- Des chercheurs malgaches, américains et européens ont découvert une nouvelle espèce d’orchidée dans les forêts de Madagascar, dont l’éperon nectarifère bat des records de longueur.
- L’orchidée, semblable à l’orchidée de Darwin, est pollinisée par un papillon sphinx doté d’une très longue trompe dont l’existence a été prédite par Charles Darwin et Alfred Russel Wallace dans les années 1800.
- L’habitat de cette orchidée est menacé par la déforestation et l’exploitation minière, notamment par la mine de nickel et de cobalt d’Ambatovy. L’entreprise finance toutefois des actions de conservation pour protéger l’espèce.
- La biodiversité de Madagascar, qui comprend de nombreuses espèces uniques au monde, est sévèrement menacée par la déforestation rapide due à l’agriculture, aux incendies et à l’industrie minière.
Des chercheurs malgaches, américains et européens ont découvert une nouvelle espèce d’orchidée dans la canopée des forêts du centre de Madagascar.
L’orchidée, nommée Solenangis impraedicta, possède un éperon nectarifère qui atteint 33 centimètres de long. Sa taille, relativement à celle de la fleur, constitue un record parmi toutes les plantes connues. (Les fleurs elles-mêmes ne mesurent pas plus de 2 cm ).
Le nectar contenu dans cet éperon n’est, semble-t-il, accessible qu’à des papillons de la famille des sphinx. Alors qu’ils butinent, du pollen de la fleur se dépose sur leur corps, facilitant la reproduction de l’orchidée.
Cette nouvelle espèce, décrite dans un article publié dans Current Biology, est la première présentant des adaptations aussi extrêmes à la pollinisation par des sphinx depuis 1965.
« La découverte d’une nouvelle espèce d’orchidée est toujours un événement passionnant, mais la découverte d’espèces aussi étonnantes et charismatiques n’arrive qu’une fois dans la carrière d’un scientifique », affirme Tariq Stévart, directeur du programme Afrique et Madagascar du Jardin botanique du Missouri.
La trouvaille est également formidable pour les chercheurs à cause de sa ressemblance avec l’orchidée de Darwin (Angraecum sesquipedale), elle aussi endémique de Madagascar. Après avoir examiné l’éperon nectarifère allongé d’A. sesquipedale en 1862, Darwin avait supposé que seul un papillon avec un proboscis exceptionnellement long pouvait atteindre le nectar.
En 1867, son collègue Alfred Russel Wallace, également pionnier de la théorie de l’évolution, a affiné la prédiction et conclu qu’il s’agissait d’un sphinx. Une hypothèse validée en 1903 lorsqu’un de ces papillons a été observé en train de se régaler de la fleur. (Considéré à l’origine comme une sous-espèce de Xanthopan morganii, qu’on retrouve en Afrique continentale, Xanthopan morganii praedicta a été élevé au rang d’espèce à part entière en 2021 et renommé Xanthopan praedicta ).
« Le contraste entre les petites fleurs de 2 cm et l’éperon très long est renversant », dit João Farminhõ, chercheur au Jardin botanique de l’Université de Coimbra et co-auteur de l’article.
Les scientifiques ont découvert ces nouvelles orchidées remarquables dans les forêts humides où poussent les arbres de genre Uapaca et Syzygium. Le lieu exact, cependant, est gardé secret. « Les populations sauvages doivent être protégées et surveillées, et les informations détaillées sur leurs coordonnées précises doivent être tenues à l’écart du grand public. Donc, si vous voulez savoir où nous l’avons trouvée : quelque part à Madagascar », dit Stévart.
Cette espèce d’orchidée a été collectée pour la première fois il y a 15 ans par Patrice Antilahimena, un botaniste du Jardin botanique du Missouri, lors d’une étude d’impact sur l’environnement pour une exploitation minière. Elle a été trouvée poussant haut dans un arbre, à seulement 100 mètres de l’empreinte minière, c’est-à-dire la zone que la société comptait défricher pour y construire sa mine.
« Cette espèce est gravement menacée par les activités minières », explique Stévart.
Elle est plus précisément menacée par la mine de nickel et de cobalt à ciel ouvert d’Ambatovy, qui fournit des minéraux pour la manufacture de produits tels que les batteries de voitures électriques.
Cette mine à plusieurs milliards de dollars, co-détenue par la société japonaise Sumitomo Corporation et la société coréenne Korea Mine Rehabilitation and Mineral Resources Corporation, a commencé à opérer en 2014 et est le plus gros investissement étranger à Madagascar.
Selon Stévart, les chercheurs ont contacté Ambatovy dès qu’ils ont confirmé avoir trouvé une espèce d’orchidée rare, peut-être nouvelle pour la science, très près de l’empreinte minière.
« Nous avons prévenu [la société] qu’il s’agissait d’une grande responsabilité », explique Stévart, « nous leur avons dit qu’une fois l’article publié, tout le monde connaîtra l’espèce et saura qui ils sont ».
En réponse, raconte Stévart, la société a accepté de lancer un programme de conservation dédié dans le cadre duquel elle suivrait l’espèce d’orchidée pendant cinq ans, la cultiverait dans une collection vivante et la préserverait dans une banque de semences.
Dix ans après la découverte de la première orchidée, les botanistes Brigitte Ramandimbisoa et Simon Verlynde ont observé l’espèce à un autre endroit, en dehors du site minier, dans une zone de forêt qu’Ambatovy a consacrée à la conservation.
Pour compenser la perte de biodiversité et la déforestation liées au développement de sa mine de 1 800 hectares, Ambatovy a également mis en place des zones protégées.
D’après une analyse indépendante, cette stratégie a permis à l’exploitation minière d’Ambatovy de n’entraîner aucune perte nette de forêt. Ces compensations sont toutefois controversées : certains spécialistes affirment que les données disponibles sont insuffisantes et ne permettent donc pas de déterminer si elles ont eu un impact sur la biodiversité. En outre, la création des blocs protégés a appauvri les communautés locales, car elles ne peuvent plus accéder aux ressources forestières dont elles dépendent.
Selon Stévart, l’orchidée est un bon exemple d’espèce « parapluie » : en le préservant, on protège également certaines des autres espèces qui vivent autour de la fleur.
« J’ai bon espoir que les espèces ne disparaîtront pas s’ils continuent d’assurer tous ces efforts de conservation », affirme-t-il. Toutefois, ajoute-t-il, « j’espère vraiment que cette espèce nous permettra d’attirer l’attention du public sur Madagascar et sur la situation actuelle, qui n’est pas bonne ».
À Madagascar, des millions d’années d’isolation ont donné naissance à un large éventail d’espèces qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Rien que ces dernières années, les chercheurs ont décrit des espèces telles que de minuscules grenouilles arboricoles, plusieurs nouvelles espèces de geckos et le plus petit caméléon au monde, qui tient sur la pointe d’une allumette.
Mais beaucoup de ces espèces uniques sont menacées. Depuis l’arrivée de l’Homme sur l’île il y a quelques milliers d’années, les deux tiers des espèces d’arbres uniques de Madagascar se sont trouvés menacés d’extinction. La déforestation, due à l’agriculture sur brûlis et aux incendies incontrôlés, est rampante à travers toute l’île : depuis 2000, Madagascar a perdu près d’un quart de son couvert forestier.
Cette perte de forêt a des conséquences considérables, aussi bien pour les arbres que pour les nombreuses espèces qui dépendent d’eux, comme les orchidées, les lézards ou les lémuriens. En effet, la quasi-totalité des 108 espèces de lémuriens de l’île est menacée.
« L’habitat [de la nouvelle orchidée] est aussi détruit par l’agriculture, les gens brûlent la forêt pour faire de l’agriculture, et cela inclut les arbres où pousse l’orchidée », dit Stévart.
La découverte de cette nouvelle orchidée rare souligne le besoin urgent de conservation à Madagascar et illustre les espèces remarquables qui pourraient être perdues si les efforts de conservation ne parviennent pas à suivre le rythme de la destruction rapide des forêts de l’île.
Image de bannière : Solenangis impraedicta, la nouvelle espèce d’orchidée, avec son long éperon nectarifère. Image reproduite avec l’autorisation de Marie Savignac.
Liz Kimbrough, docteure en écologie et en biologie de l’évolution à l’université Tulane où elle a étudié les microbiomes des arbres, est rédactrice pour Mongabay. Pour lire ses autres articles, cliquez ici