- Une récente étude de l’organisation Mighty Earth, alerte sur la perte continue des forêts dans des bassins de production cacaoyère au Cameroun.
- Ledit rapport indique que depuis 2020, le pays a perdu plus de 781 000 hectares (1, 9 millions de acres) de forêt, dont la moitié dans les régions productrices de cacao.
- Ces données questionnent sur la capacité du Cameroun à augmenter sa production de cacao sans continuer à accélérer la déforestation.
- Outre la prévention des dommages environnementaux, il sera nécessaire de freiner la déforestation pour accéder à d'importants marchés pour le cacao : le Règlement de l’Union Européenne sur la déforestation (RDUE), va entrer en vigueur dès janvier 2026.
Le Cameroun a enregistré une production nationale jamais égalée au terme de la campagne cacaoyère 2024-2025. Une production record de 309 518 tonnes, soit une augmentation de 13 % en glissement annuel, par rapport à la campagne précédente, a coïncidé également avec des prix producteurs records. Mais ces progrès semblent avoir eu un coût pour les forêts du pays : un nouveau rapport d’une organisation de défense de la nature, Mighty Earth, révèle que 360 000 hectares de forêt ont disparu dans les régions productrices de cacao depuis 2020.
Avec une baisse de la production en Côte d’Ivoire et au Ghana, les deux plus grands producteurs mondiaux, en raison des facteurs liés au changement climatique et aux maladies, le gouvernement camerounais ambitionne, dans le cadre d’un accord de financement signé en octobre 2024 avec l’Initiative pour les forêts d’Afrique Centrale (CAFI), de doubler sa production cacaoyère, pour la porter à 600 000 tonnes l’an, en réduisant la perte de ses forêts au cours des dix prochaines années.
La belle embellie observée au sein de la filière, suscite un intérêt grandissant pour la culture du cacao chez les producteurs camerounais, tournés vers l’amélioration de leurs rendements. Cette situation rend de plus en plus vulnérables les forêts, susceptibles d’être défrichées pour créer de nouveaux vergers.
Mighty Earth, a publié en juillet dernier, une étude dans laquelle elle signale de nouvelles vagues de déforestation liées à la culture du cacao. L’organisation américaine redoute en outre une conversion massive des forêts camerounaises en terres agricoles, dédiées à la cacaoculture, comme en Côte d’Ivoire et au Ghana.


Les régions cacaoyères dévorent les forêts
Mighty Earth révèle que depuis 2020, le Cameroun a perdu plus de 781 000 hectares (1,9 millions de acres) de forêt, soit 4 % du couvert forestier total du pays, dont la moitié dans les régions productrices de cacao. Dans les zones identifiées comme très propices à la culture du cacao, les alertes de perte forestière ont atteint environ 360 000 hectares (890 000 acres) au cours des cinq dernières années.
Les enquêteurs de Mighty Earth, en collaboration avec l’ONG locale CODED (Communauté de Développement Durable), ont, à l’aide de la télédétection, de vérifications sur le terrain et d’entretiens avec des agriculteurs, examiné dans quelle mesure la déforestation liée au cacao se poursuit. Ils ont également analysé l’intégration effective des petits exploitants dans les programmes de durabilité des entreprises, en particulier dans la chaîne d’approvisionnement indirecte du cacao.
Ils ont eu recours à des outils technologiques tels que le RADD Forest Disturbance Alert, qui permet de détecter les perturbations forestières, et le nouveau modèle de Cocoa Probability du Forest Data Partnerships (FDP), un outil conçu pour estimer la probabilité de la présence de cacao dans différents paysages.
Thea Parson, chercheur du Mighty Earth et co-auteur de l’étude, explique dans un courriel à Mongabay : « Nous avons sélectionné des sites où les images satellites montraient une déforestation et où le modèle du FDP indiquait qu’il pouvait y avoir des cultures de cacao. Notre enquête de vérification sur le terrain a confirmé que 84 % de ces détections étaient correctes, ce qui constitue une forte projection pour d’autres alertes RADD dans les régions cacaoyères du pays ».
L’étude, menée entre juillet 2024 et janvier 2025, dans les localités de Nkondjock, Yabassi et Njombé, toutes situées dans la partie littorale du pays, a permis d’arriver à la conclusion que la culture du cacao se développe rapidement dans les zones forestières du Cameroun. Ce développement s’effectue souvent par le biais de chaînes d’approvisionnement informelles et mal documentées, qui compromettent les engagements environnementaux et le respect de la réglementation.

La filière cacao à l’épreuve du RDUE
Les statistiques publiées par l’Office national du cacao et du café (ONCC) pour la campagne cacaoyère clôturée le 15 juillet 2025, indiquent que près de 80 % du cacao produit durant cette campagne, a été exporté vers l’Europe. L’Union européenne (UE) est la première destination du cacao camerounais, et ce depuis de nombreuses années. Cette zone économique influente a mis sur pied le Règlement de l’Union européenne sur la Déforestation (RDUE), qui vise à interdire l’importation de tous les produits de base issus des terres déboisées après le 31 décembre 2020.
L’entrée en vigueur du RDUE, plusieurs fois reportée en raison de l’impréparation des pays producteurs en Afrique et aussi en Amérique du sud, se fera en janvier 2026. À l’occasion, le Cameroun a tenu, le 15 juillet 2025, à Yaoundé, un forum dédié à la mise en conformité au règlement. Si le gouvernement camerounais se veut confiant et que le ministre camerounais du Commerce, Luc Magloire Mbarga Atangana, a assuré lors de ce forum, qu’environ « 99 % des bassins cacaoyers et cafés sont couverts par les dispositifs de géolocalisation et de traçabilité » selon les exigences du RDUE, des études, y compris celles de Mighty Earth, révèlent des insuffisances dans l’appropriation par les acteurs des politiques de durabilité.
« À l’heure actuelle, ni le Camerounni les États membres de l’UE ne semblent prêts à mettre en œuvre efficacement l’EUDR », dit Verina Ingram, chercheuse à l’université de Wageningen aux Pays-Bas. Entre 2020 et 2024, Ingram a conduit une étude de déforestation liee au production de cacao au Cameroun. Elle explique à Mongabay dans un courriel, que le système unique d’identification des cacaoculteurs et la géocartographie des parcelles de cacao, ne sont pas encore pleinement opérationnels, et de nombreux exploitants ne connaissent pas encore la réglementation de l’UE sur la déforestation.
En sus, la question de traçabilité du cacao, essentiel pour identifier les producteurs qui déboisent les forêts, reste sujette à caution, car des intermédiaires localement appelés « coxeurs », approvisionnent de manière informelle la chaine de commercialisation par des fèves impossible de tracer.
« Les systèmes de traçabilité restent fragmentés au Cameroun, ne retraçant souvent le cacao qu’au niveau de la coopérative ou de l’acheteur agréé (la chaîne d’approvisionnement directe), sans prendre en compte l’activité des coxeurs et des exploitations auprès desquelles ils s’approvisionnent (la chaîne d’approvisionnement indirecte) », a dit Parson.
En effet, les coxeurs ne sont pas officiellement enregistrés, vendent souvent à plusieurs acheteurs agréés, et ne tiennent pas de registres formels. Le gouvernement camerounais travaille sur un système national de traçabilitéet prévoit de formaliser le statut des coxeurs dans la chaine.
En sa qualité de Directeur général de l’Office national du cacao et du café, un des organismes étatiques en charge du cacao et du café, Michaël Ndoping, a dit à Mongabay au téléphone, que des outils digitalisés dénommés INA TRACE et WHIMO, sont en cours d’expérimentation, et devront permettre aux coxeurs de collecter des données d’identification et de géolocalisation, avant de livrer leurs produits aux exportateurs.
« Nous avons mis en place un système de suivi digitalisé de la commercialisation (traçabilité) et la diligence raisonnée sera gérée entre l’exportateur camerounais et l’importateur européen, suivant le pays de destination », explique-t-il. Ndoping dit également qu’à l’annonce du RDUE, le Cameroun a élaboré et validé un référentiel de cacao d’agro-forêt, qui est en cours de vulgarisation auprès des producteurs.

Cacao et perte de la biodiversité
Mighty Earth alerte également sur les dangers qui pèsent sur la faune sauvage dans les régions cacaoyères en proie à la déforestation. L’organisation cite en exemple le paysage du TRIDOM (Tri-national Dja-Odzala-Minkébé), un complexe d’aires protégées qui s’étend sur trois pays : le Cameroun, le Congo et le Gabon. Il abrite une biodiversité exceptionnelle, notamment des éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis), des gorilles des plaines de l’Ouest (Gorilla gorilla gorilla) — deux espèces en danger critique d’extinction — et aussi des buffles (Bubalina), des hylochères (Hylochoerus meinertzhageni), des sitatungas (Tragelaphus spekii) et des pythons.
Ce paysage est identifié comme étant particulièrement propice à l’expansion de la cacaoculture, laquelle s’accompagne d’une déforestation qui progresse régulièrement, avec 11 009 hectares de forêt perdus, entre 2002 et 2023.
Le Fonds mondial pour la nature (WWF), qui intervient dans le paysage du TRIDOM, explique que le développement de la culture du cacao dans ledit paysage, contribue à convertir les forêts, perturbe les corridors de circulation de la faune et dégrade les rivières. Cet ensemble d’impacts négatifs fragilisent la résilience des grands mammifères (éléphants gorilles, chimpanzés) et l’ensemble des écosystèmes du TRIDOM.
WWF est signataire avec le gouvernement du Cameroun de « la Feuille de route pour un cacao sans déforestation ». Roberty Essama, Business and Industries coordinator à WWF Cameroon, a dit à Mongabay que dans le cadre de ce partenariat, « WWF ne travaille qu’avec des producteurs engagés à la pratique de l’agroforesterie hautement diversifiée, à ne prioriser la création de nouvelles plantations que sur des terres dégradées ou dans les jachères, à s’aligner avec la traçabilité EUDR ; WWF travaille à mettre en place des lignes de démarcation des zones agricoles et des pistes de corridors ».
L’ONG américaine soutient enfin le développement économique et l’obtention de plus d’autonomie des communautés locales et des peuples autochtones dans le paysage du TRIDOM, en vue de leur garantir un revenu stable à travers la production d’un cacao durable de haute qualité.
Image de bannière : Une cultivateur de cacao. Image de Olivier Girard/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)
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