- La forêt de Kirindy Mite est un écosystème unique abritant trois des six espèces de baobabs endémiques à Madagascar.
- La forêt est sous le joug de pressions anthropiques de plus en plus graves, surtout les feux de brousse.
- Mongabay s'est entretenu avec Diamondra Andriambololona, directeur du parc national de Kirindy Mite et de la réserve spéciale d'Andranomena, sur la façon dont la hausse des incendies affecte la forêt unique de la région et sur ce qu’on fait pour la réduire.
- « Les pressions sur la forêt augmenteront toujours tant que les gens restent pauvres, » dit Andriambololona.
MORONDAVA, Madagascar — Diamondra Andriambololona a sur les épaules la sauvegarde de près de 162 770 ha (402 213 acres) de territoires de biodiversité, étant directeur du parc national de Kirindy Mite et de la réserve spéciale d’Andranomena, du côté sud-ouest de Madagascar. Ces écosystèmes sont en effet sous le joug des menaces anthropiques toujours plus extrêmes, accentuées directement par la pauvreté locale.
Le parc national de Kirindy Mite, près du village de Belo-sur-mer, à 80 kilomètres (50 miles) au sud de la ville de Morondava, se divise en deux parties : une terrestre et une autre marine. Ensemble, ces deux parties forment un écosystème aussi exceptionnel que fragile. La forêt abrite notamment trois des six espèces de baobabs endémiques au pays (Adansonia grandidieri, A. za et A. rubrostipa) — des arbres uniques qui semblent avoir été planté à l’envers — ainsi que de nombreuses autres espèces endémiques comme le microcèbe de Madame Berthe (Microcebus berthae), en danger d’extinction selon l’UICN.
Ce hot-spot de biodiversité est fortement menacé par les feux de brousse, utilisés pour l’expansion de terres arables et des pâturages, entamant illégalement le territoire du parc. D’autres menaces (telles que les coupes illicites et le braconnage) pèsent également sur la forêt de Kirindy Mite, mais le feu reste le facteur de dégradation le plus important. Les forêts du sud-ouest et de l’ouest de Madagascar — respectivement des forêts tropicales sèches xérophiles et caducifoliées — sont particulièrement vulnérables aux feux de brousse.
Dans le pays, beaucoup d’agriculteurs pratiquent encore la culture sur-brûlis. Et pour préparer leurs champs avant l’arrivée de la saison de pluie, ils défrichent et brûlent les parcelles. Bien que la pratique soit relativement prohibée car non durable et que des efforts de sensibilisation sont effectués, il s’agit d’une solution facile (et profondément ancrée dans les traditions), à défaut d’engrais et d’outils pour préparer les champs. Ces feux peuvent devenir incontrôlables et entament chaque année des milliers d’hectares de forêts.
La saison des feux de brousse à Madagascar s’étend du mois de juillet au mois de novembre ou décembre, quand les premières pluies arrivent. Des pics importants d’alerte de feu ont été enregistrés vers mi-octobre, avec les intensités les plus élevées sur le côté ouest et particulièrement le sud-ouest de l’île. Entre 2001 et 2021, la région a perdu en moyenne près de 6 530 ha (16 135 acres) de forêts par an dû aux incendies, selon Global Forest Watch.
Jérémy T. Ranjatoelina, président et co-fondateur de l’ONG Dry Forest, qui fait de la reforestation dans le parc national de Kirindy Mite, estime que les pressions anthropiques seraient la cause de la séparation de la forêt du parc de Kirindy Mite avec la réserve forestière de Kirindy, situé plus au nord. Ces deux forêts, ne formant qu’une seule auparavant, témoignent de l’intensité de la fragmentation des forêts dans la région.
La commune de Belo-sur-mer est relativement isolée du reste de l’île ; surtout en saison de pluie, ses habitants sont particulièrement dépendants des ressources naturelles (principalement le bois, la pêche et le sel) et du tourisme. Cet enclavement constitue parfois un obstacle à la protection de l’aire protégée, dont la grande étendue ne peut être surveillée que par portions. Les communautés y sont d’ailleurs très pauvres. D’après un représentant sur terrain de Dry Forest, ils ne gagnent quotidiennement que 5 000 à 10 000 ariarys (entre $1 et $2 environ) — et ça c’est dans les bons jours.
D’après Andriambololona, qui travaille pour Madagascar National Parks, l’organisme quasi-étatique qui gère le parc national de Kirindy Mite et la réserve spéciale d’Andranomena, sur les 120 000 hectares (296 500 acres) englobant le parc terrestre, il reste 80 000 hectares (197 700 acres) de forêts. Toutefois, il dit que les pertes tendent à baisser, en passant d’une perte annuelle moyenne de 120 à 150 hectares (296 à 370 acres) entre 2017 et 2022 à juste 100 hectares (247 acres), dernièrement.
Mongabay a interviewé Andriambololona en novembre 2022, vers la fin d’une longue saison de feux de brousse. La discussion a été effectuée lors d’une rencontre opportune dans un restaurant à Morondava, pendant une escale de l’équipe de reportage avant la traversée en mer de 5 heures pour rejoindre Belo-sur-mer. Cette interview a été combinée avec une deuxième en avril de cette année par téléphone et e-mail, et légèrement éditée pour clarté.
Mongabay : On a enregistré beaucoup d’alertes de feux partout à Madagascar. Quelle est la situation dans le parc national de Kirindy Mite ?
Diamondra Andriambololona : Comme beaucoup d’autres aires protégées à Madagascar on n’a pas été épargnés par les feux de brousse. On n’a pas encore de chiffres exacts par rapport aux pertes, mais je pense que les feux [de 2022] ont été moins importants que ceux de 2021.
Mongabay : Quels sont les principaux défis dans la lutte contre les feux de forêts dans le parc de Kirindy Mite ?
Diamondra Andriambololona : D’abord, les principales causes des feux de brousse sont le renouvellement des pâturages et l’agriculture. Les agriculteurs préparent leurs champs pour la saison agricole et souvent ils n’arrivent pas à contrôler le feu.
Le problème c’est que, dans cette partie de l’île, le feu démarre très vite car il y fait chaud et sec et la végétation aussi y est sèche. Avec le vent, les feux peuvent se propager très rapidement, en plus d’être difficiles à éteindre.
Le braconnage peut aussi être une cause de feux de brousse. Les braconniers utilisent du feu pour piéger des sangliers ou des pintades. Et une fois leur prise attrapée, ils n’éteignent pas le feu. Cela arrive souvent pendant les périodes de soudure où il n’y a pas de récoltes. Sans revenus et tiraillés par la faim, les gens pénètrent dans l’aire protégée pour chasser ce qu’ils peuvent.
Il faut aussi savoir que les cyclones font plus de ravages sur les baobabs que le feu. L’on observe également une perte de couverture arborée à cause du défrichement, mais dans le parc de Kirindy Mite, il n’y en a que peu qui la pratiquent.
Mongabay : Quelles mesures adoptez-vous pour lutter contre ces feux de forêts ?
Diamondra Andriambololona : D’abord, nous avons des brigades de feux basés dans chaque village et qui patrouillent régulièrement dans la forêt. Nous avons également des guetteurs de feu qui sont beaucoup plus présents sur le terrain, ainsi qu’un guetteur qui est spécialisé dans la surveillance satellite quotidienne. À savoir que ces feux sont périodiques, en se déclenchant entre juillet à novembre et sont tous d’origines anthropiques.
Tous nos agents connaissent également des points d’eau répartis dans le parc et qui sont toujours assurés qu’il y a de l’eau, au cas où il y aurait des incendies. Nous effectuons également des luttes préventives, comme l’élimination de broussailles, la construction de barrières anti-feux, etc.
Quand un incendie se déclenche, les brigades des villages les plus proches vont sur le terrain, et en moyenne nos interventions durent entre deux et trois jours.
Nous essayons aussi d’effectuer des mesures de dissuasion ou de sensibilisation. Ceux qui sont arrêtés et reconnus coupables d’avoir déclenché un feu dans une aire protégée subissent, par exemple, une peine de cinq ans de prison. Mais ça reste très compliqué d’arrêter les gens car c’est difficile de retrouver exactement le bon coupable et de le prendre sur le fait. Pour être tout à fait honnête, les gens n’ont pas vraiment peur de cette menace de prison.
Mongabay : Est-ce que la situation du parc de Kirindy Mite est plus extrême qu’ailleurs ?
Diamondra Andriambololona : Oui certainement c’est plus extrême ! Surtout à cause des migrants qui viennent du Sud. Obligés de partir de leurs terres natales devenues trop arides, ils viennent dans le parc chercher de nouvelles terres à cultiver avec de l’agriculture sur-brûlis, de nouvelles forêts pour faire du charbon, …
Malgré eux, ils constituent une menace sur les revenus des locaux qui voient leurs ressources diminuer de plus en plus. Cette situation extrême est surtout observée dans la réserve spéciale d’Andranomena, qui est une partie du [paysage harmonieux protégé de] Menabe Antimena. Aujourd’hui, elle commence à s’étendre dans le [parc de] Kirindy Mite.
Mais dans le [parc de] Kirindy Mite, les feux déclenchés dans les savanes pour étendre les pâturages et les coupes illicites de bois restent pour l’instant les plus grandes menaces. Ces dernières viennent des villageois mêmes habitant autours du parc, pour accéder à plus de ressources.
De plus, il n’y a pas encore de mesures exactes par rapport à l’actuelle inflation galopante que le pays subit, mais dans la région, si la période de soudure durait auparavant cinq mois, aujourd’hui elle dure jusqu’à sept mois.
Mongabay : Y a-t-il déjà eu un feu particulièrement dramatique dans le parc de Kirindy Mite ?
Diamondra Andriambololona : C’était en 2013, où nous avons perdu 9 000 hectares [22 200 acres] de forêts et de savanes ! Ça a été un coup dur car nous n’avions pas vu le feu se déclencher. Il s’est passé plusieurs heures avant qu’on le détecte, c’est pour ça que les pertes ont été aussi importantes. La zone de reforestation que Dry Forest restaure actuellement fait d’ailleurs partie de cette partie incendiée.
Le point positif c’est que l’on n’a jamais observé autant d’implication de la part des communautés que ce jour-là, ce fut un véritable élan de solidarité. On a pu mobiliser près de 500 personnes, y compris des villageois bénévoles et les membres de nos brigades anti-feux, pour intervenir sur la zone. On peut généralement rejoindre les zones d’interventions en une journée. Ce jour-là, je ne sais plus combien de barriques d’eau on avait rempli et transporté depuis les sources, tellement il y en avait.
Nous sommes finalement venus à bout de ce feu après trois semaines. Quant aux animaux, il n’y avait pas tellement de pertes à déplorer, car la zone ne faisait pas partie du noyau dur du parc.
Mongabay : Quelle serait la solution pour motiver les locaux à protéger la forêt ?
Diamondra Andriambololona : La meilleure solution reste la sensibilisation. On peut par exemple les dissuader d’aller déforester en développant des projets générateurs de revenus comme l’apiculture, l’élevage de volailles, etc.
On peut aussi allier la conservation à l’éducation, en plus des projets générateurs de revenus. À savoir que ce genre de projets, comme celui de Dry Forest, est nouveau dans le [parc de] Kirindy Mite. Les pressions sur la forêt augmenteront toujours tant que les gens restent pauvres, donc c’est bien de leur donner quelque chose qui peut leur fournir un revenu, comme des jeunes plants d’arbres utiles.
Mongabay : En vue de la situation extrême du parc de Kirindy Mite, est-ce qu’il ne s’agit pas d’efforts désespérés ?
Diamondra Andriambololona : Je ne pense pas que cela soit désespéré tant qu’il y a une stratégie bien établie et des efforts de dissuasion. Mise à part Dry Forest, beaucoup d’autres projets sont actifs et motivés à changer les choses dans le Kirindy Mite, comme … l’USAID [United States Agency for International Development] et l’USFS [United States Forest Service].
Quant à l’USAID, elle œuvre pour le transfert de gestion du parc national par les communautés locales. Pour ce faire, ces dernières sont formées pour développer des activités économiques génératrices de revenus et bénéfiques pour la conservation. L’USFS se concentre surtout sur la reforestation.
Mongabay : Aujourd’hui, sur quoi basez-vous vos espoirs pour la protection du parc de Kirindy Mite ?
Diamondra Andriambololona : J’ai de l’espoir car il y a quand même eu des changements ; nos efforts ont porté leurs fruits. Comme je vous l’ai dit, les pertes de forêts diminuent et se chiffrent maintenant à 100 hectares [247 acres] par an, tandis que c’était plus élevé il y a 5 ans. Cette diminution est observée depuis 2019.
De plus, beaucoup plus d’efforts sont effectués pour la sensibilisation des communautés locales. Nos patrouilleurs ont également augmenté : 18 sont employés directement par Madagascar National Parks et 180 sont issus des communautés. Par ailleurs, nos efforts ont fait que nos pare-feu protégeant la forêt mesurent maintenant 192 kilomètres [119 miles] au total.
Image de bannière : Baobabs au coucher du soleil, Madagascar. Image de Olaf Zerbock, USAID via Flickr (CC BY-NC 2.0).
Note de l’éditeur (29 juin 2023) : Cette histoire comprenait à l’origine une référence par Diamondra Andriambololona à un programme appelé Baobab Waves. Mongabay ne pouvait pas vérifier l’existence du programme, nous avons donc supprimé la référence de l’histoire.
Reboisement extrême : un planteur de baobabs défie feux, coupes illicites, bétails et plus
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