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Les matières organiques, nouvelles recettes des agriculteurs contre la salinisation des terres au Sénégal

  • Dans les régions de Fatick et de la Casamance au sud du Sénégal, les bouses de vache, les coques d’arachide, les coquillages d’huître et autres matières organiques sont les solutions qu’utilisent les agriculteurs pour lutter contre la salinisation des terres.
  • Dans ce pays, où près de 1,7 million d’hectares de terre sont touchés par le sel, les paysans combinent ces techniques avec les méthodes que proposent les scientifiques.
  • Même si le phénomène de la dégradation des terres semble irréversible et progresse au Sénégal, les chercheurs estiment que l’amendement continu des sols salinisés et l’utilisation des variétés de cultures résistantes au sel constituent le rempart contre la baisse des rendements agricoles provoqués par la salinisation.

En cette fin de matinée de samedi, l’air est déjà irrespirable à Loul Sessene et la chaleur presqu’étouffante. A la gare routière où notre bus s’est immobilisé, non loin de la mairie, les quelques arbres qui longent la route principale servent d’abris aux chauffeurs en quête d’ombre pour échapper à la tyrannie du climat. De l’un et l’autre côté de la voie, des écoliers sortant des cours, avec leur vacarme habituel, font oublier, quelques instants, le sort que nous fait subir le soleil en cet instant précis. « Aujourd’hui, vous avez de la chance. Nous, nous sommes là depuis mercredi et il a fait, par moments, plus de 48 degrés ici », lance Elisabeth Gueye, notre interlocutrice qui nous accueille le long de la route reliant Ndjosmone à Ndangane. Nous sommes dans le Saloum (Fatick), l’une des 14 régions que compte le Sénégal.

Située à 145 kilomètres de la capitale Dakar, cette région du centre du Sénégal d’environ 6.685 km2 est réputée pour ses nombreuses zones touristiques comme la réserve de Fathala, le Parc National du Delta du Saloum, les îles du Saloum, le musée Mahicao de Djilor Djidiack, mais également pour son potentiel agricole. Les 50 % de la région de Fatick, sont utilisés à des fins agricoles, et cette activité occupe près de 90 % de la population active. Les principales cultures sont, entre autres, le riz, l’arachide, le mil, le sorgho, le maïs et le coton.

D’après l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie du Sénégal (ANSD), près de cinq cent mille tonnes de cultures industrielles (218.931 tonnes d’arachide, 14 538 tonnes de haricot, 47 446 tonnes de manioc, 95 277 tonnes de pastèque et 1 914 tonnes de sésame) et de cultures céréalières (198 072 tonnes de mil, 12 681 tonnes de sorgho, 43 038 tonnes de maïs et 14 037 tonnes de riz) sont sorties des terres de cette seule région en 2022. Des productions, essentiellement destinées au marché local mettent en évidence le rôle de Fatick dans la sécurité alimentaire du pays. Ces tonnages auraient pu être plus élevés si les terres cultivables ne sont pas touchées depuis plusieurs décennies par la salinisation. A l’échelle nationale, les terres salinisées sont passées de 4,97 % en 1986 à 5,97 % en 2020.

La salinisation, le cancer des terres au Sénégal

Définie comme le processus de contamination des sols suite à l’accumulation des sels hydro-solides au niveau du sol, des eaux de surface ou des eaux souterraines au point de compromettre la production agricole, la salinisation touche, au Sénégal, essentiellement les terres proches des bassins du fleuve Sénégal, du fleuve Gambie et du Sine Saloum. « Avant, nos récoltes étaient bonnes ici. J’arrivais à produire le riz et l’arachide sur mes terres et mes rendements étaient excellents », dit Samba Sy, la soixantaine environ. Ce dernier nous accueille dans l’un de ses champs à Ndangane, une localité située à 135 kilomètres de Dakar. Le sentier menant vers ce champ, situé à environ 5 kilomètres de la route nationale, laissait déjà entrevoir l’état de ces terres, que Sy dit cultiver depuis bientôt 20 ans. Les traces blanchâtres sur les petites herbes et le sol fendillé renseignent sur le passage de l’eau marine sur ces surfaces arables, dont la végétation est complètement dégarnie par endroits. Avant d’atteindre le champ de Samba Sy, nous traversons plusieurs rizières asséchées devenues arides par l’absence de pluies et l’abandon des cultivateurs qui y travaillaient. Sur ces lopins de terres abandonnés, ne poussent désormais que quelques herbes jaunies, qui résistent tant bien que mal pour survivre. Plus de 10 ans déjà que les terres de cette zone sont affectées par la salinisation, dit Samba Sy. Il s’arrête, un instant, pour éloigner les animaux qui tentent de passer dans son champ. Avec un air dépité, il poursuit et explique que depuis que la salinisation dicte sa loi sur les superficies agricoles de son village, ses rendements ont drastiquement baissé. En l’espace de quelques années, sa production arachidière est passée de 700 kilos à moins de 300 kilos à l’hectare, une chute de plus de 50 % qui l’a contraint à abandonner les terres devenues moins rentables.

Sol salinisé et abandonné dans la Commune de Loul Sessene, région de Fatick. Image de Igor Kouton.

A Ndof dans la Commune de Loul Sessene, la situation est identique pour Abdou Sarr, qui, avant de monter sur son semoir, explique avoir également vu sa production de riz considérablement chuter en raison de l’augmentation de la teneur en sel de ses terres de culture. La baisse des rendements agricoles pousse les plus jeunes agriculteurs à choisir le chemin de la migration irrégulière comme Fallou et Demba, les deux fils de Modou Ciss âgés de 29 et 36 ans. « Quand nous avons perdu nos terres, du fait de la salinisation, mes enfants se sont retrouvés sans sources de revenus. Ils ont décidé d’aller en Europe par la mer, j’ai tenté de les en dissuader, mais ils ne m’ont pas écouté. Quelques jours après leur départ, leur embarcation a chaviré et l’ainé est mort en mer. Son frère a été sauvé par les garde-côtes et rapatrié ici », dit-il après avoir réajusté son Tingadé, une sorte de chapeau traditionnel que portent souvent les peulhs du Fouta au Sénégal, sur la tête.

Outre les terres cultivables, la salinisation touche aussi certaines zones d’habitation, qu’elle détruit sur son passage. Dans cette commune d’environ 30 mille habitants, entre 35 et 45 % des terres sont déjà perdues à cause de la salinisation, à en croire Elisabeth Guèye, Chercheuse à l’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR), un think tank spécialisé en politiques publiques dans le secteur agricole en Afrique de l’Ouest et qui a participé, en 2020, à une opération de cartographie des sols de cette zone.

Les causes de cette salinisation sont diverses. En premier, le réchauffement climatique qui fait déborder l’eau de mer de son lit naturel, envahissant les habitations et les terres agricoles. La fabrication artisanale de sel, par la mise en place non règlementée de puits de sels, contribue à l’augmentation du taux de sel dans les sols proches des sites de production, selon les explications de Guèye. « Si les choses restent en l’état, c’est la sécurité alimentaire même de ces populations qui serait menacée », ajoute Guèye. Mais face aux dégâts, les paysans n’ont pas baissé les bras. Ils ont développé des méthodes de lutte qui les aident à récupérer progressivement les sols dégradés par le sel.

Puit de fabrication artisanale de sel, source de la salinisation des terres dans la région de Fatick au Sénégal. Image de Elisabeth Gueye, IPAR.

Des solutions locales pour la récupération des terres affectées

A Loul Sessene, dans la région de Fatick, les populations combinent l’utilisation des bouses de vache ou d’autres animaux et des coques d’arachide pour tenter de récupérer leurs terres salinisées, comme nous le détaille Abdou Sarr, qui en a fait l’expérience. Du haut de son vieux semoir de précision marqué par les rouilles et dont les bruits rendent parfois inaudibles nos échanges, il crie : « On installe les animaux comme les vaches, les ânes et d’autres sur les sols touchés par le sel. Les bouses, que les animaux déposent sur ces sols, s’accumulent et nous y ajoutons aussi des coques d’arachide. Au bout de quelques mois, on s’aperçoit que la végétation revient peu à peu. Et, à ce moment, nous recommençons à cultiver sur ces terres ». L’efficacité de ces solutions est confirmée par les chercheurs comme Guèye. « Nous avons remarqué, en venant ici, que les populations locales ont des techniques qu’elles utilisent pour régénérer les terres et cela marche assez bien », dit Guèye. « En dehors des fumiers et des coques d’arachide, elles ont également certaines espèces d’arbres qui, une fois plantés sur ces terres, aspirent une partie du sel qu’elles contiennent », ajoute-t-elle. Il s’agit notamment du sapin de Normandie (Combretum glutinosum) et de l’eucalyptus (Eucalyptus alba).

A Ndangane, autre localité de la région de Fatick, l’agriculteur Samba Sy et les autres paysans de la zone utilisent de la cendre récoltée après l’utilisation de charbons ou de bois de chauffe pour corriger la salinisation de leurs terres. L’agriculteur affirme avoir repris des activités champêtres sur des sols salinisés après y avoir appliqué, intensivement et pendant sept mois, de la cendre. « Les terres, sur lesquelles j’ai versé régulièrement de la cendre, sont à nouveau productives, et j’arrive à me faire un peu de bénéfice, même si cela n’a pas encore atteint le niveau où j’étais avant la salinisation », dit-il avec un air de soulagement. D’un regard, il nous indique un gros tas de cendre accumulée dans un coin de son champ, où sont encore visibles les ornières laissées par des machines agricoles, qui y ont travaillé pendant l’hivernage. Ce tas de cendre, haut d’environ d’un mètre et demi, est couvert d’une bâche grise. « Je la recouvre de bâche pour éviter qu’elle ne se disperse avec l’effet du vent », dit l’agriculteur, visiblement atteint par les dards du soleil qui, à cet instant-là, semblait ne vouloir nous laisser aucun répit.

Dr Abdoulaye Badiane est chercheur en sciences du sol et pratiques agro-écologiques au Centre de recherches agricoles à l’Institut Sénégalais des Recherches Agricoles (ISRA) à Ziguinchor au sud du Sénégal. Joint au téléphone, il explique qu’en Casamance, sa zone d’intervention où 600 mille hectares de terres sont touchés, les populations ont aussi recours à d’autres techniques comme la combinaison des feuilles de mangue et des gousses de néré pour tenter de sauver les terres salées. « Les populations ont toujours essayé de s’adapter », affirme le chercheur.

Plante halophyte locale sur sol salinisé. Image de Igor Kouton.

Chercheurs et instituts, nouveaux renforts

Malgré les efforts déployés par les populations, le phénomène s’est aggravé et le processus semble irréversible, selon Dr Badiane. « Si on se réfère aux chiffres de la FAO, en 2020, on peut dire que près d’un milliard d’hectares de terres sont affectées dans le monde. Dans la région de Fatick, malgré l’intervention de divers projets et programmes de lutte contre la salinisation, les terres salées sont passées de 4,97 % en 1986 à 5,97 % en 2020 », dit-il.

En plus des solutions locales mises en place par les populations elles-mêmes pour faire baisser le niveau de sel dans leurs terres, des chercheurs et des instituts de recherches agricoles leur viennent en aide avec quelques approches dites modernes. Ils mettent à la disposition des agriculteurs plusieurs mécanismes de lutte contre la salinisation. D’abord, il y a la forme de lutte dite mécanique, qui consiste à mettre en place des ouvrages de protection, des barrières entre les zones d’entrée des eaux salées et les zones de production, des digues, etc. Comme c’est le cas dans la région de Fatick où, l’Ipar, à travers divers projets, aide à la mise en place des diguettes de protection au niveau des champs. « On a jugé nécessaire de lier les deux : l’aspect mécanique et celui traditionnel. Nous avons installé des diguettes qui permettent de faire un blocage, dans un premier temps de l’eau de mer, qui tente de venir vers les sols cultivables, et qui bloque aussi l’eau de pluie en l’empêchant de se disperser. Cette eau de pluie restera donc sur la surface cultivable, et, pendant son infiltration, elle empêche l’eau saline de remonter à la surface », explique Gueye.

Ensuite, il y a les méthodes de lutte dites chimiques avec l’application sur les terres salées des produits comme la chaux agricole et du phosphogypse. Le phosphogypse, malgré son apport dans la correction des sols dégradés, est un sous-produit industriel, qui contient parfois des contaminants comme le plomb et ne fait pas l’unanimité chez les chercheurs. Mais il est toujours utilisé sur certaines terres salinisées, comme c’est le cas en Casamance au sud du Sénégal. Enfin, il y a les méthodes de lutte biologique parmi lesquelles l’utilisation d’engrais organiques post-améliorés. « Dans le cadre de nos travaux ici en Casamance, j’ai mis au point des formules de compostage à base de pailles de riz et d’autres biomasses très représentées ici, en Casamance, notamment les feuilles de mangue et les biomasses herbacées comme le Panicum maximum et l’Andropogon gayanus », dit Badiane.

Diguette installée sur des sols dégradés dans la Commune de Loul Sessene, région de Fatick. Image de Igor Kouton.

Du reste, Badiane et certains de ses collègues de l’ISRA, ont identifié une source de calcium d’origine organique, notamment les coquillages d’huitres qu’ils broient avec une machine pour en faire un mélange dans un système de compostage. « Les analyses, que nous avons faites récemment, montrent qu’on peut trouver 257 milligrammes de calcium par kilogramme de poudre de coquillages. Cette solution permet d’avoir un rendement, qui peut aller jusqu’à 2 tonnes à l’hectare, comparativement aux sols non traités, dont les rendements de riz paddy n’excèdent pas 200 kilos à l’hectare », ajoute-t-il. Les résultats de l’utilisation de ces matières organiques sont souvent immédiats et durables, selon Dr Badiane qui s’appuie sur des analyses effectuées lors des travaux de thèse de l’un de ses étudiants. Il affirme, en effet, que dès la première année d’amendements des sols avec la poudre de coquillage, les rendements s’améliorent sur les terres salinisées. Néanmoins, nuance-t-il, la récupération totale des terres touchées par la salinisation dépend de plusieurs facteurs, comme la variation et le changement du climat, la pluviométrie.

Mais les chercheurs ne se limitent aux propositions de solutions de correction et de récupération des terres salinisées. Dr Oumar Ndaw Faye, Maître de recherches en Amélioration des plantes et Directeur du Centre des Recherches Agricoles de l’ISRA à Saint-Louis, ville située à 264 km au nord de Dakar, rencontré à Dakar, en marge de la 24ème édition de la Foire Internationale de l’Agriculture et des Ressources Animales (FIARA), tenue du 14 au 30 mai 2024, explique : « Il y a des sols salinisés partout au Sénégal. Il y en a dans la vallée du fleuve Sénégal, dans la zone de Fatick et en Casamance. Nous nous sommes dit qu’il faut développer des variétés qui peuvent s’adapter ».

Au niveau génétique, poursuit-il, on s’est rendu compte qu’il y a des gènes, qui répondent favorablement en milieu salé, donc des gènes de tolérance saline. Au niveau de l’ISRA, nous nous sommes appesantis, avec notre partenaire d’AfricaRice, sur certaines variétés. Et nous avons essayé de mettre au point de nouvelles variétés par des croisements génétiques. Une fois les gènes fixés, Dr Faye a créé 3 variétés, dont la tolérance au sel a été ensuite testée ; des tests qui ont abouti à des résultats jugés satisfaisants et qui ont conduit à l’homologation de ces variétés de riz en 2017. Il s’agit des variétés Isriz 10, Isriz 11 et Isriz 15. Toujours selon ce chercheur, ces différentes variétés, une fois introduites dans les champs, ont donné des rendements allant jusqu’à 2 tonnes à l’hectare, sur des terres qui étaient impropres à l’agriculture et abandonnées par les cultivateurs. « Les résultats ont été satisfaisants, aussi bien dans la région de Fatick que dans les autres zones touchées par la salinisation comme Saint-Louis et la Casamance. Ces résultats satisfaisants ont poussé les agriculteurs à adopter ces nouvelles variétés au point de créer par moment une rupture du stock de semences », dit Faye. Ces travaux de mise au point de nouvelles variétés de riz à tolérance saline ont valu au Dr Faye d’être désigné ‘’meilleur sélectionneur’’ de variétés en 2019 par l’agence coréenne KAFACI.

Au-delà de toutes les solutions énumérées précédemment, des plantes halophytes comme le Tamarix aphyla, encore appelé arbre Athel et importé d’Israël, sont également sur les sols dégradées par la salinisation. Dans les champs, que nous avons visités dans la Commune de Loul Sessene, certaines de ces espèces sont déjà mises en terre. Les plantes sont mises en terre comme des plantes ordinaires et elles sont espacées d’environ cinq mètres les unes des autres. Leur arrosage, leur entretien et leur protection sont laissés aux soins de la population locale. Celles plantées il y a un an sont déjà devenues des arbres, avec plus de deux mètres de hauteur. Les plus récentes sont encore de jeunes pousses d’à peine cinquante centimètres.

Ces plantes, de par leur propriété de pompage de sel avec leurs racines, aident à atténuer la dégradation de ces sols. Même si Gueye est consciente que les premiers résultats ne seront visibles qu’au bout d’environ cinq années, elle appelle les agriculteurs et les instituts de recherche à continuer les efforts. Badiane de l’ISRA recommande la combinaison de toutes ces méthodes de lutte afin que le résultat soit très efficace et durable. Il recommande également aux agriculteurs de privilégier les engrais d’origine organique qui, selon lui, aident aussi la terre à se régénérer et sont abordables pour les producteurs agricoles.

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Image de bannière : Diguette installée sur des sols dégradés dans la Commune de Loul Sessene, région de Fatick. Image de Igor Kouton.

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