Nouvelles de l'environnement

Congo : la diplomatie du minerai remplace la diplomatie verte dans la Sangha

  • Dans la Sangha, le ministre des mines congolais a attribué au moins 79 permis d’exploitation et d’exploration semi-industrielle de l’or, alors que la zone est officiellement dédiée à un projet REDD +.
  • L’exploitation de l’or engendre la déforestation et la pollution, alors que, par définition, un projet REDD+ a pour vocation de réduire la déforestation et les dégradations. Les deux pratiques sont donc incompatibles, selon des scientifiques.
  • Une partie de ces permis miniers ont été attribués à des proches du gouvernement,mais aussi à des figures controversées, alors que le directeur du programme REDD+ clame que l’industrie minière a pour vocation de développer le pays.
Cet article a été réalisé avec le soutien du Pulitzer Center Rainforest Investigations Network en collaboration avec le Latin American Center for Investigative Journalism (CLIP). Lire la première partie de cette série de deux articles. 

Au milieu d’une forêt luxuriante, une pelleteuse s’affaire. Elle retourne la terre à la recherche de l’or. Autour d’elle, le paysage est dévasté. Les arbres centenaires ont été déracinés, les cours d’eau, autrefois potables, sont maintenant de vastes étendues boueuses et peu engageantes. Nous sommes à Bamegoard (Bamegod), un village situé dans la Sangha au nord de la République du Congo. Aristide Elong, le secrétaire du village, venait autrefois dans cette forêt pour pêcher et récupérer de l’eau potable. Mais aujourd’hui, ce n’est plus possible.

« Il y a avait une forêt, maintenant le paysage est dévasté, il n’y a plus d’arbres aux alentours. La rivière, ce n’est que de la boue. Comment récupérer l’eau ? On ne peut pas la consommer, les poissons aussi ne peuvent pas vivre dans cette qualité d’eau », déplore-t-il

Au cours des huit derniers mois, Mongabay a mené l’enquête. Nous nous sommes rendus dans la Sangha, avons consulté des centaines de documents officiels et, avec l’aide d’arrêtés ministériels, avons pu établir que le ministre congolais des Mines, Pierre Oba, a délivré au moins 79 permis d’exploitation et d’exploration semi-industrielle de l’or, ces 4 dernières années, dans cette zone dédiée à la conservation de la nature. D’après notre investigation, ces permis auraient été alloués à des personnes liées au pouvoir en place.

Exemple des destructions occasionnées par l’exploitation semi-industrielle de l’or dans la Sangha. La forêt luxuriante a laissé la place à une terre sableuse. Cette nouvelle végétation séquestre moins de carbone que la forêt originelle. Image d’Elodie Toto pour Mongabay.

Détruire la forêt au nom du développement

Lors du premier volet de cette investigation, nous avons établi que l’Etat congolais a attribué au moins 79 permis miniers d’exploitation et d’exploration de l’or dans la Sangha. En nous rendant sur plusieurs de ces exploitations, nous avons constaté de sérieuses dégradations et atteintes à l’environnement. Or, ce département fait l’objet d’un contrat avec le Fonds de Partenariat pour le Carbone Forestier (FCPF) de la Banque mondiale, pour la mise en place d’un programme REDD + visant à réduire les émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts. « Les projets REDD+ sont des activités qui ont pour but de réduire les déboisements. L’exploitation minière étant une activité qui contribue au déboisement, ces deux activités sont essentiellement incompatibles », explique Justin Landry Chekoua, environnementaliste et chef de projet « Mines, biodiversité et énergie » pour l’ONG Forêts et Développement Rural (FODER) au Cameroun. « L’exploitation de l’or va drastiquement diminuer la capacité des écosystèmes environnant s à réduire le stockage du carbone. Ça va plutôt contribuer à émettre le CO2 et le méthane ».

Mais pour le directeur du programme REDD+ Sangha et Likouala, mandaté par le ministère de l’Économie forestière, la fin justifie les moyens. « Il ne faut pas se leurrer », avoue Arnaud Kibinza Kiesse, directeur du projet REDD + Sangha et Likouala. « Nous sommes un pays qui n’est pas développé, nous sommes encore très loin du développement, donc nous avons l’ambition de nous développer ».

D’après l’Ecole normale supérieure, en France, le concept de développement désigne l’ensemble des transformations techniques, sociales, territoriales, démographiques et culturelles accompagnant la croissance de la production matérielle ou l’amélioration des conditions d’existence des humains. « Et nous développer, c’est aussi voir comment les richesses naturelles peuvent contribuer au développement du pays », dit Arnaud Kiesse.

Par définition, le développement a donc pour vocation de bénéficier aux humains, donc habitants de la République du Congo. Pourtant, sur le terrain, on a du mal à en percevoir les fruits. Dans ce pays, troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, la population vit en moyenne avec moins de 5 dollars par jour. Mais, il existe de fortes disparités entre les zones urbaines et les zones rurales, ces dernières faisant face à des défis structurels de taille (Réseau téléphonique, hôpitaux, écoles). Une fois parti des grandes villes, ces commodités se font rares.

Copince Ngoma, membre de la communauté autochtone Bakouele en sait quelque chose. Il vit à Bamegoard, dans la Sangha, dans une maison en terre battue, avec sa femme et ses 5 enfants. Toute sa vie, il s’est rendu dans ce qui était autrefois une forêt luxuriante pour chasser, pêcher, mais aussi pour trouver des plantes médicinales pour sa famille. Un mode de vie traditionnel perturbé par l’exploitation semi-industrielle de l’or. Aujourd’hui, lorsqu’il va dans la forêt, il fait face à une eau aux reflets bruns, peu engageante. « Avant, on buvait cette eau-là, mais plus maintenant, parce que c’est devenu sale. A l’époque, ce n’était pas comme ça », explique Ngoma. Chez lui, il n’a ni eau courante, ni électricité. Dans ce contexte, l’accès aux ressources forestières est une question de survie. Seulement, avec la destruction des cours d’eau, de la faune et de la flore, la forêt est désertée et ses ressources se font de plus en plus rares.

« Nous chassons les gazelles, les singes… Maintenant, pour avoir une proie, il faut parcourir au moins 20 km », déplore Ngoma. « Avant, je sortais chasser et je revenais au bout de quelques heures avec des animaux. Maintenant, je dois partir, laisser ma femme seule une à deux journées si je veux ramener quelque chose. Nous souffrons. Depuis ce matin, les enfants ne mangent que des goyaves, ce n’est pas un repas ».

Cette course au développement, qui justifie l’exploitation minière grandissante, nuirait donc à la population locale, supposée être les grands bénéficiaires du développement.

Le mirage de la diplomatie « verte » de la République du Congo

En République du Congo, ce n’est pas la première fois qu’une industrie, supposée améliorer le quotidien des habitants, l’empire. C’est déjà le cas depuis des décennies avec l’industrie pétrolière, elle aussi, polluante. De plus, le pays connaît de grands problèmes de gouvernance. En plus du patrimoine colossal que s’est constitué le chef de l’Etat, Denis Sassou-Nguesso, à la tête du pays depuis près de 40 ans, sa fille Julienne et son beau-fils, Paul Kionga, sont cités dans un juteux trafic d’influence avec Perenco ; des soupçons de blanchiment et de détournement de fonds publics pèseraient sur ses enfants Denis-Christel et Claudia. L’accaparement des ressources naturelles ne semble pas s’arrêter là, la nouvelle cible serait le marché carbone.

Depuis une dizaine d’années, l’environnement est devenu une composante essentielle de la diplomatie congolaise. Localisée dans le bassin du Congo, le plus grand puits de carbone au monde absorbant 750 millions de tonnes de CO2 par an, la République du Congo a une situation idéale. Le pays abrite une gigantesque tourbière ayant emmagasiné, des milliers d’années durant, des milliards de tonnes de carbone. Conscient de son importance dans la bataille mondiale contre le changement climatique, Denis Sassou-Nguesso multiplie les initiatives diplomatiques : ratification des grands accords de sauvegarde du climat, tels que l’accord de Paris, l’organisation du Sommet des Trois Bassins en 2023 et la Conférence internationale sur l’Afforestation et le reboisement en 2024. Et ça fonctionne. En décembre dernier, lors de la COP 28, l’Union européenne (UE), la France et une poignée de donateurs privés se sont engagés à mettre en place un « Partenariat pour les écosystèmes forestiers, la nature et le climat » au Congo, doté d’un budget de 50 millions de dollars.

L’adhésion au processus REDD +, dans l’espoir futur d’une vente de crédits carbone, s’inscrit dans cette lignée. Pour la République du Congo, cela permet de gagner de l’argent sans détruire le patrimoine forestier. De plus, pour y parvenir, il bénéficie du soutien financier des Nations unies, mais aussi de la Banque mondiale, notamment pour les formations des planteurs de cacao que nous avons rencontrés plus tôt.

Fèves de cacao en train de sécher au soleil devant une maison en terre battue. La Sangha est une région productrice de cacao depuis l’époque coloniale. Image d’Elodie Toto pour Mongabay.

Pour Arnaud Kibinza Kiesse, directeur du projet REDD + Sangha &Likouala, son projet est un succès : « nous avons un bilan satisfaisant. Sur le terrain, les parties prenantes ont bien réduit les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons vendu des réductions et, en retour, on va recevoir de l’argent qui correspond à ces réductions-là, donc le gouvernement, les sociétés forestières, les sociétés agro-industrielles et les communautés vont bénéficier de cet argent ».

La République du Congo affirme que ce programme a permis de stocker plus d’1,5 million de tonnes de carbone en 2020. Des affirmations qui sont, en ce moment même, vérifiées par le cabinet d’audit Aenor, basé en Espagne. Si tout est validé, la Banque mondiale achètera ces tonnes de carbone stockées pour la modique somme de 8,3 millions de dollars, soit environ 5 milliards de francs CFA. De fait, ces crédits carbone acquerront le standard FCPF, permettant à l’Etat congolais d’être reconnu sur le marché carbone officiel.

Or, en feuilletant le rapport de monitoring, qui a servi à établir ce bilan, on s’aperçoit que la question minière a été ignorée dans le calcul de la séquestration carbone. Même chose dans la question des émissions de carbone dans la zone. Or, d’après le CIFOR, les scientifiques pensent que 20 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre seraient dues à la déforestation et à la dégradation de la forêt. L’exploitation minière aurait donc un rôle crucial dans la réussite du programme REDD +. Mais, ici, elle est quasiment passée sous silence.

La seule fois où le rapport fait référence à la question minière, c’est lorsqu’il admet que, depuis l’évaluation de la déforestation dans la zone établie en 2018, l’impact du secteur minier « a potentiellement évolué » et que le risque qu’il représente est « considéré comme moyen ». A voir, bien sûr, ce qu’en pense le cabinet d’audit AENOR.

Une pelleteuse s’affaire dans le site minier d’Alangong-Bamegod-Inès dans la Sangha, à la recherche d’or. D’après l’environnementaliste Justin Chekoua, ici, « rien ne semble être fait » pour préserver la biodiversité. Image d’Elodie Toto pour Mongabay.

Vers une diplomatie du minerai ?

Plus inquiétant encore, ces permis miniers ont été attribués à des entreprises dirigées par des figures controversées. Parmi elles, Li Hui, une femme chinoise influente, proche du président Sassou Nguesso. Selon le média Afrique intelligence, cette cantonaise d’origine défend les intérêts des groupes chinois Wing Wah Petrochemical Joint Stock Co (ancien exploitant du Terminal pétrolier de Djeno) et Ding Sheng Group, impliqués dans l’industrie pétrolière congolaise. En tant que directrice générale de la société Zhi Guo Pétrole, elle a récemment défrayé la chronique pour avoir obtenu un permis minier aux abords du parc naturel de Conkouati Douli. Avec cette même société, elle aurait obtenu 7 permis d’exploitation d’or dans la Sangha, soit plus de 1000 km2 de terrain normalement alloués à la conservation. Mais tous les gestionnaires de ces mines ne sont pas asiatiques.

Une autre figure fait polémique. Il s’agit d’Yvonne Mubiligi, une femme rwandaise, proche de Paul Kagame, président du Rwanda.

D’après son profil sur le réseau social X, (anciennement Twitter), Yvonne Mubiligi est directrice pays de Macefield Ventures Congo Holding, la filiale internationale de Crystal Ventures, la plus grande entreprise d’investissement du Rwanda, proche du parti de Paul Kagame.

Créée à la sortie du génocide, d’après une investigation du média français The Africa Report, elle serait le bras armé économique du pays, gérant des investissements dans les secteurs de l’alimentation et des boissons, des services de sécurité et des opérations aériennes.

Macefield Ventures serait présente en République centrafricaine, au Mozambique en lien avec le projet pétrolier de TotalEnergies ou encore au  Zimbabwe.

Récemment, Yvonne Mubiligi a conclu un accord avec la République du Congo pour la cession de 12.000 hectares de terres au Rwanda. Un contrat qui fait toujours polémique, à la fois mal accueilli par la population, qui utilise ces terres comme moyen de subsistance, mais aussi par le voisin congolais, où le Rwanda soutient, d’après les Nations unies, le mouvement de rébellion armée M23. Yvonne Mubiligi, en tant que directrice générale de la société Stonegenix Sas, aurait reçu 3 permis miniers depuis le début du programme REDD+ Sangha et Likouala.

Aristide, secrétaire du village de Bamegoard, dépité devant ce qui était autrefois une forêt. Les arbres et les cours d’eau ont disparu, remplacés par des flaques boueuses, comme celle qu’on aperçoit derrière lui. Image d’Elodie Toto pour Mongabay.

Outre ces deux femmes, d’autres propriétaires de permis ont des liens forts avec le pouvoir congolais, selon un éminent universitaire, et spécialiste de la politique congolaise. Il n’a pas donné son nom, par peur d’être interpellé par les autorités. Il n’est pas le seul. Un autre de nos collaborateurs, sur cette enquête, a d’ailleurs refusé d’être nommé par peur de « disparaître dans la nature ». Dénoncer au Congo est dangereux. D’après la société civile, les arrestations d’activistes y sont légion. Un climat de peur règne dans ce pays dirigé depuis près de 40 ans par Denis Sassou Nguesso.

D’après cet universitaire, Ramsès Ngakala serait le fils de Michel Ngakala et le frère de Karl Ngakala. Ce dernier aurait été / est conseillé de Denis-Christel Sassou Nguesso, le fils du président de la République et directeur général administratif de la controversée Société nationale des pétroles du Congo (SNPC). Cette société s’est d’ailleurs récemment lancée dans le marché de la compensation carbone. Michel Ngakala, leur père, est d’un autre calibre. Actuel secrétaire à l’organisation du Parti congolais du travail (PCT), le parti du président Sassou Nguesso, il était, dans les années 1990, alors que le pays était dans une situation de guerre civile, commandant de la milice populaire des Cobras, affiliée au PCT. Lorsque la guerre civile s’est achevée avec le retour de Sassou Nguesso au pouvoir, le bilan aurait été de 400 000 morts, selon Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement.

D’après nos sources, Rodrigue Fila serait de la même famille que le ministre du développement industriel, Nicéphore Fylla de Saint Eudes, actuel ministre du Développement industriel. Quant à Josué Sledge Oba et Cornelia Gladys Oba Samboh, ils seraient le fils et la fille du ministre des Mines, Pierre Oba.

Le ministre attribue des permis miniers à des membres de sa famille. Des découvertes qui ne surprennent pas Cherotti Blanchard Mavoungou, président de l’Association pour le respect du droit des populations autochtones, du développement durable et des droits de l’homme (ARPA2DH). Il dénonce des faits similaires dans d’autres zones du pays « Il y a beaucoup de membres du gouvernement qui possèdent des permis d’exploitation. C’est juste un clan qui est là, qui fait tout ce qu’il veut avec les ressources du pays, tandis que nous sommes à la traîne, c’est difficile ».

Des territoires, dont le gouvernement espère tirer, sous peu, quelques millions de dollars pour avoir séquestré des millions de tonnes de carbone en 2020.

Image de bannière : Aristide, secrétaire du village de Bamegoard, dépité devant ce qui était autrefois une foret. Les arbres et les cours d’eau ont disparu remplacés par des flaques boueuses comme celle qu’on aperçoit derrière lui. Image par Elodie Toto pour Mongabay.

Congo : Un programme REDD + grignoté par de nombreuses mines d’or

FEEDBACK : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.

Quitter la version mobile