Nouvelles de l'environnement

Contre vents et marées, une ONG malgache tente de compenser les coraux détruits par un port

  • L’extension du port de Toamasina a provoqué la perte de 25 hectares (62 acres) de récifs coralliens, qui abritaient des espèces de coraux quasi-menacés.
  • Tany Ifandovana, une ONG malgache, a prélevé une petite partie de ces coraux avant les travaux pour les transplanter sur une île corallienne, non loin du port, et compenser écologiquement les pertes.
  • Mais l’ONG doit faire face à des défis de taille, surtout liés au manque de moyens, un maigre soutien du port même, et à la destruction des coraux autour de l’île par les locaux.

TOAMASINA, Madagascar — Le paysage se prêtait à l’aventure lors d’une visite en mi-avril sur l’île aux Prunes, la petite île paradisiaque choisie par l’ONG Tany Ifandovana pour transplanter des coraux secourus. Avec sa forêt presque vierge et son labyrinthe de sentiers, elle mérite sa réputation d’ancien repère de pirates qui y auraient caché leurs butins.

Le récif, d’où provenaient les coraux, allait être remblayé pour les travaux d’extension du port de Toamasina, sur la côte est de Madagascar. La jeune ONG tente tant bien que mal, avec peu de moyens et un maigre soutien du port même, de compenser écologiquement au moins une partie de cette destruction.

« En tant qu’environnementaliste, ça me faisait mal au cœur de savoir que ces coraux allaient juste être remblayés, il fallait faire quelque chose », dit Jean Maharavo, biologiste marin et vice-président de Tany Ifandovana, à Mongabay.

L’île aux Prunes, à 17 km (10,5 miles) de la ville de Toamasina, vue de l’aire. Image courtoisie de Creocean.

Le port en eau profonde de Toamasina est le plus grand et le plus important de Madagascar, en traitant 90% des flux de marchandises internationaux. L’extension ajoute 25 hectares aux 70 initiaux (62 acres aux 173 initiaux), avec pour objectif à terme de tripler la capacité du port d’ici à 2026.

Le port est avoisiné par une série de récifs coralliens : le Récif Hastie, le Récif du Bain des Dames, le Grand Récif, le Petit Récif et le récif de l’île aux Prunes. Pour réaliser les travaux d’extension, une partie des deux premiers récifs doit être remblayée.

D’après le rapport d’impacts environnementaux réalisé par l’Agence Japonaise de Coopération Internationale (JICA), par le biais de laquelle le Japon finance en partie les travaux du gouvernement malgache d’extension du port, une quinzaine d’espèces de coraux différentes sont présentes au niveau du récif Hastie. Une étude de Maharavo, réalisée avant les remblaies, indique que le récif du Bain des Dames abrite 46 espèces de coraux, avec une couverture corallienne entre 60 % et 90 %. Parmi les coraux présents sur les deux récifs, figurent des espèces quasi-menacées, telles que Pavona decussata, P. cactus et Acanthastrea brevis.

Afin de tenter de sauvegarder ces coraux et compenser les impacts de ces travaux, Tany Ifandovana (en partenariat avec l’entreprise française Créocéan) a transplanté une petite partie à l’île aux Prunes, à 17 km (10,5 miles) de Toamasina.

« Je pense qu’il s’agit du seul port à Madagascar, où il y a autant de récifs de haute importance, et le fait que les coraux allaient être détruits, ça nous a frappé », dit Maharavo.

Jean Maharavo, biologiste marin et vice-président de l’ONG malgache Tany Ifandovana, dans son bureau dans la ville de Toamasina. Image de Nirina Rakotonanahary.

Une transplantation, trois techniques

L’initiative de transplantation de coraux de Tany Ifandovana a débuté avec une expérience que Maharavo a réalisée avec une étudiante du nom de Sidonie Alexandre, qui effectuait sa thèse. Cela consistait à voir si les coraux du récif du Bain des Dames pouvaient être prélevés puis transplantés autour de l’île aux Prunes.

Ils ont choisi cette île comme destination à la fois parce qu’elle n’est pas impactée par les activités portuaires et parce qu’elle a également subi de lourdes pertes de coraux en raison de la pêche à pied incontrôlée et l’utilisation d’outils comme les filets. Selon le biologiste, avant la transplantation, il ne restait plus que 25 % de couverture corallienne sur le platier récifal de l’île, situé entre 1 et 3 mètres (entre 3 et 10 pieds) de profondeur à marée haute, et 40 % au niveau des récifs situés plus en profondeur, à 9-10 mètres (29-33 pieds).

Maharavo et Alexandre ont expérimenté deux techniques. La première utilise l’adjuvant pour béton Sikacrete pour coller directement les boutures au niveau du récif. La seconde utilise une structure métallique en forme d’araignée au niveau de laquelle les boutures sont fixées. Une troisième, testée seul par Maharavo, consiste à utiliser des clips en métal pour fixer les coraux directement au niveau des roches solides. Chaque technique a été appliquée en fonction de l’hydrodynamisme des zones de plantation.

L’île aux Prunes. Image courtoisie de Creocean.

Après avoir constaté que l’expérience a été concluante, Tany Ifandovana a demandé et reçu une subvention du Ministère de la pêche et de l’économie bleue, dans le cadre d’un projet financé par la Banque Mondiale, qui s’appelle Swiofish 2, pour étendre la transplantation sur 4000 mètres carrés (4784 yards carrés).

Les transplantations ont débuté en 2023 avec 5000 colonies prélevées sur le site du port avant les travaux de remblaiement. Après un an, les taux de survie actuels sont de 70 %, 60 % et 80 % respectivement pour la technique avec le Sikacrete, la transplantation avec les clips et celle avec les structures en araignée.

Compensation écologique complète vs. partielle

La seule contribution de la Société du Port à Gestion Autonome de Toamasina (SPAT), l’autorité publique qui est chargée de la gestion et de l’exploitation du Port de Toamasina, n’a été que de faciliter l’obtention des autorisations administratives pour la transplantation de coraux. Il ne finançait pas le programme de transplantation. Le SPAT n’a pas répondu à la demande d’interview de Mongabay pour cette histoire.

« Bien que notre objectif est de compenser les pertes liées à l’extension du port, les responsables n’aiment pas trop utiliser le terme ‘compensation’ », dit Maharavo. Ce dernier soupçonne un manque de désir de s’impliquer dans un projet à long terme nécessitant beaucoup de ressources.

Ruines d’un ancien refuge pour lépreux sur l’île aux Prunes. Image de Nirina Rakotonanahary.

Mais, même Maharavo n’aspire pas à une compensation écologique complète, justement en raison du manque de ressource. Ceux qui ont été transplantés sont pour le moment loin de compenser les pertes liées à l’extension du port : 0,4 ha (1 acre) planté contre 25 ha prévus d’être perdus, ou 1,6%. Au moment de la publication de cet article, environ 10 ha (25 acres) de coraux ont été perdus, les travaux d’extension n’étant pas achevés, et Tany Ifandovana prévoit de continuer à transplanter le reste s’il peut obtenir plus de fonds.

Pour qu’une compensation écologique soit effective, « il est crucial de pouvoir réconcilier et démontrer comment la nouvelle biodiversité est équivalente à celle perdue, et aussi qu’elle est effectivement nouvelle, [c’est-à-dire] s’ajoute à la biodiversité qui y aurait existé en l’absence du projet », dit Holly Niner, une experte dans la finance bleue et les solutions fondées sur la nature, de l’Université de Plymouth au Royaume-Uni.

Selon elle, la stratégie commune pour la compensation de la biodiversité marine suit une hiérarchie en quatre phases. La première consiste à éviter au maximum les impacts potentiels du projet au moment de sa conception, tandis que la seconde vise à réduire au minimum les impacts qui n’ont pas pu être évités. La troisième consiste à y remédier en remplaçant directement la biodiversité au même endroit (si possible) et la quatrième phase est la compensation proprement dite avec une nouvelle biodiversité équivalente, sur un nouveau site.

Le SPAT n’a pas soumis l’extension du port de Toamasina à de telles exigences. Bien qu’il existe des engagements internationaux pour la protection de la biodiversité, il n’y a pas de décret obligeant les gouvernements à effectuer des compensations écologiques.

Par ailleurs, Nicki Shumway, spécialiste en conservation marine à l’Université du Queensland et qui effectue des recherches sur les compensations écologiques, affirme que la période de suivi minimale, pour une transplantation des coraux, devrait durer au moins cinq ans, voire plus longtemps, afin de déterminer la survie à long terme.

« D’un point de vue scientifique, je dirais des décennies au minimum, mais je comprends … pourquoi cela n’est pas toujours réalisable (par exemple, des cycles de financement limités) », a-t-elle dit à Mongabay dans un email. « C’est pourquoi, la plupart des projets bénéficient de 2 ans de suivi, voire pas du tout », a-t-elle ajouté.

Tany Ifandovana n’a pas les fonds pour le suivi et effectue juste des descentes occasionnelles en attendant d’autres partenariats.

Et, bien qu’il n’existe pas vraiment de norme standard pour mesurer le succès d’une transplantation corallienne, une récente étude suggère qu’après deux années, un taux de survie inférieur à 50 % peut être considéré comme médiocre, 50 à 60 % comme inférieur à la moyenne, plus de 60 % comme acceptable et plus de 80 % comme excellent. L’étude décrit par exemple les résultats d’un programme de transplantation corallienne pour compenser le développement d’un pipeline près de l’île de Hayman, dans Grande Barrière de Corail, en Australie, qui a enregistré un taux de survie de 77,5 %, après un suivi de deux ans. Un autre exemple particulièrement réussi de transplantation a été effectué à Broward County, en Floride, aux États-Unis, pour compenser la perte liée à la construction de pipeline, de câbles et d’un réseau d’égouts. Les 1100 colonies transplantées ont enregistré un taux de survie compris entre 87 et 99 % après 2 ans de suivi.

Ile aux prunes4691113

« Ainsi, bien que les données soient limitées à l’échelle mondiale, il existe des preuves que la relocalisation des coraux peut être une stratégie avec un certain succès », dit Shumway.

D’un autre côté, les projets de compensation écologique marine sont globalement confrontés au même problème de pénurie de données. Quand c’est en mer, on n’a pas la même perception des impacts que pour les compensations écologiques sur la terre ferme, car les données ne sont pas facilement accessibles. Pour les collecter, il faut par exemple des plongeurs professionnels. L’île aux Prunes est difficile d’accès la moitié de l’année, car fréquemment exposées aux vents et hautes vagues. Par ailleurs, toutes les embarcations passant par le port pour aller sur l’île aux Prunes doivent obtenir une autorisation auprès de l’Agence Portuaire Maritime et Fluviale (APMF), limitant ainsi la liberté d’action pour les suivis.

Le risque de destruction continue

Mis à part le manque de moyens financiers entravant la continuité de leur projet, Tany Ifandovana est confronté à d’autres défis, qui ne peuvent être facilement résolus. Les coraux récemment transplantés sont confrontés à la même pression anthropique que ceux qui poussaient initialement autour de l’île. Alors que les activités de suivi de l’ONG sont actuellement ralenties, les nouveaux coraux risquent d’être détruits par les pêcheurs à pied.

« À la marée basse, les pêcheurs n’hésitent pas à marcher directement sur les coraux avec leurs grosses bottes en caoutchouc, qui leur arrivent jusqu’à la taille », dit Maharavo. « Il n’existe aucune réglementation qui les en empêche, alors ils peuvent faire ce qu’ils veulent. » Les traces de leurs passages se voient déjà sur l’île, où la plage est jonchée de milliers de morceaux de coraux arrachés des récifs à proximité et charriés par les vagues. La plupart sont blanchis, mais certains sont encore vivants, signe qu’ils ont été détruits récemment.

Rien n’empêche l’exploitation des ressources, qui s’y trouvent dans l’île. Bien qu’il y ait un gardien qui y réside en permanence, il est uniquement responsable du phare, qui y est implanté. Maharavo dit qu’un plaidoyer pour faire de l’île une aire protégée fait partie des projets de l’ONG, mais cela risque de prendre entre deux à trois ans. En outre, l’île est censée être protégée par des « fady » — des tabous socioculturels et spirituels malgaches — empêchant la dégradation de son environnement, mais qui ne sont apparemment pas respectés.

Port de Toamasina. Image de Nirina Rakotonanahary.

Les autres récifs avoisinant le port ne sont pas moins exposés. Ils subissent aussi les impacts de la pêche, ainsi que ceux liés au réchauffement climatique à l’instar des autres récifs dans le monde. De plus, à Toamasina, les coraux sont utilisés par les locaux à la place des pierres ponces pour les fosses septiques, une activité atypique qui fait des ravages. Les collecteurs prennent surtout les blocs de coraux du Grand Récif. « Je ne vois pas vraiment l’avantage de planter des coraux seulement sur l’île aux Prunes, si de l’autre côté [au Grand Récif], on continue à abîmer, car, selon moi, les deux récifs se complètent », a dit à Mongabay Rabetodisoa, un pêcheur local qui utilise un seul nom, comme plusieurs malgaches.

Dans ces conditions, la survie à long terme des coraux sauvés par Tany Ifandovana n’est pas garantie.

En somme, l’objectif de la compensation écologique de Tany Ifandovana nécessitera encore des travaux de longue haleine. De son côté, Maharavo semble ne plus compter sur le soutien financier du port et compte se tourner vers le secteur privé, comme Réfrigépêche, une grande entreprise de pêcherie malgache avec laquelle il négocie, pour la continuité de son projet de transplantation.

Banner image: Mise en place de terre plein de 10 hectares (25 acres) sur le Récif Hastie, part du projet d’extension du Port de Toamasina. Image courtoisie de SPAT via Sea-Seek.

Citations :

Alexandre, S., Maharavo, J., Remisy, S., & Rasoanarivo, R. (2019). Etat (t0) du récif du Bain de Dame avant l’extension du port de Toamasina. Revue des Sciences, de Technologies et de l’Environnement, 1. Retrieved from http://madarevues.recherches.gov.mg/?ETAT-T0-DU-RECIF-DU-BAIN-DE-DAME-AVANT-L-EXTENSION-DU-PORT-DE-TOAMASINA

Smith, A. K., Cook, N., Songcuan, A., Brown, R. E., Molinaro, G., Saper, J., & Keane, K. (2024). Effectiveness of coral (Bilbunna) relocation as a mitigation strategy for pipeline construction at Hayman island, Great Barrier Reef. Ecological Management & Restoration, 25(1), 21-31. doi:10.1111/emr.12590

Stephens, N. R. (2007). Stony Coral Transplantation Associated with Coastal and Marine Construction Activities (Master’s thesis). Retrieved from https://nsuworks.nova.edu/occ_stuetd/258/

COMMENTAIRE : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire en bas de la page.

Quitter la version mobile