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Destruction des coraux pour la construction de toilettes : entretien avec un batelier malgache

  • Toamasina est une ville côtière à l’est de Madagascar, bordée par un important réseau de récifs coralliens qui abrite des espèces quasi-menacées.
  • Ces récifs sont menacés depuis des décennies par une activité atypique : la construction de fosses septiques pour les toilettes.
  • Mongabay s’est entretenu avec Abraham Botovao, skippeur et président d’une association locale de pêcheurs, qui observe ce commerce et ses effets sur l’environnement marin.
  • « Je suis frustré chaque fois que je les croise quand je vais pêcher, mais malheureusement j’assiste au spectacle sans pouvoir rien faire », a dit Botovao.

TOAMASINA, Madagascar – Abraham Botovao, skippeur et président de l’association des pêcheurs progressant de Toamasina, une association locale de pêcheurs, est souvent témoin d’un genre d’activité insolite à chaque fois qu’il est en mer. Des collecteurs pillent le Grand Récif de centaines de kilogrammes de coraux par jour pour les vendre au marché. Les locaux les achètent par gros blocs pour les utiliser pour les fosses septiques de leurs toilettes.

Située à environ 354 kilomètres (220 miles) à l’est de la capitale Antananarivo, Toamasina est l’une des principales villes côtières de Madagascar, abritant 529,544 habitants. Elle abrite le plus grand et le plus important port de l’île, traitant notamment 90% des flux de marchandises internationaux.

La ville est bordée par un ensemble de récifs coralliens : le récif Hastie (ou de la Pointe Hastie), le récif du Bain des Dames, le Grand Récif, le Petit Récif et le récif de l’île aux Prunes. Parmi les coraux présents au niveau de ces récifs, figurent des espèces quasi-menacées, telles que Pavona decussata, P. cactus et Acanthastrea brevis, selon Jean Maharavo, biologiste marin et vice-président de l’ONG Tany Ifandovana, qui effectue une transplantation de coraux à l’île aux Prunes.

À l’instar de la plupart des récifs tropicaux dans le monde, ils sont menacés par le blanchissement des coraux dû au réchauffement climatique. Toutefois, ceux de l’est du pays sont plus ou moins épargnés par ce phénomène comparés à ceux dans le canal de Mozambique, à l’ouest, selon le WWF. Cependant, les coraux de Toamasina subissent des pressions anthropiques considérables, incluant à la fois la pêche non réglementée et leur collecte en tant que matériaux de construction.

Alors qu’ailleurs dans le monde, les coraux sont protégés et considérés comme des trésors de biodiversité, à Toamasina, ils sont collectés et utilisés à la place des pierres ponces volcaniques nécessaires au traitement des eaux usées dans les fosses septiques. Les fosses septiques classiques sont composées de trois cloisons, dont la dernière est tapissée au fond par les coraux. Ces derniers filtrent les particules solides des eaux usées provenant des deux premières cloisons. L’eau filtrée est ensuite évacuée vers le réseau de canalisation de la ville. D’après Marcelin Sabotsy, un pêcheur local et membre de l’association de Botovao, tous les types de coraux sont collectés, même ceux urticants.

Cette activité atypique alimente un marché florissant, où le mètre cube de bloc de récif (l’équivalent du besoin d’une fosse septique standard) peut se vendre jusqu’à 50,000 ariarys ($11), selon Andrianjaka Solofoniaina Razafindrakoto, un constructeur de toilettes fosse septique. Le coût est la moitié d’un mois de loyer pour un petit appartement sur place. Razafindrakoto affirme que ce genre de toilettes est utilisé depuis longtemps partout dans la région, ce qui implique une destruction directe et massive des récifs.

Afin d’en savoir plus sur cette activité, Mongabay a interviewé Botovao au mois d’avril dans les bureaux de Tany Ifandovana, le lendemain d’une visite du site de transplantation de l’ONG. Le pêcheur travaille partiellement comme skippeur pour l’ONG et a ramené l’équipe Mongabay à bon port malgré une tempête, qui les avait surpris lors du trajet vers l’île aux Prunes.

La discussion s’est conclue par une visite du marché où les coraux étaient vendus, ainsi qu’un passage chez Razafindrakoto pour voir comment les toilettes étaient construites. Au marché, les coraux étaient vendus avec du sable et du gravier, et étaient sous des bâches pour les protéger du dessèchement, selon les vendeurs. Toutefois, ces derniers étaient un peu méfiants suite à une récente descente des forces de l’ordre et n’ont dévoilé leurs produits qu’à la demande. L’équipe de Mongabay s’est faite passée pour des acheteurs potentiels, afin de pouvoir les approcher. Le marché était tout de même très fréquenté.

Cette entrevue a été légèrement éditée pour plus de clarté.

Botovao Abraham. Image de Nirina Rakotonanahary.
Botovao Abraham. Image de Nirina Rakotonanahary.

Mongabay : Comment se déroule la collecte et la vente de coraux pour les toilettes à Toamasina ?

Abraham Botovao : À ma connaissance, cette activité existe déjà depuis plusieurs décennies, mais a commencé à beaucoup prospérer depuis les années 2000. Elle est régie par un solide réseau d’acteurs. Les collecteurs partent en pirogue au Grand Récif avec des outils comme les grandes barres de fer utilisées pour décoller le bitume sur la route. Ils arrachent de gros blocs de récifs, qu’ils ramènent ensuite sur la plage.

Une pirogue peut transporter jusqu’à 500 kilogrammes [1,100 livres] si elle est pleine. Et s’il fait beau et s’il n’y a pas beaucoup de vent, ils peuvent facilement les remplir. Quand le temps est favorable, jusqu’à une dizaine de pirogues de collecteurs peut aller jusqu’au Grand Récif. Quand il fait moins beau, ils repartent avec les pirogues à moitié pleines.

Ils sont toujours sûrs de trouver des acheteurs dont beaucoup sont des habitués. Ces derniers les revendent ensuite au marché d’Ankirihiry, bordant le boulevard Ralaimongo, avec d’autres matériaux de construction comme le sable et le gravier. Sinon, le tonnage collecté peut aussi dépendre des commandes d’acheteurs, parfois il y en a beaucoup, parfois non. Certains collecteurs peuvent aussi faire des stocks et n’écoulent pas nécessairement leurs marchandises au marché, car ils ont des habitués, qui peuvent directement les approcher.

Mongabay : Pourquoi ces coraux sont-ils utilisés pour les toilettes, est-ce qu’il y a un avantage particulier ?

Abraham Botovao : Ils sont pour les toilettes, car il n’y a rien d’autre pour les remplacer, du moins en ce qui concerne la région est de Madagascar. En effet, très peu de gens connaissent les « masses fer » [les pierres ponces volcaniques] comme celles utilisées dans les régions du centre. À Toamasina, on commence aujourd’hui tout juste à les vendre, et les gens ne sont pas encore habitués. La pensée générale est qu’il n’y a pas plus efficaces que les coraux pour les fosses septiques.

Mongabay : Y a-t-il un événement particulier qui vous a choqué en étant témoin de ce type d’activité ?

Abraham Botovao : Un ami pêcheur m’a, un jour, raconté une anecdote à propos de son oncle, qui m’a particulièrement choqué. Il y avait un bout de récif où celui-ci avait l’habitude de pêcher du poulpe. Mais un jour, lorsqu’il est allé à l’endroit habituel, son bout de récif avait disparu, alors il est rentré bredouille.

Sur le chemin du retour, il a croisé un démarcheur, qui lui a dit que quelqu’un avait pris son récif et l’a emmené sur la plage. L’oncle lui a alors dit qu’il était sûr qu’il y a encore des poulpes dedans et qu’il allait rattraper ceux qui ont pris son récif. Après les avoir rattrapés et inspecté son récif, il y avait vraiment encore des poulpes à l’intérieur ! Cela veut dire qu’il y a encore des animaux dans les blocs de récifs lorsqu’ils sont vendus au marché.

Un bloc de récif vendu au marché d’Ankirihiry pour la construction de fosses septiques. Image de Nirina Rakotonanahary.
Un bloc de récif vendu au marché d’Ankirihiry à Toamasina pour la construction de fosses septiques. Image de Nirina Rakotonanahary.

Mongabay : Qu’est-ce qui rend ce commerce aussi florissant ?

Abraham Botovao : La collecte ou la vente de coraux est techniquement interdite par la loi, mais l’activité se poursuit tout de même, car personne n’est puni ou sanctionné. Je suis frustré chaque fois que je les croise quand je vais pêcher, mais malheureusement j’assiste au spectacle sans pouvoir rien faire. Quand le temps est favorable, les collecteurs remontent jusqu’à 5 tonnes de coraux par jour !

Le comble, c’est que ce ne sont pas les pêcheurs qui effectuent ce genre d’activité, mais n’importe quelle personne sachant plus ou moins naviguer. En tant que pêcheur, nous connaissons nos intérêts. Nous savons qu’il y aura moins de poissons s’il y a moins de coraux. Et le problème, c’est que les gens, surtout le gouvernement, pensent que c’est nous alors que pas du tout. S’il y en a, c’est que c’est très rare, peut-être un pêcheur sur 100. À cause de cette activité et d’autres facteurs comme la surpêche, on voit bien qu’il y a beaucoup moins de poissons qu’avant dans la région.

D’un autre côté, les collecteurs et revendeurs savent que c’est interdit, mais ils le font quand même car ils n’ont pas le choix. Ils ont besoin de ce travail. Le nombre de collecteurs a d’ailleurs beaucoup augmenté ces derniers temps en raison de la pauvreté généralisée et grandissante à Madagascar. [Á Madagascar, pays qui compte l’un des taux de pauvreté les plus élevés au monde, entre 2012 et 2022 le taux de pauvreté urbaine a augmenté, mais le taux national reste élevé et persistant, selon la Banque Mondiale.] Je pense aussi que la demande de coraux a augmenté depuis la récente sensibilisation de l’État à la construction de toilettes en fosses septiques, dans un objectif d’assainissement de la ville.

Mongabay : Qu’a fait l’État face à cette situation ?

Abraham Botovao : Le gouvernement est tout de même dans une situation assez délicate, car s’ils appliquent vraiment la loi interdisant la vente de coraux, que vont-ils donner à tous ces gens ? À mon avis, ça les arrange que ces gens aient du travail, même si ce n’est pas bien.

Je pense qu’ils auraient dû prendre des mesures dès que ça a commencé, mais pas maintenant que beaucoup de gens dépendent de cette activité pour vivre. Ils font parfois des descentes au marché pour faire fuir ou intimider les vendeurs, mais ces derniers reviennent dès qu’ils partent. Jusqu’ici, il n’y a pas vraiment de mesures sérieuses face à la situation.

Image de bannière : Zone de transplantation de Tany Ifandovana à l’île aux Prunes, après un an de croissance. Image de Jean Maharavo.

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