Nouvelles de l'environnement

Quand l’agriculture diversifiée affecte positivement la biodiversité en Afrique

  • La simplification des systèmes agricoles continue de croître aux dépens d’une agriculture plus diversifiée, notamment en Afrique.
  • La conservation des sols et la gestion de la fertilité figurent parmi les cinq grands types de diversification sur lesquels les chercheurs se sont focalisés pour montrer l’impact de la biodiversité sur l’agriculture. L’objectif visé est de préserver les ressources et d’améliorer la productivité et les revenus agricoles des petits producteurs.
  • L'aspect financier peut constituer un obstacle au passage à une agriculture diversifiée.
  • Les avantages environnementaux associés à différentes stratégies de diversification agricole sont plus importants dans les paysages simples renfermant 5 à 20 % d’habitats semi-naturels ou de zones non cultivées

Une nouvelle étude conjointe, menée par des chercheurs de plus de 11 pays avec des données recueillies sur les cinq continents, démontre qu’une alternative est possible en Afrique pour une agriculture plus intensive afin de mieux protéger la biodiversité sur le continent.

L’étude intitulée « les avantages conjoints pour la l’environnement des solutions fondées sur une agriculture diversifiée » a focalisé l’attention sur quelque 2 655 exploitations agricoles sur les cinq continents, y compris l’agriculture paysanne en Afrique rurale notamment.

Répartition géographique des 24 ensembles de données répartis sur cinq continents et une large gamme de paysages. Image de Zia Mehrabi

Les chercheurs affirment que la simplification des systèmes agricoles croît aux dépens d’une agriculture plus diversifiée notamment en Afrique, contribuant au franchissement des limites planétaires en raison de l’utilisation excessive d’intrants chimiques, de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, de la perte de biodiversité et de l’utilisation de l’eau. Cette situation s’explique par le fait que l’accent mis par les politiques nationales des pays sur la simplification des systèmes agricoles s’est accompagné d’impacts environnementaux importants mais négatifs involontaires tels que la pollution, les effets secondaires sociaux tels que l’endettement des agriculteurs, la réduction de la diversité alimentaire des populations et la réduction de la résilience.

Zia Mehrabi, enseignant au Département d’études environnementales de l’université américaine de Colorado Boulder, et chercheur principal dans le cadre de cette étude, a expliqué que la réalisation de cette recherche est une entreprise colossale, qui a nécessité une certaine expertise et une préparation minutieuse. En particulier, cette étude rassemble des données provenant d’une gamme d’exploitations agricoles réelles à travers le monde, pour répondre à la question simple, mais d’une grande portée : que se passe-t-il lorsque les agriculteurs adoptent plusieurs stratégies de diversification ? Les résultats sont cohérents : plus un agriculteur adopte des pratiques de diversification, plus les résultats sociaux et environnementaux sont positifs.

« Mettre en action des pratiques que les agriculteurs peuvent mettre en œuvre pour adopter une agriculture diversifiée nécessite fondamentalement des incitations et un soutien financier permettant aux fermiers de gérer leurs terres de cette manière », a expliqué Prof. Mehrabi dans une interview à Mongabay. « Pour aboutir à des résultats tangibles, il a fallu utiliser une combinaison de méthodes participatives et d’outils statistiques pour se plonger dans les données de 24 systèmes d’études similaires », a-t-il poursuivi.

Avec son équipe, Mehrabi a conclu que les agriculteurs et les éleveurs peuvent tirer profit des solutions innovantes susceptibles d’être étendues à une plus grande échelle, une fois des pratiques agricoles durables adoptées en tandem, plutôt qu’une seule approche individuelle. « Les conclusions de cette étude inspirent les politiques générales, qui doivent être élaborées pour soutenir la production et les producteurs simultanément », souligne Mehrabi pour qui, l’interaction entre les animaux, les plantes et le sol peut servir d’indicateur pour évaluer le bon fonctionnement des écosystèmes. A titre illustratif, les chercheurs citent l’exemple de la diversification de l’élevage, grâce laquelle les agriculteurs peuvent élever des vaches ou des poulets sur la même ferme que les cultures.

Les conclusions de cette recherche montrent que cette approche peut augmenter la quantité de nourriture produite par une ferme, tout en réduisant les dommages causés aux sols et la pollution de l’environnement. En particulier, les chercheurs considèrent des incitations et un soutien financier fondamentalement nécessaires pour que les agriculteurs puissent adopter des pratiques durables, par recours à cette pratique de diversification agricole.

Selon Mehrabi, des exploitations agricoles plus diversifiées peuvent également offrir des avantages supplémentaires, car elles peuvent mieux résister aux catastrophes naturelles telles que les sécheresses ou les vagues de chaleur. Dans l’hypothèse où les petits agriculteurs plantent par exemple des arbres fruitiers au milieu de leurs cultures, les chercheurs espèrent bien que cette partie de la population peut éventuellement consommer ces fruits (bananes ou papayes) tout en vendant le reste de la récolte.

Depuis 2007, le Rwanda, étant un des pays les plus densément peuplés dans le monde avec un secteur agricole confronté à des problèmes de rareté des terres, de dégradation des terres et de changements climatiques, a initié plusieurs réformes visant l’amélioration de la productivité agricole des filières prioritaires en se focalisant notamment sur l’agro-biodiversité. Dans le but d’atténuer les risques associés aux mauvaises récoltes, les agriculteurs rwandais se mobilisent pour la diversification des cultures, en vue de réduire leur dépendance à l’égard d’une seule culture et à élargir leurs options.

Diversification agricole sur la biodiversité

Pour l’instant, les chercheurs jugent essentielle l’adoption des systèmes agricoles biologiquement diversifiés, avec pour objectif de contribuer à l’augmentation du nombre d’espèces végétales et animales comme solution prometteuse pour la mise en place d’un mécanisme écologique permettant d’utiliser les ressources de manière plus efficace, de réduire la pollution et la vulnérabilité aux effets actuels ou attendus du changement climatique.

Millet (Pennisetum glaucum) associé à d’autres cultures. Image par Mongabay.

Selon Florence Uwamahoro, directrice générale adjointe de l’Office Rwandais de Développement de l’agriculture et des ressources animales (RAB, sigle en Anglais) qui s’exprimait dans un entretien téléphonique le 12 avril 2024, l’innovation technique dans l’agriculture s’avère une approche indispensable en vue de parvenir à une croissance durable de la productivité agricole.

De nombreuses recherches ont porté jusqu’ici sur les effets empiriques de la diversification agricole sur les résultats environnementaux. Athanase Nduwumuremyi, un chercheur rwandais qui a mis au point en 2017 des techniques d’amélioration des systèmes de production de semences qui pourraient faciliter la diversification génétique de certains produits agricoles, notamment le manioc, affirme que la diversification agricole reste indispensable au Rwanda pour augmenter les rendements dans les principaux systèmes de culture.

Dans le cadre de la recherche consacrée à la mise en place d’un système efficace de semences de manioc, Nduwumuremyi s’est concentré sur la mise en œuvre de protocoles d’inspection du manioc, le suivi et la traçabilité des semences, la gestion des ravageurs et des maladies, et la compréhension de la chaîne de valeurs des semences de manioc. Selon lui, cette initiative contribue essentiellement à l’augmentation des rendements des cultures ainsi qu’à l’amélioration de la sécurité alimentaire, sans oublier les moyens de subsistance des petits exploitants agricoles.

Le chercheur rwandais a pu réaliser une carte des variations génétiques sur 30 échantillons spécifiques de manioc dans cinq zones agro-écologique. L’étude des ressources génétiques du manioc a suscité une attention toute particulière de la part des chercheurs dont l’intérêt porte particulièrement sur cette culture vivrière parmi les plus cultivées et les plus consommées au Rwanda. Récemment, il a mis en évidence l’existence d’hybrides interspécifiques spontanés issus de certaines espèces de manioc au Rwanda là où la recombinaison génétique peut créer des hybrides interspécifiques résistant à certaines maladies végétales. « Les petits exploitants agricoles ont besoin d’acquérir de nouvelles compétences pour se lancer dans une démarche de diversification agricole, notamment la transformation de la production », affirme Nduwumuremyi, dans un entretien par téléphone.

Au Rwanda, les récentes données officielles disponibles montrent que le manioc est le 2ème produit le plus cultivé après la banane, et le quatrième le plus consommé. Le pays produit actuellement environ trois millions de tonnes de manioc, mais les estimations montrent que la production moyenne et la mise à l’échelle de nouvelles variétés pourraient atteindre environ huit millions de tonnes par an, avec des variétés améliorées et une utilisation appropriée des engrais. Des scientifiques comme Nduwumuremyi pensent qu’il est indispensable de trouver les voies et moyens de mettre ces nouvelles idées en pratique, en aidant les petits exploitants agricoles à acquérir ces compétences en vue d’améliorer leur productivité. La nouvelle étude rappelle que ces recherches comprennent des synthèses quantitatives récentes démontrant les effets positifs de la diversification agricole sur la biodiversité et les services éco-systémiques en particulier sur le continent africain.

Pratiques de conservation innovantes

Les effets positifs des stratégies et des pratiques de diversification sur la biodiversité ont été essentiellement déterminés par les effets sur les grandes exploitations, mais pas sur les petites exploitations. La nouvelle étude explique que ce phénomène découle du fait qu’il existe des contrastes plus marqués dans l’intensité de la gestion entre les grandes exploitations simplifiées et les exploitations de taille similaire, qui ont adopté des stratégies de diversification. Par exemple, la recherche montre que la polyculture-élevage – qui consiste à associer plusieurs variétés végétales et un animal (vache, poulet…) – apporte à elle seule un bénéfice en termes de rendement et de santé du sol, mais elle s’avère encore plus fructueuse si une autre forme de diversification est adoptée en complément.

Des agricultrices dans un champ au Kenya. Image de McKay Savage via Wikimedia (CC BY 2.0)

Les chercheurs ont également découvert, qu’il existe des pratiques de conservation des sols conduisant à des gains de biodiversité, mais occasionnant en même temps des pertes potentielles de rendement, bien que ces dernières ne soient pas statistiquement significatives. Ces découvertes indiquent qu’il est peu probable que la diversification agricole se traduise par une amélioration des paysages défrichés, car le réservoir d’espèces régionales disponibles pour coloniser les champs cultivés et fournir des services écosystémiques dans les réserves de biosphère africaines reste limité. Selon les chercheurs, les avantages environnementaux associés à différentes stratégies de diversification agricole sont les plus importants dans les paysages simples renfermant 5 à 20 % d’habitats semi-naturels ou de zones non cultivées contrairement aux paysages de taille supérieur désignés comme étant moins productifs.

Potentiel obstacle

Parmi les cinq grands types de diversification sur lesquels les chercheurs se sont focalisés pour montrer l’impact de l’agriculture diversifiée sur la biodiversité, il y a notamment la conservation des sols et la gestion de la fertilité dans le but de préserver les ressources et d’améliorer la productivité et les revenus agricoles des petits producteurs.

Les pratiques de conservation des sols, telles que l’ajout de compost, sont considérées par des chercheurs comme étant l’une des stratégies appropriées de diversification, s’ils créent des conditions d’habitat qui améliorent la biodiversité ou la complexité trophique souterraine sur le continent.

Les auteurs ont ici choisi de regrouper l’ensemble des pratiques de “diversification agricole” plutôt que de les évaluer séparément, comme avaient pu le faire de précédents travaux.

Certes, l’aspect financier peut constituer un obstacle au passage à une agriculture diversifiée, reconnaissent les auteurs. Concrètement, les agriculteurs doivent en effet se munir d’outils et de machines différentes – un lourd investissement – pour cultiver à la fois des céréales, des fruits, etc.

Quoi qu’il en soit, en analysant les impacts de l’agriculture diversifiée sur le fonctionnement des écosystèmes en Afrique, l’étude a démontré qu’il y a des preuves convaincantes que la diversification agricole est une stratégie gagnant-gagnant prometteuse pour apporter des avantages sociaux et environnementaux, notamment en Afrique.

Citations:

Rasmussen, V. L., Grass, I., and alii. (2024). Joint environmental and social benefits from diversified agriculture. Science, Vol 384, Issue 6691, 87-93. DOI:10.1126/science.adj1914.

Nduwumuremyi, A., Melis, R., Shanahan, P., Asiimwe T., (2018). Analysis of phenotypic variability for yield and quality traits within a collection of cassava (Manihot esculenta) genotypes, South African Journal of Plant and Soil, Vol 35, 3, 199-206. DOI:10.1080/02571862.2017.1354406.

Image de bannière : Des agricultrices dans un champ au Kenya. Image de McKay Savage via Wikimedia (CC BY 2.0)

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