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L’irrigation renforce la résilience climatique au Mali

  • L’irrigation permet d’augmenter les revenus des populations par une agriculture productive et durable.
  • Les aménagements d’irrigation permettent de réduire la pauvreté dans les zones rurales.
  • L’irrigation de proximité augmente les capacités de production des paysans.
  • Les producteurs appellent l’État à aménager tous les espaces cultivables dans les zones prévues pour accueillir en maîtrise totale ou partielle les systèmes d'irrigation.

Selon une étude publiée en février 2024 dans la revue Pnas Nexus, l’irrigation renforce la résilience climatique au Mali. Dans ce pays sahélien, le secteur agricole, bénéficiant d’un apport en irrigation depuis des années grâce aux partenaires internationaux, contribue pour environ 40 % du Produit intérieur brut (PIB) et fournit près de 40 % des recettes d’exportations du pays.

Les chercheurs ont donc évalué les effets de l’irrigation sur la résilience climatique des communautés agricoles dans un pays où les précipitations sont de moins en moins prévisibles. D’après leurs résultats, l’irrigation par pompage améliore durablement les conditions agricoles sur les périmètres irrigués, ainsi que la nutrition des enfants dans les communautés voisines.

De même, ils indiquent que, même avec l’augmentation des conflits politiques dans les zones semi-arides, l’irrigation durable peut constituer un outil précieux pour améliorer le bien-être des communautés et leur cohésion sociale à long terme.

« L’étude a permis de constater que l’introduction de l’irrigation entraîne une augmentation substantielle de la production agricole dans les champs bénéficiant d’un soutien, même une décennie plus tard », affirme Ariel Ben Yishay, chercheur à AidData, un laboratoire de recherche à William and Mary, une université américaine en Virginie.

Pour parvenir à cette conclusion, l’échantillon d’étude des chercheurs comprend environ 1.000 localités distinctes du nord du Mali, dans lesquelles l’irrigation a été introduite. Yishay, contacté par e-mail, indique que son laboratoire a procédé au déploiement échelonné de l’irrigation et a fait des observations répétées sur 20 ans, pour permettre de comparer les résultats avant et après l’irrigation tout en ajustant les facteurs de confusion. « Nous avons lié géospatialement les données sur les interventions d’irrigation avec les conditions agricoles mesurées à l’aide d’images satellites et d’enquêtes, ainsi qu’avec les résultats en matière de nutrition et de santé des enfants et les données sur les événements de conflit », explique-t-il. Selon Yishay, les enfants des communautés voisines risquent moins de souffrir d’un retard de croissance ou d’émancipation à cause de l’irrigation, et les risques de conflit diminuent dans les communautés les plus proches. « Certains de ces gains sont contrebalancés par la détérioration des conditions des zones d’irrigation nouvellement installées », précise-t-il.

Des producteurs dans un champ de riz de l’Office du périmètre irrigué de Baguineda. Image d’archives du quotidien national d’information du Mali, l’Essor.

Selon les auteurs de l’étude, les effets durables de l’irrigation sur la production agricole, la nutrition et la santé des enfants suggèrent que les investissements basés sur les pompes peuvent contribuer à améliorer la résilience des communautés.

Mieux, ces effets augmentent au cours de la première année après l’introduction de l’irrigation, puis se stabilisent et restent intacts même une décennie après la fin de l’irrigation, nécessitant un entretien et une utilisation durables.

Toutefois, les chercheurs avertissent dans leur étude que : «En examinant les impacts écologiques dus à l’irrigation par pompage, l’interprétation visuelle des images satellitaires, a montré une petite étendue d’érosion des sols dans plus de 60 % des groupes de projets sous la forme de rigoles, de ravins et de canaux de cours d’eau, en raison de la présence des eaux souterraines élevées et de la proximité du fleuve Niger».

D’après les chercheurs maliens contactés notamment Mahamadou Sanogo, Spécialiste en changements climatiques et de la promotion des Emplois Verts à l’ONG Mali- Folkecenter Nyetaa et Kalifa Traoré, Directeur général de l’Institut d’économie rurale (IER), l’étude semble fournir des preuves importantes sur le rôle de l’irrigation dans la résilience climatique des communautés agricoles au Mali ; ce qui est prometteur pour la durabilité et la sécurité alimentaire du pays.

Deux fois la quantité d’eau consommée dans les pays asiatiques

Interrogé par Mongabay, Seydou Keïta, Secrétaire exécutif de l’interprofession de la filière riz du Mali, explique que, de façon générale, l’irrigation est la méthode la plus résiliente pour l’agriculture malienne, notamment dans la riziculture et le maraichage. « La pluie étant précaire avec le changement climatique, l’irrigation reste le moyen le plus sûr pour produire en toutes saisons », assure Keïta. Ce dernier souhaite que l’État aménage tous les espaces cultivables dans les zones prévues pour accueillir en maîtrise totale ou partielle les systèmes d’irrigations appelées localement Offices et Agences. « Quand on arrive à bien faire l’irrigation en termes de gestion efficiente de l’eau, cela permet non seulement de faire une économie d’eau, mais aussi de lutter contre les effets du changement climatique », explique-t-il.

Keïta estime que la mauvaise répartition de l’eau dans la partie sahélienne du Mali oblige parfois à bombarder les nuages pour que les pluies puissent être abondantes. « En ce sens, l’irrigation apparait comme une solution à cette insuffisance d’eau par rapport aux cultures, surtout en période de contre saison », assure le producteur.

Des producteurs dans un champ de riz de l’Office du périmètre irrigué de Baguineda. Image d’archives du quotidien national d’information du Mali, l’Essor.

Cependant, il déplore que le système d’irrigation reste insuffisamment appliqué au regard du potentiel de sols irrigables. « Le Mali dispose de 2.200 000 hectares de sols irrigables, dont moins de 20 % de ce potentiel ne sont pas valorisés. Et le système d’irrigation par gravitation, utilisé dans l’Office du Niger, consomme beaucoup d’eau, car on utilise plus de 15 000 m3 par hectare. Nous utilisons deux fois la quantité d’eau consommée dans les pays asiatiques », révèle-t-il. Ce gaspillage d’eau, selon Keïta, s’explique par la vétusté des aménagements et des ouvrages. « Aujourd’hui, la production rizicole du Mali est dans l’ordre de 3 millions de tonnes de riz paddy par an. Cela grâce à l’irrigation dans les différents bassins de production à travers le pays, sans oublier la subvention des intrants agricoles que l’État accorde aux producteurs ».

Kalifa Traoré confirme l’apport de l’irrigation dans le renforcement de la résilience des agriculteurs au Mali. Il explique au téléphone à Mongabay que, dans le contexte du changement climatique, la distribution des pluies est très inégale. « Si les producteurs se limitent seulement à la pluviométrie, ils vont tous mourir. Mais, s’ils ont un système d’irrigation d’appoint, il suffirait de l’appliquer pour la récolte. Également, avec le système d’irrigation, les paysans peuvent travailler en contre-saison, en irriguant d’autres cultures comme les tomates, les oignons, les concombres, pour avoir à manger, à vendre et gagner de l’argent », indique-t-il. À cet égard, le chercheur estime que l’irrigation est un bon mécanisme pour renforcer la résilience des paysans, surtout dans le contexte du changement climatique. « L’irrigation est un bon moyen pour atténuer les dégâts du changement climatique au Mali ».

Au Mali, il existe des périmètres irrigués un peu partout dans les régions. Mais ces aménagements, selon Traoré, sont insuffisants au regard des milliers d’hectares qui restent à être aménagés sur l’ensemble du pays. Traoré affirme que l’État doit s’investir davantage pour augmenter le nombre des surfaces irriguées dans ses différentes zones de production comme à l’Office du Niger, dans les systèmes de bas-fonds et dans les périmètres maraîchers, en fonction des objectifs de production des paysans.

L’irrigation contre l’instabilité sociale

Le Mali possède deux grands types d’irrigation : la petite irrigation et la grande irrigation. La grande irrigation concerne les grands et moyens barrages dans les zones agricoles au niveau des offices et agences (des aménagements hydroagricoles). Tandis que la petite irrigation ou l’irrigation de proximité (IP), consiste à la réalisation des petits barrages et retenues d’eau. Garantigui Traoré, Directeur national du génie rural (DNGR), explique que les petites irrigations sont des aménagements de moins de 50 hectares gérés par les communautés à la base, alors que les grandes irrigations sont réalisées sur plus de 50 hectares et gérées par les Offices et les Agences de développement rural qui sont des services de l’État. Pour lui, l’irrigation de proximité vise à augmenter les revenus des populations par une agriculture productive et durable.

Ce dernier souligne que l’irrigation de proximité permet de résoudre beaucoup de problèmes dans le milieu rural, notamment l’instabilité sociale (le chômage, l’exode rural, immigration clandestine et le changement climatique). Selon Traoré, les systèmes d’irrigation utilisés au Mali sont l’irrigation par gravité, par aspersion et par goûte à goûte. « Depuis que le développement de ces aménagements a commencé, les légumes sont permanents sur le marché de Bamako et de Kati pendant toute l’année. L’irrigation de proximité a permis au Mali, de diversifier les productions agricoles dans les zones de production et les zones de commercialisation qui sont attachées à ces zones de production. La diversification des productions a aussi contribué à l’amélioration de la ration alimentaire dans les ménages », dit-il.

Un avis partagé par Mata Sangho, Présidente de la coopérative « Dièkabara » des producteurs de l’Office riz de Dioro, situé dans la Région de Ségou. Selon elle, le développement du système d’irrigation a, non seulement permis d’augmenter le niveau de la production dans les différentes zones de production mais aussi, de réduire considérablement l’exode rural des jeunes et les dépenses alimentaires des ménages. « Cette production permet surtout aux femmes, de soutenir les foyers à travers la commercialisation et la consommation des produits agricoles disponibles à tout moment de l’année », précise Sangho au téléphone de Mongabay.

Des paysans en train d’apprendre à utiliser un drone pour le traitement et l’irrigation des cultures. Image d’archives du quotidien national d’information du Mali, l’Essor.

La coopérative « Dièkabara », qui compte 41 membres dont 10 hommes et 31 femmes, exploite 54 hectares de riz aménagés en système d’irrigation par pompage alimenté par des groupes à gasoil, dans le village de Noyédaga dans la zone Office riz de Ségou, à 20 kilomètres du cercle de Dioro.

Amidou Kouyaté, Secrétaire général de cette structure, dispose de 10 hectares de riz sur les 54 de la coopérative. Ce producteur, âgé de 35 ans, qui a vécu en Espagne avant de devenir aujourd’hui entrepreneur agricole au Mali, explique que le système génère beaucoup de revenus à sa coopérative. « Nous disposons de l’eau pendant toute l’année dans le périmètre à travers l’irrigation par pompage sur le fleuve Niger. Après chaque campagne de production, nous pouvons avoir sur 10 hectares, à peu près 6560 USD de gains à travers la commercialisation des produits », confie Kouyaté à Mongabay au téléphone.

L’Office du Niger, situé au centre du pays, avec un réseau hydraulique dense de 12.200 km renforcé par le barrage de Markala, est considéré comme le plus grand bassin de production agricole du pays. Cette infrastructure est annuellement entretenue pour permettre à la région de jouer son rôle dans l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Pour sa part, Mahamadou Sanogo, joint au téléphone, déduit que le rôle de l’irrigation dans la résilience climatique des communautés agricoles au Mali est prometteur pour la durabilité et la sécurité alimentaire. « L’irrigation permet une gestion plus efficace de l’eau, réduisant ainsi les risques liés aux aléas climatiques comme les sécheresses », affirme Sanogo. Il explique qu’en offrant une source d’eau fiable, l’irrigation permet aux agriculteurs de maintenir des rendements stables malgré les fluctuations climatiques, renforçant ainsi leur résilience. Selon Sanogo, ces avantages incluent des rendements agricoles accrus, une sécurité alimentaire améliorée, une diversification des cultures et des revenus, ainsi qu’une réduction de la vulnérabilité aux chocs climatiques. Pour lui, en renforçant la sécurité alimentaire et les revenus des agriculteurs, l’irrigation peut contribuer à améliorer le bien-être et la cohésion sociale des communautés à long terme, réduisant ainsi les tensions liées à la rareté des ressources naturelles et favorisant la collaboration entre les parties prenantes.

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Citation :

BenYishay, A., Sayers, R., Singh, K., Goodman, S., Walker, M., Traoré, S. S., . . . Noltze, M. (2024). Irrigation strengthens climate resilience: Long-term evidence from Mli using satellites and surveys. PNAS Nexus, 3(2). DOI:10.1093/pnasnexus/pgae022

Image de bannière : Une opération de repiquage du riz dans l’Office du périmètre irrigué de Baguineda (OPIB), dans la Région de Koulikoro, à 30 kilomètres de Bamako, sur le fleuve Niger. Image d’archives du quotidien national d’information du Mali, l’Essor.

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