- L’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI en anglais) et le gouvernement camerounais, ont signé un accord de financement de $60 millions pour une transition du pays vers une croissance économique verte.
- Cet argent sera investi entre autres, dans le développement de la culture des produits tels que le cacao et le café, mais aussi pour la préservation et la gestion durable du domaine forestier permanent camerounais.
- CAFI soutient que les projets éligibles par ce financement vont mettre l’accent sur une intensification durable des terres agricoles existantes, plutôt qu’une extensification d’activités agricoles destructrices des forêts.
- Selon l’expert forestier camerounais Ghislain Fomou, la notion d’agriculture durable libre de déforestation axé sur le cacao (ou le café) reste ambigüe.
Le Cameroun envisage, au cours des dix prochaines années, d’allier croissance économique et développement durable, à travers d’importants investissements dans le développement de filières agricoles, tout en préservant ses forêts. Le pays a perdu 110,000 hectares des forêts par an depuis 2013 et 204 000 hectares en 2023 : Est-ce que c’est possible de doubler la production commerciale des tels produits comme le cacao et le café en réduisant la perte de forêts ? Cette ambition s’est exprimée par un récent accord de financement de $60 millions, entre le gouvernement camerounais et l’Initiative pour la forêt de l’Afrique Centrale (CAFI en anglais).
Selon les données de Global Forest Watch (GFW), une importante plateforme de suivi des forêts dans le monde, le Cameroun a perdu plus de 2 millions d’hectares de forêts entre 2001 et 2023, due à plusieurs facteurs, notamment la coupe abusive du bois, l’exploitation minière et l’agriculture. Cette perte des forêts génère des impacts sur la biodiversité, avec le déclin des espèces fauniques et floristiques, non sans induire des effets climatiques préoccupants.
Une étude, publiée en juin 2024, dans la revue PLOS One, identifie la culture du cacao comme l’un des moteurs de la déforestation dans le bassin du Congo et au Cameroun en particulier. Pour l’atténuer, elle suggère une approche basée sur la promotion des systèmes agroforestiers, conjuguée à une meilleure planification foncière et à des mesures d’incitation en faveur de pratiques agricoles et forestières durables, comme solution pour réduire les risques de déforestation liés à la culture de ce produit de base.
Selon la lettre d’intention signée le 7 octobre 2024 par le gouvernement du Cameroun et CAFI, un fonds multipartenaires soutenu par l’Union Européenne, la Norvège, la France, la Corée du Sud, et autres pays, les $60 millions vont aider à mettre en œuvre l’implémentation de quatre projets majeurs entre 2025 et 2027.
Il s’agit du Projet d’appui au Fonds de développement des filières cacao et café. D’un montant d’environ $20 millions, ce projet permettra d’accompagner 30 547 producteurs pour recevoir un paiement pour des services environnementaux pour la mise en place de plantations de cacao ou de café sans déforestation ou l’intensification de la production sur des plantations existantes couvrant environ 92 000 hectares.
Un deuxième projet de $20 millions développera et mettra en œuvre des mécanismes incitatifs à la gestion des forêts de grandes valeurs et à haut stock de carbone dans les paysages de Grand Mbam (couvrant les départements du Mbam-et-Kim et du Mbam-et-Inoubou dans la région du Centre), ainsi que des modèles de développement à faibles émissions autour des chaînes de valeur sélectionnées. Un autre financement d’une valeur $6,4 millions est destiné à concilier la demande de terres et de ressources pour la croissance économique avec la gestion durable des écosystèmes, dans les régions du Centre, du Sud et du Littoral. Enfin, un quatrième projet financé à hauteur de $13,6 milliards, soutiendra la coordination intersectorielle et multi-niveaux de la politique forestière et climatique du Cameroun et pour la promotion d’une économie verte.
Dans un courriel à Mongabay, Saïdou Hamadou, fonctionnaire du ministère camerounais de l’Économie et membre de l’équipe focale CAFI au Cameroun, dit que « l’objectif du partenariat est de promouvoir une intensification durable et une productivité accrue de l’agriculture familiale et industrielle sur les terres agricoles existantes ».
« Il s’arrime aux schémas d’aménagement et aux plans de zonage du territoire aux échelons national et régional, ainsi qu’à l’agroforesterie. Ainsi, une réponse sera donnée à la demande régionale croissante (en cacao et café), tout en réduisant la demande de nouvelles terres et les incitations à la déforestation pour la production agricole », ajoute-t-il.
Le secrétariat de CAFI souligne, dans un message par courriel à Mongabay, que les projets favorisent l’intensification durable et l’augmentation de la productivité des terres agricoles existantes, afin de répondre à la demande croissante de denrées alimentaires. « Produire plus de nourriture sur les terres existantes réduit la demande et les incitations à la déforestation pour la production agricole. C’est essentiel pour mettre fin à la déforestation et assurer la sécurité alimentaire. Il s’agit d’une intensification durable plutôt que d’une extensification destructrice ».
L’agriculture, cause et solution à la déforestation ?
En avril 2024, une dizaine d’organisations de défense de la nature, dont Greenpeace, Milieudefensie, Centre pour l’environnement et le développement (CED), Green Development Advocates (GDA), Environmental investigation agency (EIA), a envoyé une lettre à une dizaine de partenaires au développement du Cameroun, pour critiquer l’orientation des investissements du CAFI au Cameroun. Ils écrivaient que le Cameroun doit être considéré comme un pays à haut risque de déforestation, en raison de sa politique agraire qui favorise la destruction des forêts.
Ces organisations estiment que les investissements du CAFI devraient être orientés vers des projets qui contribuent à l’arrêt de la destruction des zones clés de la forêt tropicale camerounaise. Elles citent l’exemple de la localité de Campo Ma’an, dans le sud du pays, où 60 000 hectares de forêts (l’équivalent de 85 714 terrains de football) sont sous la menace de l’expansion de la culture du palmier à huile par la société Cameroon Vert Sarl (Camvert).
L’expert forestier camerounais Ghislain Fomou, par ailleurs Directeur du programme de gestion des ressources naturelles au sein de l’ONG Service d’appui aux initiatives Locales de développement (SAILD), s’inscrit quasiment dans la même veine. Il pense que la notion d’agriculture durable libre de déforestation axée sur le cacao prônée par CAFI, reste ambigüe. Il pense que ces financements CAFI pourraient être également orientés vers les segments de l’agriculture qui causent plus de tort aux forêts camerounaises.
« Il y a des filières qui causent plus de déforestation que la production cacaoyère. Il y a par exemple la culture du palmier à huile, où aujourd’hui on voit qu’il y a un grand espace de forêt permanente qui été déclassée dans la localité de Campo pour la production de l’huile de palme », a-t-il dit au téléphone à Mongabay . « Sur la production cacaoyère au Cameroun, les acteurs sont unanimes sur le fait que l’impact de la culture du cacao sur les forêts est moindre, de par l’activité de la production cacaoyère en agro-forêts, qui relèverait plutôt la productivité ».
Pour réaliser l’objectif de préservation et de gestion durable des forêts camerounaises consigné dans les termes de ce partenariat, CAFI promet qu’il va s’appuyer sur le processus de gouvernance intersectorielle afin d’assurer l’attractivité et la compétitivité économique du pays, en améliorant le bien-être de la population au travers d’une gestion durable desdites ressources, particulièrement des ressources forestières.
Un mécanisme de financement écologique des communes sera d’ailleurs mis sur pied, et devra comporter un service d’appui-conseil aux communes et aux régions pour les accompagner dans la priorisation de leurs investissements en faveur de la transition écologique et du développement local orientés notamment dans la gestion durable, la conservation et la restauration des forêts.
Image de bannière: Des ouvriers font sécher des fèves de cacao au soleil à une coopérative agricole de la région de Konye (Konafcoop) au Cameroun. Image © John Novis / Greenpeace.
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