dans la conservation. « Je pense que ci j’essayais de convaincre les pêcheurs [de ne pas prendre les œufs], notre taux de succès serait très bas ! »
Malheureusement pour les tortues peintes, une troisième plage de ponte, encore plus difficile d’accès – à deux heures de bateau – reste sans défense, et il n’y a pas les fonds pour embaucher assez de gardes. On ne sait combien d’œufs de tortue peinte sont braconnés et pris à ces nids.
Les statistiques indiquent que les luttes contre l’ennui, les sangliers et les pêcheurs en valent le coup. Le triste taux de réussite de 10% pour les œufs transportés l’année précédente est passé à 70% pour les œufs gardés sur la plage – entraînant la naissance de 666 petits, qui seront relâchés en Novembre.
Garcia du zoo de Chester a l’intention d’être présent quand les petits nagent vers la liberté. Il espère mobiliser des étudiants vétérinaires indonésiens pour rassembler des données de base sur la santé des petits. Tous les jeunes animaux seront marqués, avec des puces électroniques ou des entailles sur leurs carapaces.
Alors, poursuit Garcia, commence le travail critique mais peu sexy. « Le suivi au long terme est souvent difficile, et moins attractif au yeux des supporters et médias. Mais ce n’est que en suivant ces mises en liberté que l’on sait si on a bien agi ou non ».
Mystères de la migration des tortues peintes
Il y en a beaucoup que les chercheurs ignorent de la tortue peinte, dont ses comportements reproductifs sous-marins et, plus important, ses modèles de migration.
En Décembre de l’année dernière, trois petits ont été relâchés équipés d’émetteurs-radio, une première pour l’espèce. Guntoro a découvert que les animaux ont d’abord fait un voyage impressionnant de 19 km à partir du site de mise en liberté, mais l’équipe ne reçoit aucun signal depuis Mai.
Il est important de savoir précisément où la tortue peinte vit et bouge le long de la rivière Tamiang, car une législation, défendue par la fondation Satucita et qui sera soumise au vote plus tard cette année, doit désigner une zone protégée pour l’espèce. Mais où devrait être cette zone protégé et de quelle taille ? Les conversationnistes ne sont pas certains, et ne sont pas tous d’accord.
« Ils peuvent franchir d’énormes distances, » dit Hudson du TSA, en parlant des Batagurs, le gène auquel appartiennent les tortues peintes d’eau douce. Et les traquer par radio est notoirement difficile et long. « Nous relâchons sans cesse les tortues de rivière – Batagur baska, une espèce proche de la tortue peinte – en Inde et au Cambodge, et elles disparaissent et réapparaissent, » raconte Hudson. « Où sont-elles allées ? Un groupe au Cambodge est parti en mer et a fini dans une autre rivière.
Et dans un [lieu] comme Sumatra – où l’animal va en mer puis trouve une rivière et migre en la remontant- ce sont des écosystèmes complexes qui se prêtent mal à la traque radio traditionnelle».
Hudson reconnaît que la traque par satellite est une façon idéale de surveiller des tortues de rivière éloignées, mais chère. « C’est comme ça qu’on en apprend sur les tortues de mer. Mais les [chercheurs] des tortues de mer ont beaucoup d’argent ».
Pour l’heure, la Fondation Satucita doit se contenter de suivre les tortues relâchées par radio. Garcia reconnaît que c’est un travail fastidieux, et parfois peu fiable, mais affirme que les données obtenues seront vitales : « Ça n’aura aucune valeur de protéger les zones de ponte, par exemple, si les zones de développement sont sous haute pression. [Nous] ne voyons pas les jeunes avant qu’ils soient devenus assez grands. Alors où ils vont est un mystère. Traquer les espèces est un grand défi, mais il faut les marquer individuellement, les attraper directement, travailler avec la communauté si les tortues sont prises dans des filets, et les traquer par radio ».
Tout le monde s’accorde à dire que cartographier la route de la tortue peinte est essentiel pour déterminer les stratégies de conservation optimales. Hudson et Guntoro, par exemple, débattent actuellement du meilleur endroit où relâcher les petits : plages en bord d’océan ou rivières locales. Les plages exposées sont plus risquées pour les jeunes tortues, mais elles imitent les cycles naturels de l’espèce. Les rivières donnent une meilleure chance de survie, mais risquent d’interférer avec l’instinct de faire son nid sur une plage en bord d’océan – bien que nul n’en soit certain.
Jusque là, Guntoro a effectué toutes ses misez en liberté dans des rivières. Mais pour la grande mise en liberté de cet automne, le conversationniste ne met pas tous ses œufs de tortue dans le même panier : la fondation relâchera à la fois dans des rivières et des zones d’océan.
L’avenir des tortues peintes
Est-ce que ce travail permettra aux tortues peintes d’Aceh Tamiang de se remettre et peut être de prospérer ? Garcia appelle à la patience : «On ne pourra pas dire avant dix ans, car c’est une espèce à la vie longue ».
Ce qui aidera, insiste-t-il, sera le lien entre la conservation de l’espèce et la santé et préservation de l’écosystème de mangroves de la région. « Tout le monde [en Indonésie] relie désormais les mangroves à la protection contre les tsunamis et aux bonnes pêches », observe Garcia. « Donc, d’une tortue que l’on voit à peine à moins qu’elle soit coincée dans un filet, on passe au bien-être humain, à la qualité de vie, et à la nourriture ».
En s’appuyant sur les nombres les plus récents de nids, Guntoro, qui est également l’éditeur associé du Asian Journal of Conservation Biology, estime qu’il y a désormais 400 tortues peintes dans la rivière Tamiang. Ailleurs, dans la rivière Setiu en Malaisie et dans d’autres courants d’eau – où WWF-Malaisie œuvre à conserver les tortues peintes – les chiffres sont peut-être encore viables.
Mais Guntoro ne dépend pas d’autres associations et pays pour sauver l’espèce. Dans le cadre de son effort pour décourager la collecte d’œufs, il a fait des présentations à des milliers d’élèves et villageois Indonésiens pour les éduquer sur la valeur des espèces en danger d’extinction, qui se battent pour survivre parmi eux. Et le gouvernement indonésien a reconnu le travail en cours de Guntoro : Guntoro était un finaliste pour le prix Kalpataru de cette année, un prix distribué par le Ministre de l’Environnement et de la Foresterie.
Le chercheur a particulièrement hâte de mettre en liberté des centaines de petits en Novembre – un tournant pour son organisation, et, espérons-le, pour l’avenir des tortues peintes en Indonésie.
« J’espère que, en en relâchant autant, on sensibilisera les gens aux espèces rares qu’il y a ici», dit-il, afin que la tortue peinte « puisse être une source de fierté pour eux ».