- Une nouvelle étude fait état de la menace qui pèse sur les rhinocéros noirs et blancs d’Afrique en raison des changements climatiques.
- Les rhinocéros ne transpirent pas. Pour survivre, ils comptent sur les zones d’ombre et les sources d’eau et de nourriture, mais celles-ci tendent à se raréfier en raison de la hausse des températures et des paysages de plus en plus arides.
- L'étude révèle que les épisodes de chaleur plus fréquents obligeront probablement les rhinocéros à se rapprocher des installations humaines, ce qui augmentera les risques de conflits et aggravera les menaces telles que le braconnage.
- Selon les experts, c’est grâce à des efforts significatifs d'atténuation des changements climatiques déployés à l'échelle mondiale et associés à des stratégies d'adaptation sur le terrain (dans les parcs nationaux), telles que la plantation d'arbres, la création de corridors et l’installation de systèmes de brumisation, que nous arriverons à préserver l’avenir des rhinocéros.
Une récente étude tire la sonnette d’alarme sur l’impact que les changements climatiques pourraient avoir sur l’un des animaux les plus emblématiques et les plus vulnérables d’Afrique : le rhinocéros.
« Les changements climatiques risquent de les faire disparaître en un clin d’œil », déclare Hlelolwenkhosi Mamba, étudiant chercheur originaire d’Eswatini bénéficiant d’une bourse d’études Fulbright.
Hlelolwenkhosi Mamba et Timothy Randhir, deux étudiants de l’université du Massachusetts à Amherst, ont travaillé pendant deux ans sur la modélisation de données climatiques et la localisation des rhinocéros dans cinq parcs nationaux d’Afrique australe. Ils se sont penchés sur deux scénarios distincts de changements climatiques et ont cherché à comprendre comment ces deux types de scénarios pouvaient avoir un impact sur la majeure partie des populations de rhinocéros noirs (Diceros bicornis) et blancs (Ceratotherium simum) restantes dans le monde et vivant en Afrique.
Les rhinocéros, incapables de transpirer à travers leur peau très épaisse, comptent sur la nature pour survivre. Ils ont besoin d’arbres pour leur procurer des zones d’ombre, de points d’eau et de bassins de boue pour réguler leur température corporelle. Mais les changements climatiques menacent ces éléments vitaux. Ils les raréfient et modifient le comportement des rhinocéros et la dynamique des populations.
Dans un article publié en janvier 2024, les deux étudiants chercheurs Hlelolwenkhosi Mamba et Timothy Randhir révèlent que des températures plus chaudes et des paysages de plus en plus dépourvus d’eau conduiront les rhinocéros à un stress alimentaire et les pousseront à passer plus de temps à chercher à fuir la chaleur, ce qui affectera leur accès à la nourriture, à l’eau et à l’ombre.
Cela risque également de les conduire vers des zones où les humains sont plus nombreux et les conflits plus fréquents. Les chercheurs avertissent que les effets des changements climatiques, qui viennent maintenant s’ajouter à la menace permanente du braconnage, pourraient mener les rhinocéros à l’extinction dans ces parcs naturels d’ici la fin du 21e siècle.
« Les gens ont tendance à voir les rhinocéros comme des animaux très forts et capables de faire face à ces menaces. Mais je pense que cette étude met justement en évidence le caractère vulnérable du pachyderme et apporte plus de visibilité sur la question des changements climatiques », déclare Timothy Randhir.
Les résultats de l’étude sont alarmants et les deux chercheurs espèrent qu’ils encourageront les humains à mettre en place des mesures pour aider les rhinocéros à s’adapter à un monde qui se réchauffe rapidement.
« J’adore les rhinocéros. Le rhinocéros est mon animal préféré et j’aimerais avoir les moyens et les ressources de le protéger de toutes les menaces qui pèsent sur lui », déclare Hlelolwenkhosi Mamba. « Si on ne fait rien pour réduire nos émissions de CO2, leur extinction est imminente à cause des changements climatiques ».
Méthodes pour une mégafaune
Les deux chercheurs ont compilé les données de localisation des rhinocéros noirs et blancs et ont pu ainsi identifier les types d’habitats préférés des espèces. Ils ont ensuite analysé deux scénarios distincts d’émissions publiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies – scénario « à émissions modérées » et scénario « à émissions élevées » – pour chacun des cinq parcs naturels d’Afrique australe sur lesquels portait l’étude : Kruger en Afrique du Sud, Etosha en Namibie, Hwange au Zimbabwe, Tsavo West au Kenya et Hlane Royal en Eswatini. Ils ont ainsi pu réaliser des projections climatiques en matière de changements de températures et de précipitations et évaluer leur impact sur l’adéquation des parcs aux rhinocéros d’ici à 2050 et 2085.
Le scénario le plus modéré, le RCP4.5, prévoit un réchauffement moyen dans les cinq parcs de 2,2 °Celsius (4 °Fahrenheit) d’ici à 2055 par rapport au niveau de référence préindustriel, et de 2,5 °C (4,5 °F) d’ici à 2085.
Le scénario à émissions élevées, le RCP8.5, prévoit une augmentation de 2,8 °C (5 °F) d’ici à 2055 et de 4,6 °C (8,3 °F) d’ici à 2085.
Dans les deux scénarios étudiés, les habitats des rhinocéros deviendront plus chauds et plus secs, à l’exception du parc national de Tsavo West au Kenya, où les précipitations devraient augmenter dans le scénario à émissions élevées.
Les habitats des parcs nationaux d’Etosha en Namibie et de Hlane Royal en Eswatini pourraient devenir des environnements totalement inhospitaliers pour les rhinocéros d’ici à 2085, quel que soit le scénario considéré, avec un risque réel d’extinction des espèces. En tant que défenseur de l’environnement et Eswatinien, Hlelolwenkhosi Mamba souligne qu’il s’agit d’une réalité qui doit être connue du monde entier dès aujourd’hui.
Tout n’est pas noir ou blanc
Depuis des milliers d’années, les rhinocéros noirs et blancs revêtent une importance culturelle chez les communautés d’agriculteurs et de chasseurs-cueilleurs des pays d’Afrique subsaharienne. Dans les montagnes Huns du sud de la Namibie, les peintures rupestres représentant des rhinocéros remontent à 30 000 ans. Chez les peuples shona du Zimbabwe, du Mozambique et d’Afrique du Sud, le rhinocéros noir ou chipembere est surnommé « le danseur », car il aurait l’habitude de se lancer vers les feux de camp et de les piétiner (de quelques pas de danse) pour les éteindre.
Les Tswana du Botswana et d’Afrique du Sud sont convaincus que le Mohoohoo, le rhinocéros blanc, est sorti de la même grotte que leur ancêtre originel et accordent, de ce fait, énormément d’estime à l’animal. Les San d’Afrique australe, associent quant à eux les deux espèces à des rituels pour faire venir la pluie, chacune apportant un type de pluie correspondant à son tempérament : une pluie fine pour le rhinocéros blanc, plus docile, et une pluie orageuse pour le rhinocéros noir, plus fougueux.
Il semble à la fois ironique et injuste que ce même pachyderme, symbole de la pluie, incapable de transpirer et dépendant des points d’eau et de l’ombre pour se rafraîchir, soit aujourd’hui menacé par la sécheresse et des températures intolérables.
Timothy Randhir, universitaire interdisciplinaire dans l’âme qui a grandi en Inde, pays qui possède ses propres rhinocéros, a indiqué que la conservation des rhinocéros est compliquée, même dans les meilleures conditions.
« Les scénarios climatiques ont des retombées directes et indirectes », a-t-il déclaré. Il a ajouté qu’ils influaient sur « la physiologie, la survie, la structure de la population, mais aussi sur son accès à la nourriture, à l’habitat et sur les lieux sûrs où les rhinocéros peuvent survivre sans conflit avec l’homme ».
Il espère, qu’en adoptant des mesures de réductions drastiques ou même modérées des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un réchauffement de 2,2 °C d’ici à 2055 sera le pire scénario pour les rhinocéros – et pour l’humanité. Mais il a ajouté que la mise en place de stratégies d’adaptation est impérative.
« Nous évoquons toujours les impacts climatiques provenant de la cryosphère [comprenant les régions polaires et les calottes glaciaires] comme la fonte des glaces et les conséquences pour les populations d’ours polaires qui perdent leur banquise. Mais nous ne parlons jamais des effets du réchauffement climatique sur les environnements secs, essentiels à la survie des rhinocéros et des éléphants, tellement dépendants de l’eau », a-t-il déploré. « Nous nous sommes donc penchés sur la façon dont les parcs naturels peuvent s’adapter aux changements climatiques et sur la manière dont ils peuvent être gérés ».
Les deux étudiants chercheurs espèrent que les décideurs, les gestionnaires de parcs et les organisations de conservation de la nature veilleront à ce que les rhinocéros noirs et blancs aient accès à la nourriture, à l’eau, à l’ombre et à un habitat dans des zones sûres, à l’abri des conflits humains.
Ils recommandent d’installer des systèmes de brumisation et de creuser des bassins pour le bain des rhinocéros pendant les périodes de forte chaleur, de planter davantage d’arbres pour augmenter les zones d’ombre et de créer des corridors écologiques entre les parcs et les parcelles de savane. Selon Timothy Randhir, l’avenir des rhinocéros pourrait être sauvé en associant les efforts d’atténuation des changements climatiques à des stratégies d’adaptation spécifiques aux rhinocéros sur le terrain.
« Si nous changeons de perspective et décidons de créer des paysages beaucoup plus résilients en mettant en place des corridors écologiques et des zones centrales pour réduire les conflits avec les humains en périphérie des parcs, en prenant en compte les problèmes liés aux déplacements régionaux des animaux, et en nous alignant à l’échelle mondiale sur l’atténuation des impacts climatiques, je pense qu’il y a encore un espoir de les sauver », a-t-il déclaré.
Un appel pour les animaux à cornes
Si les défenseurs des rhinocéros africains sont essentiellement intervenus dans la lutte contre le braconnage, menace grave et permanente, au cours des dernières décennies, une organisation a, quant à elle, axé ses efforts de conservation sur l’impact des changements climatiques sur les rhinocéros.
« L’élimination des animaux perturbe l’écosystème et a un impact direct sur le cycle du carbone », explique Nina Fascione, spécialiste de longue date de la conservation et directrice générale de la Fondation internationale des rhinocéros (IRF). « Les rhinocéros sont doublement affectés ; ils sont touchés à la fois par le braconnage et par le scénario plutôt sombre de la hausse des températures et de l’intensification des périodes de sécheresse. C’est décourageant et effrayant ».
Nina Fascione et l’IRF œuvrent dans tous les pays qui abritent des rhinocéros, y compris au Zimbabwe et en Afrique du Sud, où elles soutiennent des initiatives communautaires en partageant des récits, des stratégies et des mesures de protection, de surveillance et de recherche sur les rhinocéros, en recueillant des rhinocéros orphelins et en aidant à financer des études d’évaluations de l’habitat du pachyderme afin d’accroître son aire de répartition.
Si le braconnage est la principale préoccupation de l’IRF, toute menace à long terme pesant sur la survie des rhinocéros est également préoccupante. Nina Fascione a déclaré qu’elle se réjouissait de voir des chercheurs attirer l’attention sur un problème mondial causé par l’humanité et affectant à la fois la survie de cette dernière et des rhinocéros.
« Si nous n’avons pas connaissance des défis, il nous est impossible de les relever », a-t-elle déclaré. « Nous devons délibérément réfléchir à la préservation des espaces qui sont nécessaires à la survie des rhinocéros, à leur protection contre le braconnage et à la lutte contre les changements climatiques ».
Elle ajoute que pour atteindre ces objectifs, les organisations de conservation, les gestionnaires de parcs et les gouvernements doivent mettre en place de véritables partenariats dirigés par les communautés locales afin de protéger les habitats des animaux. Ces partenariats doivent inclure des stratégies d’adaptation aux changements climatiques et des mesures d’atténuation de leurs impacts.
Si elle a dévoilé ses craintes, elle a également parlé d’espoir.
« Les rhinocéros sont des agents écologiques incroyables, et ils sont vraiment adorables », a déclaré Nina Fascione. « Je les aime énormément et je sens que j’ai une obligation envers eux. Je veux faire en sorte de protéger ce que ma génération a hérité pour la génération suivante, pour ma fille et peut-être un jour pour mon ou mes petits-enfants. Et je pense que nous pouvons y arriver ».
Image de bannière : Rhinocéros blancs en Afrique du Sud via IRF.
Citations:
Mamba, H. S., & Randhir, T. O. (2024). Exploring temperature and precipitation changes under future climate change scenarios for black and white rhinoceros populations in Southern Africa. Biodiversity, 25(1), 52-64. doi:10.1080/14888386.2023.2291133
Boeyens, J. C., & van der Ryst, M. M. (2014). The cultural and symbolic significance of the African rhinoceros: A review of the traditional beliefs, perceptions and practices of agropastoralist societies in Southern Africa. Southern African Humanities, 26(1), 21-55. Retrieved from https://www.sahumanities.org/index.php/sah/article/view/394
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2024/03/not-just-polar-bears-climate-change-could-push-african-rhinos-to-extinction/