Nouvelles de l'environnement

Les inondations menacent la sécurité alimentaire en Afrique centrale et de l’Est

Des enfants qui rentrent des classes dans une rue totalement inondée par une forte précipitation à Maga, une commune du Cameroun située dans la région de l'Extrême-Nord et le département du Mayo-Danay, à proximité de la frontière avec le Tchad. Image de Hamidou Kaou 6767 via Wikimedia commons

  • Depuis fin  2023, les pays de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique centrale sont en proie à des pluies extrêmes générant des inondations et des glissements de terrain.
  • El Nino, en plus du changement climatique, serait responsable de ces phénomènes extrêmes en Afrique de l’Est.
  • Des millions d’hectares de champs sont détruits par ces pluies diluviennes, qui menacent aujourd’hui la sécurité alimentaire dans la région.

Depuis des semaines, Mark Atong Baiye parcourt Douala à moto, dans l’espoir de trouver un client à transporter. Pourtant, à l’origine, le taxi n’est pas son métier, il est fermier à Bonaberi Bojongo, un quartier de la capitale économique camerounaise. Mais avec les fortes pluies qui frappent le Cameroun depuis   début   mars, les eaux du fleuve Wouri sont montées au point que la maison et le champ, que Mark loue, ont été inondés. Ignames, plantains, maniocs, légumes,  ont  disparu sous les flots. 

Ce père de 4 enfants, qui cultive pour nourrir sa famille et  vendre sa production au bord de la route, a tout perdu. « Tout a été détruit. L’eau est montée jusqu’au-dessus du genou et le pire est qu’il continue de pleuvoir. Je vais avoir besoin d’aide pour recommencer mon champ », regrette Mark. Cette situation ne surprend pas le ministère de l’Agriculture et du développement durable, qui associe ces pluies à un démarrage de la saison des pluies. Dans la note d’information du Bulletin de Prévisions et Alertes Climatiques Décadaires N°186 de l’Observatoire national sur les changements climatiques, du 21 au 30 avril 2024, publié sur son site,  il est précisé qu’il faut s’attendre à « une destruction des habitations et des édifices publics dans de nombreuses localités suite aux fortes pluies, à des inondations dans les régions du Littoral (Douala, Edea, etc.), une dégradation et une destruction des plantations à cause de l’eau ».  Pourtant, le site internet du ministère de l’Agriculture ne semble pas proposer la moindre aide immédiate à ces dommages.

A cause de la pluie, Mark a dû quitter sa maison et il dort maintenant à l’église alors que ses enfants sont accueillis par des paroissiens. « C’est le prêtre qui nous nourrit maintenant,  il a été d’un grand soutien. Vous avez le temps de mourir avant que le gouvernement  ne fasse quelque chose », dit-il avec colère et amertume.

D’après les Nations Unies, plus de 2,5 millions de personnes au Cameroun sont susceptibles d’être confrontées à une insécurité alimentaire aiguë en 2024. Si cette situation est en grande partie due aux conflits, les aléas climatiques détruisant les plantations risquent de l’aggraver.

Des motocyclistes traversant une rue inondée de Douala, la capitale économique du Cameroun. Image de NjehoyaB.
Des motocyclistes traversant une rue inondée de Douala, la capitale économique du Cameroun. Image de NjehoyaB via Wikimedia commons

Mais le Cameroun n’est pas le seul pays de la région à être ravagé par les eaux. Depuis plusieurs mois, l’Afrique de l’Est et l’Afrique centrale enregistrent des inondations destructrices. Ces inondations génèrent des glissements de terrains, coulées de boue, emportant tout sur leur passage. On dénombre 257 personnes décédées au Kenya depuis le mois de mars, 155 en Tanzanie et 29 au Burundi à cause de ces intempéries. Des centaines de milliers de personnes ont dû quitter leur logement, accentuant ainsi leurs difficultés à accéder à une nourriture fraîche et variée. En Afrique de l’Est, ces phénomènes seraient liés au changement climatique, mais pas seulement. «El Niño était là l’année dernière et   s’est terminé. Mais l’eau est restée chaude dans la partie occidentale de l’océan Indien. Cela a généré des inondations et des pluies abondantes dans l’Est de l’Afrique »,  explique Abubakr Salih Babiker, Coordinateur technique auprès de l’Organisation mondiale de la météorologie. « La température de l’océan est supérieure à 1°C environ. Lorsqu’il fait 1°C de plus que d’habitude, les courants atmosphériques sont affectés, ce qui conduit à ces événements graves. Lorsque l’eau est plus chaude, ça cause des inondations, lorsqu’elle est plus froide, des sécheresses ». La température de l’océan était si élevée que le Kenya a accueilli son premier cyclone cette année.

Toutefois, pour le Cameroun, nous ne savons pas si les inondations sont liées au changement climatique ou si El Nino, y est pour quelque chose. Mongabay a contacté divers spécialistes et organismes spécialisés en météorologie, mais  sans suite.

Inondation dans les rues de Bujumbura au Burundi. Image par Mpano tete via Wikimedia commons

En République démocratique du Congo (RDC), la crise a commencé mi-novembre 2023. 18 des 26 provinces ont été inondées et les organisations humanitaires estimaient en février que plus de 1,6 million d’hectares de terres cultivables ont été submergés.

Pour Babiker, ces inondations sont le prolongement de ce qu’il se passe en Afrique de l’Est. D’ailleurs, le phénomène reste le plus intense autour du lac Tanganyika, à l’Est du pays. La montée des eaux de ce lac continue de provoquer des inondations dans les provinces du Tanganyika et du Sud-Kivu,  détruisant habitations et champs. « Moi, j’étais là-bas. J’ai vu entre la ville d’Uvira et Bujumbura … On m’a montré des maisons qu’on a déplacées, des hôtels qui ont été engloutis par les eaux.
Et le lac continue de déborder », décrit Mody Diop, spécialiste en suivi-évaluation, qui pilote les analyses liées aux inondations en RDC pour l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il suit les différentes inondations qui frappent le pays depuis plusieurs années et il voit les catastrophes s’accumuler. « Cela s’ajoute aux phénomènes liés à l’insécurité humaine, les conflits. Ça donne un tableau très sombre dans le domaine de la sécurité alimentaire. Les inondations ont l’habitude de causer des catastrophes terribles sur l’agriculture et plus de 80 % de la population dépend de l’agriculture pour sa survie  ».

Depuis le génocide   rwandais de 1994, l’Est de la RDC  est le théâtre d’une incessante lutte entre de nombreux groupes armés, poussant les populations à fuir dans des conditions précaires, abandonnant ainsi   leurs champs et autres moyens de subsistance. Autre chose inquiète cet analyste, qui  s’est rendu à Kalehe, au Sud-Kivu   il y a 1 an.

A cette époque des inondations soudaines et un glissement de terrain avaient fait près de 500 morts et des milliers de personnes disparues  « A Kalehe, on marchait sur les cadavres, personne ne pouvait enterrer les siens.

Mais le drame  est que les gens ne sont pas conscients des causes. Ils seraient bien tentés de   dire que c’est parce qu’on a abandonné les sacrifices qu’on faisait aux ancêtres, ou qu’une sirène dont on a volé l’enfant, s’est fâchée et a lâché les eaux. Ça veut dire que ce sont des populations, qui ne sont pas préparées à de telles situations  ». Et sans préparation, les populations ont moins de chance  de mettre en place des alternatives pour se protéger.

Une femme tente de sauver des biens de son abri inondé. Image par Oxfam East Africa (CC BY 2.0

De l’autre côté du lac Tanganyika, la situation ne semble pas  reluisante. Pluies torrentielles, inondations, glissements de terrain… De janvier à mi-avril 2024, plus de 179 200 personnes ont été affectées par les phénomènes météorologiques, qui frappent en ce moment l’Afrique de l’Est et l’Afrique centrale.  31 200 personnes ont même dû quitter leur foyer. D’après le gouvernement du Burundi, plus de 40 000 hectares de champs auraient été détruits.

La saison agricole ayant commencé en février, la destruction des plantations, les déplacements de population (et donc l’abandon des terres), ainsi que la pluviométrie extrême risquent d’avoir un impact négatif sur la sécurité alimentaire. Surtout qu’en  RDC, plus de la moitié de la population vit de l’agriculture et de l’élevage. .

Pour y faire face, le gouvernement a fait appel à l’aide de la communauté internationale et a, entre autres, effectué des distributions de nourritures, d’eau et de semences. Mais pour Jean-Marie Sabushimike, Expert en gestion des catastrophes et géographe  à l’université du Burundi, il faut aller plus loin et adapter les villes aux changements climatiques. « Le changement climatique est là, il y a aussi des prédispositions géologiques.

Mais l’aménagement du territoire ne prend pas en compte tout ça. L’étalement de la ville de Bujumbura va jusqu’au bord du lac Tanganyika. Avant, il y avait une zone constituée par un écosystème naturel qui pouvait gérer ces inondations. Maintenant, les gens ont détruit cette zone tampon, ce qui a facilité les inondations, c’est dire qu’il il y a un problème énorme, c’est une provocation presque », explique le scientifique. « Nous avons des textes de loi qui ne sont pas respectées notamment le code de l’eau qui interdit la construction  sur le littoral du lac Tanganyika. Il faut que cela change parce que sinon le pire peut arriver  ».

En attendant que les recommandations du professeur Sabushimike trouvent un écho auprès des autorités, la saison des pluies se poursuit et avec elle, la sécurité alimentaire devient de plus en plus incertaine dans la région.

Quand l’agriculture diversifiée affecte positivement la biodiversité en Afrique

Image de bannière : Des enfants qui rentrent des classes dans une rue totalement inondée par une forte précipitation à Maga, une commune du Cameroun située dans la région de l’Extrême-Nord et le département du Mayo-Danay, à proximité de la frontière avec le Tchad. Image de Hamidou Kaou via wikimedia commons.

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