- Titiyo, forêt sacrée, depuis les années 1800, située au nord du Togo, a failli disparaître de la carte à cause de la coupe des arbres pour la fabrication du charbon de bois, pour le bois de chauffe, le bois d'œuvre et la construction d'habitations.
- La dégradation et la destruction de cette forêt ont eu d'énormes répercussions sur la survie des animaux, la biodiversité de Titiyo et la population environnante.
- Mais depuis 2015, Tchoou Sylvain Akati, un natif de la localité, petit fils du "Tchotcho" (chef du clan Akati), chargé de la protection de cette forêt, s’est lancé dans la restauration de cet écosystème forestier avec succès.
C’était à moto, en début de l’après-midi du lundi 08 avril, sous un chaud soleil, que nous nous sommes rendus à Karè, à partir de Tomdè, un quartier populaire au sud de la ville de Kara, au nord du Togo. Le trajet n’est pas long, mais il exige d’être prudent sur cette route, car il faut se faufiler entre les camions et les voitures sur cette route nationale N°1. Après environ 30 minutes de route, le chef canton de Kouméa, « Dadja » Pékémassim Ali, âgée de 57 ans environ nous accueille avec sourire.
« Nous sommes content de votre arrivée pour parler de cette forêt dont aujourd’hui la restauration nous réjouit. Dans l’ignorance, et dans le désir de satisfaire nos besoins, la population a mis feu à la forêt et coupé tous les arbres. Et pendant des années, nous avions souffert de la rareté des pluies, même on n’avait plus de bois d’œuvre, et il faisait davantage chaud. Nos enfants ne connaissaient même plus les oiseaux et d’autres espèces animales », se souvint-il. Il nous accorde son avis favorable pour gravir la montage et visiter la forêt de Karè. A l’entrée de Titiyo, les chants des oiseaux et le vent frais de cette forêt nous accueille.
La forêt sacrée de Titiyo, située dans la commune Kozah 2, région de la Kara, est, depuis les années 1800, un lieu de rituel annuel pour plusieurs divinités et danses traditionnelles telles que Evala et So du canton de Kouméa et dans toute la préfecture de la Kozah. Elle est aussi une source de conservation de la biodiversité. Cet écosystème vital pour la communauté du village de Karè a malheureusement subi, à partir des années 1992, au lendemain de la crise politique qu’a vécue le Togo, une forte dégradation de son couvert végétal. La pression croissante de la population, a occasionné sa destruction avancée et a failli entrainer sa disparition. La coupe des arbres pour la fabrication du charbon de bois, la recherche de bois de chauffe et de bois d’œuvre, ainsi que pour la construction d’habitations, n’ont pas laissé de chance aux animaux, ni à la riche flore de survivre.
« Depuis que nous avons détruit cette forêt avec la coupe des arbres, et les feux de brousse pour la chasse surtout, il n’y avait plus de pluie et nous souffrons de ça parce que cela affecte nos rendements agricoles. Les animaux avaient disparu, les oiseaux et tout. Il n’y avait plus de vie dans la forêt », témoigne Kossi Karani, un habitant de Karè. Mais aujourd’hui, cette forêt sacrée doit sa survie grâce à la bravoure d’un fils de Karè, Sylvain Tchoou Akati.
Sylvain Akati, lui-même, se souvient qu’il n’avait que 12 ans et était au CM2 dans son village Karè, quand il avait assisté impuissant à la destruction de la forêt sacrée de Titiyo. C’est ce drame qui l’a tellement marqué et poussé à se lancer dans le combat pour la restauration des forêts au Togo.
« La destruction de la forêt sacrée de Titiyo est récente, c’était devant moi, et j’étais encore en classe de CM2. Cela est parti d’un besoin de bois pour faire la toiture de l’école primaire du village. Et, progressivement, la forêt a été détruite jusqu’en 2005 », raconte-t-il.
Aujourd’hui, Directeur exécutif de l’ONG AJEDI (Action des Jeunes pour le Développement Intégral), basée à Lomé, avec pour mission l’appui et l’accompagnement des populations à la base. Sa motivation pour la restauration de cette forêt vient, non seulement de son amour pour la nature, mais aussi du fait qu’il en a été encouragé par son oncle paternel Anam, connu pour son amour pour la plantation des arbres fruitiers, notamment les tecks et manguiers.
Non à la disparition de Titiyo
S’il a, en 1997, quitté Karè pour s’installer à Lomé, la capitale du Togo, où il a poursuivi ses études secondaires et universitaires, Akati n’a pas abandonné son amour pour la forêt sacrée de Titiyo, dont il a été témoin de la dégradation. Devenu un activiste de la préservation des écosystèmes forestiers et du développement durable, il a créé, en 2008, l’ONG AJEDI. Et, quelques années plus tard, en 2015, il s’est lancé dans la restauration de la forêt sacrée de son village natal.
« Titiyo, cette forêt sacrée, ne devrait pas disparaitre sans que je ne fasse quelque chose, surtout dans le contexte actuel de changement climatique. C’est ainsi qu’en 2015, j’ai rendu visite à mon père, encore en vie, pour lui faire part de mon intention de restaurer la forêt que notre grand-père avait la responsabilité de préserver », raconte-t-il.
Sensibilisation des populations
Pour restaurer la forêt, Akati est conscient qu’il ne pourra pas y parvenir seul. Il procède avec son ONG à la mobilisation des membres de sa communauté.
« Nous avons organisé à la place publique une réunion à laquelle étaient présentes les populations des villages environnants. Je leur ai expliqué les enjeux environnementaux, culturels, économiques et sociaux de la restauration de cette forêt, qui constitue un patrimoine commun », confie Akati.
Cette rencontre, qui s’est tenue en 2019, a été sanctionnée par un procès-verbal et la mise en place d’un comité de suivi de six (6) personnes désignées unanimement par les membres de la communauté.
Cette sensibilisation a été le stimulus d’une belle dynamique. Les habitants de Karè, surtout les femmes, se sont dès lors engagées pour la restauration de la forêt.
« Les feux de brousse et la coupe anarchique des arbres ont fait disparaître la forêt. Au cours de la sensibilisation, on nous a fait comprendre comment la restauration de la forêt peut contribuer à une bonne pluviométrie et donc à une amélioration de la production agricole. Nous avons aussi été sensibilisés sur la manière dont les produits de la forêt peuvent nous faciliter la vie. C’est pour ça que nous nous sommes engagés, hommes et femmes, pour la restauration de Titiyo. Les premières années nous arrosions parfois en saison sèche des plants pour assurer leur croissance», témoigne dame Tchilalo Pitekelabou, une des membres du comité de suivi du projet.
A l’issue de la sensibilisation, les populations propriétaires des terres dans le périmètre de la forêt ont aussi accepté de céder leur parcelle pour la reforestation.
Le coup de pouce du MERF
L’organisation de cette rencontre de mobilisation des populations locales sur fonds propres, a poussé le jeune Akati à soumettre en 2019 son projet à l’appréciation du ministère de l’environnement et des ressources forestières (MERF). Et il eut un retour positif.
« Cette forêt était dégradée à un niveau élevé et ne se résumait qu’à quelques arbres. La population et ses autorités ont été désespérées de la situation et cherchaient alors des voies et moyens pour la restaurer. C’est ce qui a retenu l’attention de l’ONG qui a échangé avec les autorités de la localité pour définir ensemble les modalités de sa restauration. La bonne volonté de Sylvain Akati nous a encouragés à accompagner fortement l’ONG dans toutes ses actions de sensibilisation et de reboisement », explique Yawo Kansiwoe, Capitaine des Eaux et Forêts et Directeur Préfectoral de l’Environnement de la Kozah.
Ainsi, au cours de la première année de reboisement en 2019, le MERF a accordé un appui technique et financier de 5702 USD pour le reboisement de 3 hectares environ. Cet appui financier a permis de mettre en terre 3500 plants composés, entre autres, de caïlcédrat (Khaya senegalensis), acacia (Acacia auriculiformis), teck indien (Melina alborea), néré (Parkia biglobosa), baobab (Adansonia digitata), du fromager (Ceiba pentandra), et neem (Azadirachta indica )… Et le choix de ces différentes espèces n’a pas été fait par hasard.
« Nous avons choisi ces espèces à cause de leur caractère sacré. Le baobab, le kapokier et le néré sont des espèces qui ont une sacralité dans cette forêt. Mais au-delà de ça, nous avons aussi mis en terre des espèces comme le Khaya senegalensis, qui peuvent nous permettre d’obtenir une restauration rapide de la forêt », explique Koudjabalo Ayouguele, Point focal de l’ONG AJEDI à Kara.
Après cette première année, la suite des actions de reboisement a été à la charge de Akati. Mais il a pu compter sur l’engagement des autorités locales enthousiastes de revoir Titiyo restauré.
« Nous sommes reconnaissant de notre fils Tchoou, qui a eu l’idée de nous mobiliser pour la restauration de cette forêt. Au début, nous étions très nombreux, mais certains s’étaient démotivés à un moment donné parce qu’il n’y avait pas de l’argent à gagner directement. Mais d’autres comme nous qui avions compris l’importance de la chose, sommes restés déterminés pour sa restauration. Et nous n’abandonnerons jamais », témoigne le chef canton de Kouméa, Pékémassim Ali.
Un micro climat qui redonne vie et fait chanter les oiseaux
« Avant, les enfants ne connaissaient pas les oiseaux, mais avec la restauration de la forêt, on peut leur montrer les types d’oiseaux, et nous-mêmes, nous sommes contents parce que les oiseaux chantent à nouveau dans nos oreilles, ce que nous n’avions plus vécu ici, depuis des années avec la disparition de la forêt », témoigne Ali, premier garant des us et coutumes de Kouméa, avec sourire.
De même, d’autres espèces animales ont retrouvé refuge dans la forêt de Titiyo. « Aujourd’hui, un vent frais souffle sur le village de Karè grâce à cette forêt. On peut parler d’un micro climat qui s’installe. Et aussi, il y a des singes, des aulacodes (Tryonomys), des reptiles comme le boa, le mamba vert (Dendroaspis angusticeps), la vipère (Viperina) et les couleuvres qui sont revenues dans la forêt. », affirme Akati.
De plus, sur le plan culturel, les populations, aujourd’hui, font des rites traditionnels avec joie, parce que la forêt a retrouvé son caractère sacré, elle est vraiment restaurée.
Pour Kansiwoe, c’est un satisfecit total de voir la forêt communautaire totalement restaurée. « Nous nous réjouissons des résultats encourageants relatifs à la restauration et à la reconstitution de cette forêt communautaire dont le noyau a un lieu sacré, qui conserve cette tradition de forêt sacrée », déclare Kansiwoe.
Mettre en avant une pratique ancestrale
Si la forêt est restaurée, il faut penser à maintenir cette dynamique et à assurer la saturation de la végétation. Et c’est le nouveau challenge de ce fils de Kouméa aujourd’hui âgée de la quarantaine.
« La protection de cette forêt reste actuellement un défi majeur, et nous y réfléchissons. Pour l’instant, le comité de veille assure bien sa mission, qui consiste à surveiller la forêt, à faire les par feux et à poursuivre les actions de sensibilisation afin d’éviter les feux de brousse et la coupe des arbres, et jusque-là, grâce à leur travail nous n’avons enregistré aucun feu de brousse ; et nous espérons, grâce à leur engagement et celui de la population, de relever ce défi », indique Akati.
Au-delà, il pense à une pratique de ses grands-parents qui pourrait être un atout crucial.
« Ce que nous voulons aussi faire pour préserver la forêt, c’est de restaurer une ancienne pratique ou loi, qui interdisait l’entrée dans la forêt en saison pluvieuse et que tout le monde respectait scrupuleusement. Cette prescription interdisait aussi l’entrée dans la forêt sacrée sans autorisation », indique-t-il.
En quête de soutiens
Pour la sauvegarde de la forêt communautaire de Titiyo, Akati a aussi besoin de soutiens financiers comme techniques. Pour lui, la création de quelques activités génératrices de revenus (AGR) autour de la forêt, devrait augmenter les chances de sa préservation.
« Il faut aujourd’hui que nous trouvions des mécanismes pour préserver nos acquis. Nous pensons promouvoir l’apiculture, le maraîchage, et installer une plateforme multifonctionnelle avec un système d’énergie solaire. A long terme, en plus de l’apiculture, nous pensons aussi mener des actions de valorisation des produits forestiers non ligneux au vu des espèces plantées dans la forêt », indique-t-il.
Engagé dans la restauration des écosystèmes forestiers, Sylvain Akati veut aussi du soutien pouvant lui permettre de restaurer toutes les forêts sacrées de la préfecture de la Kozah.
« Ce n’est pas seulement Titiyo qui était menacé de disparition. L’expérience avec cette localité peut nous permettre aujourd’hui de restaurer toutes les forêts sacrées de la Kozah ».
En attendant ce soutien, ce jeune, dévoué à la préservation des forêts, est déjà à l’œuvre pour la restauration de la forêt sacrée de Landa, une autre forêt sacrée située dans la commune Kozah 1 à environ 5 kilomètres de Titiyo.
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Image de bannière : Des oiseaux posés sur des branches d’arbres dans une forêt. Par Yvesbas sur Wikimedia commons