- 1,500 orangs-outans vivent actuellement dans des centres de sauvetage situés à travers Sumatra et Bornéo, et plusieurs conservationnistes, avec l’appui du gouvernement indonésien, souhaitent les réintroduire en milieu sauvage le plus vite possible. Cependant, une nouvelle étude suscite de sérieuses inquiétudes.
- On estime que les trois sous espèces reconnues d’orangs-outans de Bornéo — issues de trois régions distinctes — ont divergé les unes des autres il y a 176,000 ans, ce qui signifie que leur hybridation risque d’avoir des conséquences génétiques néfastes.
- Si cette descendance hybride se reproduit, la combinaison de gènes bénéfiques à une lignée risque d’être entravée, entrainant une santé défaillante et l’amoindrissement des chances de reproduction. Cette « dépression hybride » pourrait menacer à long terme la survie des individus et des populations de l’espèce.
- Certains scientifiques réfutent les désignations des sous espèces d’orangs-outans et préféreraient que les animaux soient rapidement ramenés en milieu sauvage, quel que soit le lieu de leur relocalisation. D’autres estiment qu’en effectuant des tests génétiques sur les animaux sauvegardés et en les réintroduisant dans une région abritant une sous espèce similaire on empêchera le processus d’hybridation, ce qui serait l’approche la plus prudente à adopter.
On estime que 1,500 orangs-outans vivent actuellement dans des centres de sauvetage et de réhabilitation à travers Sumatra et Bornéo. Avec la progression de la perte d’habitat causée par la déforestation et les feux de forêt, ces institutions luttent pour faire face à la demande.
Leur remise en milieu sauvage est l’objectif ultime et prioritaire pour la plupart de ces animaux, mais une nouvelle étude soulève la question de la possibilité de sérieuses implications génétiques pour la descendance des animaux réintroduits — et les populations d’orangs-outans en général — si les espèces sauvegardées d’une région sont déplacées vers une région différente.
Cette étude, menée par le primatologue Graham Banes, a examiné les conséquences génétiques du croisement d’orangs-outans issus de sous espèces différentes et divergentes. On estime que les trois sous espèces reconnues d’orangs-outans de Bornéo — issues de trois régions distinctes — ont divergé les unes des autres il y a 176,000 ans, ce qui signifie que leur hybridation risque d’avoir des conséquences génétiques néfastes. Selon le chercheur, Si cette descendance hybride se reproduit, la combinaison de gènes bénéfiques à une lignée risque d’être entravée, entrainant une santé défaillante et l’amoindrissement des chances de reproduction. Cette conséquence, connue sous le nom de « dépression hybride » pourrait, à long terme, menacer la survie des individus et des populations de cette espèce.
Afin de déterminer si ces problèmes ont pu avoir affecté des réintroductions précédentes, Banes a décortiqué 44 ans de données sur l’historique familial des orangs-outans au centre de sauvetage et de rehabilitation de Camp Leakey, mis en place depuis longtemps, dans le Parc National Tanjung Puting, à Bornéo. En combinaison avec une analyse génétique, Banes a pu identifier l’ensemble des descendants connus de deux femelles d’une sous espèce non indigène, réintroduite dans le parc dans les années 70. Lors de cette période, les sous espèces n’étaient pas reconnues et tous les orangs-outans étaient classés comme une seule espèce, contrairement aux deux (de Sumatra et Borneo) reconnues aujourd’hui. A elles deux, ces deux femelles du nom de Rani et Siswoyo ont eu 22 descendants connus; 15 sont encore en vie.
À première vue, la reproduction n’avait apparemment pas posé de problème. Mais en y regardant de plus près, Banes a pu relever une particularité assez frappante et intrigante. « Rani connaissait le plus grand succès de reproduction par rapport à n’importe quelle autre femelle sur le site, avec au moins 14 descendants sur trois générations, » a rapporté Banes à Mongabay. « Par contre, Siswoyo, souffrait de la plus grande malchance imaginable dans ce domaine. »
Sur cinq descendants, seuls trois ont survécu. L’un de ceux-ci a produit trois autres descendants, dont un seul a survécu au delà de la petite enfance. « Je ne compte plus le nombre de fois que Siswoyo ou ses descendants a fini sur une table d’opération en vue de subir une importante intervention, » a déclaré Banes, ayant étudié les orangs-outans de Camp Leakey depuis 2008; il travaille avec l’Académie chinoise des Sciences et l’Institut Partenaire Max Planck de Biologie Informatique de Shanghai, en Chine.
« En se basant sur des données provenant uniquement de deux individus, on ne peut vraisemblablement pas en conclure que l’hybridation est la cause de ces phénomènes contraires,” a souligné Banes.
Néanmoins, il considère que les risques sont trop importants pour être ignorés.
“Ce serait faire preuve d’une immense irresponsabilité que de ne pas se lancer dans des conjectures… à savoir que les descendants de Rani récoltaient probablement les fruits d’une plus grande disparité génétique, alors que les [descendants] de Siswoyo souffrent — parfois avec une issue fatale — de dépression hybride,” a poursuivi Banes. « Même le succès de Rani en matière de reproduction peut être le résultat d’une certaine vigueur hybride, laquelle pourrait encore se transformer ultérieurement en dépression hybride. »
Étant donné que plusieurs centaines d’orangs-outans ont déjà été introduits uniquement dans le Parc National de Tanjung Puting, et que les descendants males de Rani « se sont dispersés largement à travers le parc national, se reproduisant de manière prolifique avec des femelles éloignées nées en milieu sauvage… il est tout à fait plausible qu’il y ait à présent des douzaines, voir des centaines de sous espèces hybrides à travers tout le parc, » expliqua Banes.
« Nous n’avons tout simplement pas connaissance de l’ampleur avec laquelle cette hybridation risque d’affecter les populations sauvages — pour le meilleur ou pour le pire. Mais nous ne pouvons pas ignorer le fait que l’hybridation d’animaux ayant été géographiquement, génétiquement et reproductivement isolés durant des dizaines de milliers d’années risque d’avoir des conséquences indésirables,” conclut-il.
La même histoire risque d’affecter d’autres centres de sauvetage car ce n’est qu’à partir des années 90 que les distinctions de sous espèces taxonomiques ont été effectuées. Aujourd’hui encore, la taxonomie de l’orang-outan demeure controversée, certains prétendant que les différentes sous espèces ne devraient, après tout, pas être reconnues, a déclaré Banes.
Ceux qui partagent ce point de vue ne voient aucun mal à introduire des animaux de différentes origines géographiques dans des régions variées. Cette approche semble d’autant plus pratique à la lumière de la législation du gouvernement indonésien, décrétant que tous les orangs-outans doivent être réintroduits d’ici la fin de 2015 — un délai impossible à respecter.
« A mon avis, ceci est grossièrement irresponsable, » a affirmé Banes. « Il se peut que qu’il n’y ait aucun mal à mélanger des orangs-outans de Bornéo issus de toutes les régions de l’île. Mais si cela n’était pas le cas ? Que se passera-t-il si, pour un bienfait à court terme, nous avons tout à coup compromis la survie de populations réintroduites ou sauvages ? » a envisagé Banes. « L’ultime objectif de la réintroduction est que les animaux puissent survivre indépendamment et produire leur propre descendance viable. On risque de faciliter le résultat totalement opposé si nous ne procédons pas de la bonne manière — et nous n’avons droit qu’à un seul essai. »
Banes oeuvre avec la World Association of Zoos and Aquariums (Association Mondiale des Zoos et Aquariums) afin de voir comment les orangs-outans élevés en captivité dans des zoos s’en sortent en termes de santé et de reproduction, et d’essayer de mieux comprendre les implications possibles de ce qu’il appelle un « coktail » d’orangs-outans à l’héritage génétique mixte. Mais jusqu’à ce que l’on puisse démontrer de manière concluante que l’hybridation cause ou ne cause pas de problemes, Banes estime que les risques éventuels doivent être pris en considération.
“Nous devons absolument faire preuve de prudence. One ne peut tout simplement pas « se prendre pour Dieu » dit-il.
« Il est tout à fait réalisable de tester génétiquement les orangs-outans avant leur réintroduction, et c’est tout ce que l’on a essentiellement besoin de faire, » a déclaré Banes, citant les obstacles bureaucratiques et techniques comme les principaux facteurs empêchant cela. « Il serait bien plus facile, beaucoup plus rapide et bien plus abordable si [le gouvernement indonesien voulait bien] autoriser la sortie d’échantillons hors du pays pour une rapide analyse à l’étranger. »
Le sauvetage de ces animaux ne représente qu’une petite part de la course permanente menée en vue de sauvegarder les orangs-outans de l’extinction. « Près de 80 pourcent des individus sauvages vivent en dehors des zones protégées…dans un territoire qui risque [d’être] acheté ou converti en plantation d’huile de palme ou bien de subir une déforestation aisée » a déclaré Banes. « La protection et la préservation de l’habitat sauvage des orangs-outans devrait être la priorité absolue par rapport à la réhabilitation ».
Cependant, Banes ne voit pas les réintroductions comme importantes uniquement du point de vue de la conservation, mais également de celui de l’éthique. « En tant qu’êtres humains, nous sommes responsables de la délocalisation de ces animaux et nous avons une obligation morale et éthique de les ramener en milieu sauvage. »
« La solution à la situation difficile où l’on se trouve actuellement est simple, » a affirmé Banes. « Effectuer des tests génétiques sur les orangs-outans présents dans les centres de réhabilitation, les rapatrier dans leurs régions d’origine, et œuvrer afin de protéger et conserver les populations sauvages existantes. Si nous faisons cela correctement, il n’y a pas de raison à ce que la réintroduction des orangs-outans ne puisse à l’avenir stimuler les populations sauvages. »
Ouvrages de réference :
Banes, G.L., Galdikas, B.M.F, and Vigilant, L. (2016) Reintroduction of confiscated and displaced mammals risks outbreeding and introgression in natural populations, as evidenced by orang-utans of divergent subspecies. Scientific Reports: 6:22026 DOI: 10.1038/srep22026