- Dans le territoire de Walikale, dans l’est de la RDC, la société à capitaux canadiens et sud-africains Alphamin Bisie est accusée d’avoir obtenu des droits miniers sans consulter toutes les communautés concernées.
- Une enquête menée par Mongabay révèle plusieurs pratiques irrégulières dans le processus d'obtention des permis, et des actions contraires aux lois en vigueur.
- À Banamwesi et à Motondo, des peuples autochtones Twa, réclament en vain la reconnaissance qu'une partie de leurs concessions forestières est occupée par la société minière depuis des années. Après un échange avec Mongabay, Alphamin Bisie nie qu’ils sont affectés et déclare qu’ils expliqueraient ces questions aux communautés.
- Face à la guerre qui dévaste l'est de la RDC et aux fonctionnaires du gouvernement silencieux face à la situation, les habitants disent que le conflit sert de couverture aux activités irrégulières qui se déroulent dans leurs alentours.
LUBUMBASHI, République Démocratique du Congo — Accaparement des terres, absence de consultation, des communautés supprimées des cartes et l’impunité. Ce sont les graves accusations des communautés autochtones dans les concessions forestières de Banamwesi et Motondo, en RDC, à l’encontre de la société minière Alphamin Bisie Mining SA.
Après des années de plaintes de la part des communautés et de la société civile, aucune réaction n’a été constatée de la part des fonctionnaires du gouvernement régional et de la société minière. Alphamin Bisie, qui gère une mine d’étain voisine aux communautés, ne dit rien et ne les reconnaît pas comme affectées. Face à la guerre qui dévaste l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), les habitants disent que le conflit sert de couverture aux activités irrégulières qui se déroulent dans leur alentours.
« Elles continuent à réclamer leur droit puisque l’occupation des terres n’a pas respecté le processus normal », a indiqué Fiston Misona, le président de la société civile de Walikale, dans un appel avec Mongabay.
Malgré les sollicitations de Mongabay, les autorités administratives ne répondent pas non plus aux demandes de renseignements et de documentation sur les activités dans la localité de Bisie. Après avoir mis presque un an pour entrer en contact avec la société minière, Alphamin Bisie a finalement répondu pour expliquer leur position et nier l’autorité des communautés en tant que propriétaires fonciers. Toutefois, les réponses n’ont pas pu atténuer les allégations et conclusions relatives à leurs activités irrégulières dans la zone.
Cette région, pourvue des forêts et savanes verdoyantes propices aux activités agropastorales des communautés autochtones, a tout d’un paradis terrestre. C’est le cas surtout après la découverte des minerais stratégiques comme la cassitérite, le coltan (colombo-tantalite) et l’or dans son sous-sol, en territoire de Walikale. Sa biodiversité riche, qui caractérise le bassin du Congo, est gérée par des peuples Twa dans des concessions forestières (CFCL) qui sécurisent leur droit foncier sur des parcelles de terre. La mise en place de ces concessions fait partie d’une stratégie gouvernementale visant à impliquer les communautés dans la gestion durable des ressources forestières et à réduire la pauvreté.
Pourtant, ce territoire en particulier a vu naître plusieurs groupes armés et éclater des affrontements à répétition entre eux-mêmes et les forces gouvernementales qui tentent de les repousser. Situé à 180 km de Goma, capitale du Nord-Kivu, le territoire de Walikale se trouve dans une région martyr de l’est de la RDC. Une centaine de groupes armés y est toujours active depuis le génocide rwandais de 1994 qui a été suivi par une instabilité sécuritaire qui n’en finit pas plus de deux décennies après. Les ressources naturelles, très recherchées pour leur importance dans l’industrie électronique dans les pays industrialisés, continuent d’alimenter la violence et financer les groupes armés.
Aujourd’hui, la région est dirigée par un gouverneur militaire Constant Ndima qui se concentre sur le conflit armé et ne semble pas s’embarrasser de plaintes civiles, disent les membres de la société civile. Cela engendre une ambiance de conflits communautaires qui ne sont pas pris en compte et qui continuent ainsi dans l’impunité.
C’est dans ce milieu que la société minière Alphamin Bisie, filiale de la société canadienne Alphamin Resources et d’une institution du gouvernement sud-africain (d’Industrial Development Corporation), a décidé d’établir sa mine et ses activités exploratoires.
Qui a consulté les communautés ?
Dans les forêts verdoyantes de Walikale, Alphamin Bisie détient plusieurs permis miniers ; notamment deux permis de recherche, qui datent de plus de 10 ans, pour trouver des minéraux (permis 5270 et 10346) et un permis d’exploitation pour creuser un gisement minéral (permis 13155).
Mongabay a analysé les coordonnées des permis miniers d’Alphamin Bisie dans le territoire et les cartes des concessions communautaires établies à partir des données géographiques. Selon les données, les permis chevauchent sur les forêts communautaires du centre vers le sud de Banamwesi et Motondo (permis 10346), et au sud-ouest de Motondo (permis 5270). Il y a une superposition d’environ 2 000 hectares sur l’initiative de foresterie communautaire (IFC) de Banamewsi et 12 000 ha sur la CFCL de Motondo, selon un activiste de la société civile. Ces forêts, leurs terres ancestrales, sont une source des activités agropastorales, de chasse et sont labourées pour les cultures.
Les périmètres de ces deux permis ont réduit au fil des années, selon nos découvertes, à chaque fois que le permis a été renouvelé (une nécessité légale) ; par contre, il y a toujours une superposition claire avec les concessions forestières et une proximité aux communautés.
Selon les communautés, elles n’ont jamais été consultées et n’ont jamais donné leur consentement par rapport à ces activités, comme la loi l’oblige.
« Au départ, nous ne comprenions rien. On avait vu des hélicoptères survoler nos forêts. Des jours après, nos habitants ont indiqué avoir vu des drapelets ou autres insignes dans la forêt », relate à Mongabay au téléphone, un activiste de la société civile, dont le nom reste anonyme pour sa sécurité.
Me Hubert Tshiswaka, qui dirige l’Institut des recherches en droits humains (IRDH), explique que selon le code minier de 2018, toute société est tenue à consulter la population voisine impactée par les activités minières, même durant la phase de recherche. Par recherches s’entendent les recherches minéralogiques, mais aussi les recherches des éléments pertinents sur l’impact environnemental qui devront être élaborés dans le cahier de charges. Cette obligation de consultation inclut nécessairement les communautés d’une concession forestière, telle que Motondo (une concession appuyé par le Jane Goodall Institute), qui sont impliquées dans la gestion durable des ressources.
Avoir reçu un permis minier indique que le cadastre minier de la RDC, organe technique en matière du foncier minier, a fourni des permis à Alphamin Bisie sans que les communautés soient consultées.
« Lorsque nous avons interrogé les responsables de la société Alphamin, ils ont nié être entrés dans notre forêt », dit l’activiste de la société civile. Selon le portail du cadastre minier de la RDC et un rapport fait par un groupe consultatif pour la société, Alphamine Bisie cherche à trouver de l’étain, de l’or, du cuivre, du coltan, du zinc, du plomb et de l’argent dans les forêts.
Les recherches que nous avons menées sur le statut de ces licences et la manière dont elles ont été acquises révèlent qu’il existe très peu d’informations partagées avec le public. Très peu est connue par les communautés voisines elles-mêmes. Ce qui est dévoilé révèle plus des questions ou des actions en dehors des lois en vigueur.
D’après le dernier registre publié des droits miniers et de carrières valides en 2021, le permis 10346 était valide jusqu’en 2019 et devait être renouvelé. Et selon un rapport technique de 2022 préparé par la société de conseil minier Bara Consulting pour Alphamin, l’expiration du même permis est prévue pour le 1 juillet 2024. Généralement, les permis de recherche en RDC sont renouvelés pour une période de cinq ans. Cela indiquerait qu’un renouvellement du permis a été effectué encore sans consulter la population de Motondo et Banamwesi, en violation de la loi minière.
Dans un message envoyé à Mongabay, John Robertson, le directeur général d’Alphamin Bisie, dit « qu’un plan de mitigation et de réhabilitation qui date le 2012 n’identifiait pas les Banamwesi ou Motondo comme des propriétaires potentiels ».
Les communautés autochtones Banamwesi et Motondo sont les occupants et propriétaires coutumiers des forêts. Elles étaient également en discussion avec les autorités pour la mise en place de concessions forestières communautaires au cours des sept dernières années.
En ce qui concerne le permis 5270, la situation des licences est encore plus confuse. Selon Robertson, il dit simplement que le permis a été finalement « abandonné en 2019 ».
Les dates enregistrées publiquement de ce projet d’exploration se contredisent et contredisent la loi. D’après le rapport des carrières valides de 2021, le permis 5270 était en effet expiré en 2018, tandis qu’un rapport technique< par Alphamin en 2017 indique que la licence expire le 23 mai 2023.
En se basant sur la date d’expiration de 2018 indiquée dans le rapport des carrières actives et sur la loi sur les périodes de renouvellement, la licence aurait pu être prolongée de 5 ans et arrivée à échéance en 2023, une date qui correspond à celle qui figure dans leur rapport technique. Cependant, les autorités n’ont pas répondu à nos appels pour confirmer cette chronologie.
Notre analyse et le silence du cadastre minier de la RDC n’ont pas permis de déterminer clairement si cette licence est toujours active officiellement. Lorsque nous avons examiné les cartes du permis dans leurs rapports techniques et le portail du cadastre minier, il est évident que le périmètre du permis a été réduit entre 2017 et 2022, ce qui suggère qu’il a été renouvelé durant cette période. S’il est juste que le permis a été renouvelé, cela suggère un autre cycle de non consultation avec les communautés de Motondo et Banamwesi.
Selon la source de la société civile, peu importe si Alphamin a vraiment abandonné le site ou non : ce qui est important, c’est qui obtient le territoire.
« Ils disent qu’ils ont maintenant abandonné cette partie, mais ils ne l’ont pas restitué aux propriétaires coutumiers, aux communautés qui la détiennent. Maintenant quand ils l’abandonnent, cette partie reste pour qui? C’est la question que moi je les retourne », dit l’activiste.
Confirmant notre analyse des dates contradictoires, un rapport par l’ONG Dynamique des Femmes des Mines indique que le permis 5270 a également bénéficié d’une période de validité officielle (7 ans) plus longue que celle prévue par la loi et la réglementation (5 ans) à un certain point.
« Le cadastre minier devrait clarifier les raisons pour lesquelles […] le permis 5270 a bénéficié d’une période de validité plus longue », informe le rapport.
Alphamin Bisie n’a pas donné suite à notre question à ce sujet.
Des communautés qui n’existent pas
Une situation similaire se présente avec la mine active d’Alphamin. En comparant les cartes des concessions forestières de Banamwesi et de Motondo et celle d’Alphamin Bisie, il est donné de constater qu’un autre permis, le permis d’exploitation 13155 pour la mine Bisie, obtenu en 2015 et qui court jusqu’en 2045, est effectivement proche des communautés.
Or, dans le cahier de charges d’Alphamin Bisie signé par les représentants d’autres communautés locales en 2021, Banamwesi et Motondo n’y figurent pas. Ces deux villages revendiquent leur proximité avec l’entreprise et la nécessité de consultation depuis une décennie environ, mais rien n’a changé.
Selon le code minier, les miniers sont obligés de consulter les communautés voisines, potentiellement affectées par les activités.
Par contre, en établissant le périmètre de sa « zone d’influence » où les communautés peuvent être affectées par ses activités, Alphamin s’intéresse plus aux communautés établies jusqu’au sud de sa zone, loin de l’emplacement de son site d’exploitation. La mine Bisie se trouve cependant à moins d’un kilomètre de la CFCL Motondoi et environ huit kilomères de Banamwesi, deux communautés ignorées dans le cahier de charges et sur sa carte. Les cartes et rapports techniques d’Alphamin ignorent aussi leur présence.
Selon le directeur général d’Alphamin, ces communautés ont été exclues de la zone d’influence dans le cahier de charges parce qu’elles ne sont pas situées en aval de la mine. Par conséquent, explique-t-il, elles n’ont pas été approuvées en tant que communautés susceptibles d’être touchée par une pollution pouvant couler en aval.
Les dirigeants communautaires et les avocats affirment que l’entreprise aurait quand même dû mener des consultations sur d’autres conséquences environnementaux, incluant des conséquences sociaux et économiques, surtout parce que les communautés résident près de la mine. Par contre, le permis a été attribué sans le consentement des communautés de Banamwesi et Motondo, d’après les leaders locaux contactés par Mongabay.
Les responsables de la localité de Banamwesi, par exemple, assurent n’avoir pas été consultés par rapport aux activités de la société minière. L’absence de toute consultation a, toutefois, été confirmée par le témoignage du chef Mbululu qui dirige la localité de Banamwesi.
La loi exige qu’un représentant soit désigné par la communauté, qu’il ait un mandat écrit pour témoigner et dispose des compétences scientifiques sur les questions qui feront l’objet des débats, explique l’avocat Jean-Claude Mpey qui travaille sur les questions des droits des peuples autochtones et communautés locales. Toutefois, cela n’a pas été réalisé, disent les communautés. Même si les paysans étaient représentés par le chef coutumier, cela serait illégal.
D’après Abakofa Silabo Joachim, président de l’ONG SODEP qui a participé aux consultations organisées par Alphamin, entre la société et d’autres communautés pour le permis d’exploitation 13155, il n’y a pas eu de représentation de Banamwesi ou de Motondo lors des consultations.
Aucune source, que ce soit les autorités locales ou Alphamin Bisie, n’a fourni à Mongabay un mandat écrit qui témoigne de la décision de la communauté. Ils n’ont pas non plus dévoilé l’identité d’un représentant des deux communautés.
Dès le départ, cette entorse à la procédure légale était connue des autorités administratives du Nord-Kivu, assure Fiston Misona, l’ancien fonctionnaire d’une ONG qui a accompagné les paysans dans leur processus de foresterie communautaire.
« Ils [responsables d’Alphamin Bisie, NDLR] ont tiré profit de l’ignorance de la communauté et de la complicité des autorités administratives politiques locales telles que Kinshasa », indique Misona, se référant au manque de connaissance de la loi par les communautés. Mais aucune preuve n’a été fournie pour étayer cette accusation.
Selon le rapport technique de 2022 préparé par Bara Consulting, « la (mine) est éloignée par rapport aux communautés locales, ce qui réduit les impacts potentiels. » Le rapport reconnaît seulement l’existence des villages plus loin « le long de la route nationale N3 entre le centre régional de Walikale et la mine ».
Un rapport technique révèle que la mine détient d’autres risques dans son installation de stockage de résidus qui n’ont pas été communiqués en détail avec les communautés voisines, Banamwesi et Mutondo. Selon les rapports techniques, l’installation présente des risques tels que le rejet d’eaux contaminées et de résidus de l’installation dans les eaux souterraines ou dans l’environnement, ainsi que l’émission de gaz toxiques et irritants. Ces problèmes pourraient occasionner des maladies pour les gens à proximité, des dommages environnementaux, y compris les dommages causés aux zones cultivées, la perte des maisons et la mort, indique le rapport.
Par contre, les rapports nient l’ampleur de ces risques parce qu’ils expliquent qu’il « n’y a pas de communautés à proximité de l’installation ».
Pertes de terres et redevances
En 2017, un rapport de la société civile OSCMP-RDC a fait état des relations appelées à devenir tendues entre la société Alphamin Bisie et les communautés qui l’entourent si la société ne prend pas en compte les doléances de celles-ci. Ce document de 68 pages relève, par exemple, « les processus insuffisants de négociation avec la communauté locale et l’implication de la société dans le développement local ».
Étant donné que la société minière ne reconnaît pas les communautés Banamwesi et Mutondo comme affectées par l’exploitation, elle ne leur doit rien en termes de projets de développement qu’elle déploie au profit d’autres contrées alentours, conformément au code minier congolais. C’est l’un des plus importants problèmes que les membres des communautés, qui réclament une forme de compensation, évoquent.
Selon le cahier de charges, c’est les autres communautés plus lointaines qui seront les récipients de projets de développement communautaire estimés à $4 000 000 répartis entre l’agriculture, la pêche, l’élevage, l’énergie, l’eau potable, la santé et l’éducation.
D’après une source de la société civile, la confirmation que les activités d’Alphamin Bisie superposent et partagent une proximité avec Banamwesi et Motondo est venue de Goma, capitale de la province, en juin 2023, par hasard. Le gouverneur du Nord-Kivu a accordé, par l’arrêté 102 du 16 mars 2021, une concession forestière locale de 23 642 hectares à la communauté de Motondo plutôt que quelques 35 000 hectares demandés. En ce qui concerne Banamwesi, l’administration foncière locale lui a assuré que seuls quelques 13 000 hectares pouvaient être accordés et que sa cartographie devait être revue, assure un expert en foresterie qui connaît le dossier. Cette revue de la carte de Banamwesi avant de soumettre le dossier final, conduit ainsi à une perte de quelques 2 000 hectares.
D’après cette source, l’occupant des parties non accordées aux deux communautés « n’est personne d’autre que Alphamin Bisie », au regard de la proximité de cette dernière avec la partie refusée à la demande de Motondo.
Selon ANAPAC-DRC, la société minière Alphamin Bisie a pris un peu plus de 2 000 hectares de terres aux paysans des concessions forestières, qu’ils se sont engagés à protéger. Les localités de deux communautés autochtones dans le Nord-Kivu, en territoire de Walikale, réclament, en vain, cette reconnaissance et demandent des redevances pour leurs pertes.
Le silence des autorités
En Mars 2024, ces deux communautés ont continué à appeler à des discussions avec la direction de la société minière, sans succès.
Ce n’est pas la seule difficulté dans ce dossier, dans une quête de l’autre son de cloche. Les officiels ne réagissent pas non plus. Mongabay a eu la même expérience : il reste difficile d’accéder aux autorités. C’est le cas de l’administrateur du territoire Walikale qui a proposé d’appeler sa hiérarchie à Goma. Ici, le gouverneur militaire Constant Ndima est resté sans réponse et son chargé de communication a préféré « ne pas traiter d’un tel sujet au téléphone », et n’a jamais reçu notre envoyé comme souhaité.
Depuis 2021, Walikale, tout comme la province du Nord-Kivu entière ainsi que celle de l’Ituri voisine, plus au nord de la RDC, évoluent sous l’administration militaire. En vertu de la proclamation de l’état d’urgence, le président Félix Tshisekedi qui voulait en finir avec les groupes armés a nommé des officiers de l’armée à la tête des entités administratives comme le territoire et la province. Selon la société civile, le refus des militaires de parler pourrait être lié au fait que de tels problèmes ne sont pas leur priorité, étant donné qu’ils ne sont pas un gouvernement civil régulier.
Le silence s’impose cependant aussi dans l’administration minière et environnementale locale où plusieurs ont refusé de se prononcer sur le dossier. Même parmi les organisations de la société civile, certaines sources estiment que le sujet est embarrassant pour les autorités et sensible pour elles et exigent l’anonymat complet.
L’administration publique est critiquée, par ailleurs, pour son attentisme. « Le processus de foresterie communautaire devient lourd. Les services publics font comme si les ONG [qui accompagnent les communautés forestières] sont obligées de tout faire », grommelle un expert anonyme qui travaille chez une ONG locale. Or, enchaîne-t-il, il revient aux agents de l’État d’accompagner la foresterie communautaire.
Des solutions existent-elles ?
Dans le Nord-Kivu, Alphamin Bisie continue à détenir la réputation d’être soutenue par des politiciens et de se désintéresser des revendications et des plaintes à son encontre, chez ceux qui revendiquent leurs droits. Lors du démarrage de l’exploitation industrielle par Alphamin Bisie, plusieurs centaines d’exploitants artisanaux ont été exclus des sites artisanaux. Ces derniers ont définitivement quitté le site en février 2018. Toutefois, la société est créditée aussi des projets de développement au profit de la population : infrastructures scolaires et projets d’agriculture à Wasa et à Walikale-Centre, le chef-lieu du territoire.
La présence d’une entreprise minière, pour une exploitation réglementée des minerais, comme dans plusieurs régions minières congolaises, suscite des fois de l’espoir d’accéder à certains biens, pour les paysans reconnus comme impactés par leurs activités : les riverains accèdent souvent à de l’eau potable, certains aux emplois rémunérés, alors que les miniers bâtissent des écoles et des hôpitaux, ainsi que des routes par endroits. Ces réalisations des sociétés extractrices des ressources naturelles contribuent aussi à rendre viables des villages et contrées entiers.
Mais malgré ces actions, les problèmes réapparaissent de temps en temps, comme en témoigne le rapport du député provincial Prince Kihangi Kyamwami, rapporté par le site d’information Ouragan. L’élu de Walikale déplorait en 2022 que l’exploitation des minerais ainsi que la redevance payée à l’administration locale par les sociétés minières ne profitent ni à la population ni à l’administration locale elle-même.
Cette dernière ne connaîtrait « ni la base des calculs de ces redevances, ni le type des minerais exploités sur le site », déplore le député Kihangi dans ce même rapport.
Un rapport de la société civile ANAPAC en 2022 propose de recommencer à zéro les négociations en vue d’impliquer les peuples autochtones Twa de Banamwesi et Motondo, notamment, exclus du cahier de charges d’Alphamin Bisie.
Ce rapport liste ainsi les atteintes aux droits de ces communautés : droit à la représentation par des personnes attitrées ; droit au consentement libre, informé et préalable ; le non-respect de l’obligation de production d’études préalables d’impacts socio-économique, environnemental et sanitaire ; et les atteintes au droit d’accès gratuit à la justice, à la terre et aux ressources naturelles (droit de chasse, droit de pêche).
Après avoir tenté à plusieurs reprises de contacter l’entreprise pendant presque un an, le directeur d’Alphamin est finalement revenu à Mongabay après que nous ayons contacté leur agence de consultation. À la suite de nos questions sur l’état de leurs permis et leurs consultations avec les communautés, le directeur a déclaré que leur équipe de développement communautaire communiquera avec les représentants de Banamwesi et de Motondo pour « expliquer ces matières ».
Si cela est fait, ce sera la première fois que l’entreprise échangera avec les peuples autochtones de Banamwesi et Motondo par les voies officielles, explique l’activiste de la société civile. Les représentants des communautés ont fait savoir à Mongabay qu’ils attendaient cette réunion.
Il importe à ce jour que l’administration publique fasse respecter les lois nationales, estime Fiston Mison, leader de la société civile de Walikale. Pour lui, c’est dans l’intérêt d’Alphamin d’apaiser la situation et de trouver un cadre de concertation pour régler ces différends : « S’il n’y a pas d’entente, même si la société a des moyens [pour s’en sortir], elle sera toujours mise en difficulté ».
Cet article a été publié en anglais ici sur le site global de Mongabay.
Image de bannière : Un camp dans la forêt de Banamwesi pour l’équipe de suivi communautaire. Image fournie par une source locale.
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