- En décembre, le géant minier anglo-australien Rio Tinto a annoncé vouloir investir 6,2 milliards de dollars dans une mine de fer dans le massif du Simandou.
- Le Simandou est le plus important réservoir inexploité de minerai à haute teneur en fer au monde, lequel sera très prisé à cause de la production d’acier à faibles émissions.
- Le massif du Nimba, un autre gisement de fer important en passe d’être exploité, est en attente des études de faisabilité soutenues par la Banque mondiale.
- Simandou et Nimba abritent des chimpanzés en danger critique d’extinction pour lesquels des activités minières constituent une menace supplémentaire d’après les défenseurs de l’environnement.
En décembre 2023, le géant minier anglo-australien Rio Tinto a annoncé qu’il avait prévu de dépenser 6,2 milliards de dollars pour exploiter une mine à haute teneur en fer dans le massif du Simandou, à l’est de la Guinée, le début de la production étant prévu en 2025. La somme colossale souligne l’importance du projet : après 25 ans d’arrêts et de démarrages, si elle répond à l’objectif de Rio Tinto d’exportation par voie maritime de 60 millions de tonnes par an, la mine du Simandou sera l’une des plus grandes mines de fer de la planète.
Rio Tinto Simfer, l’entreprise commune du géant minier avec l’entreprise chinoise de Chalco Iron Ore Holdings et la junte militaire au pouvoir en Guinée, sont en passe d’empocher une manne financière grâce au gisement qui est d’un degré de pureté rare de plus de 65 %. Le minerai sera donc adapté à la fabrication d’acier à partir d’hydrogène vert, ce qui garantit qu’il sera très demandé par les entreprises qui cherchent à abandonner les hauts fourneaux à charbon pour atteindre leurs objectifs de neutralité carbone.
Non loin de là, dans le massif du Nimba, un autre projet de mine de fer retardé depuis longtemps se met doucement en place. La Société des mines de fer de Guinée (SMFG), une filiale de l’entreprise américaine High Power Exploration (HPX), réalise des études de faisabilité. Si elles arrivent à produire à pleine capacité, les mines des massifs du Simandou et du Nimba feront de la Guinée l’un des principaux pays exportateurs de fer à haute teneur au monde.
Mais, les défenseurs de l’environnement disent qu’en plus des communautés vivant à proximité des mines, les chimpanzés d’Afrique occidentale (Pan troglodytes verus) en danger critique d’extinction en Guinée pourraient compter parmi les victimes de cette nouvelle ruée vers le fer. Au moins 136 chimpanzés vivent du côté guinéen du massif du Nimba, qui comprend une partie de la Réserve naturelle intégrale du mont Nimba, un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le Simandou abrite plus de 700 autres de ces grands singes, et en 2021, un consortium chinois basé à Singapour qui détient les droits d’exploitation des blocs miniers voisins de ceux de Rio Tinto a suscité un tollé après avoir percé un tunnel ferroviaire avec des explosifs sous leur habitat.
Environ deux tiers des derniers chimpanzés d’Afrique occidentale vivent en Guinée. Aujourd’hui, alors que le minerai de fer est sur le point de devenir le principal produit d’exportation du pays, et que les chimpanzés sont déjà confrontés à des pressions liées au développement d’autres projets miniers et d’infrastructures ailleurs, des difficultés se profilent pour un grand nombre d’entre eux.
« Même si l’exploitation de la mine [du Nimba] est bénéfique pour la Guinée dans un sens, elle aura un impact considérable sur l’environnement naturel et social, d’autant plus qu’il y a des espèces en danger dans cette zone, notamment des chimpanzés et des crapauds , qui sont sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature », a dit à Mongabay Abdoulaye Gonkou Bah, directeur général du groupe environnemental Agir contre le réchauffement climatique (ACOREC).
Leur habitat ou la mine ?
Après la résolution d’un litige concernant le calendrier et les conditions de mise en opération de la mine, début 2022, la junte guinéenne a donné le feu vert à Rio Tinto pour la reprise du travail au Simandou, où l’entreprise détient deux des quatre blocs d’exploitation minière du massif. Dans le cadre du projet, l’entreprise et le Winning Consortium Simandou (WCS), qui détient les droits des deux autres blocs, construisent une voie ferrée de 670 kilomètres, ainsi que des installations portuaires modernes qu’ils utiliseront pour exporter le minerai.
Christophe Boesch, fondateur et président de la Wild Chimpanzee Foundation (WCF), dit qu’il s’inquiète de l’impact de cette infrastructure sur les zones écologiquement sensibles le long du tracé proposé de la ligne de chemin de fer ainsi qu’à l’intérieur du massif du Simandou, notamment sur la forêt classée du Pic de Fon, une aire protégée qui abrite des espèces menacées d’amphibiens, d’oiseaux et de mammifères.
« Il est clair qu’il y a eu un démarrage excessivement rapide des opérations, avant même la validation de l’étude d’impact environnemental et social [EIES] par le gouvernement guinéen et nous avons été mis devant le fait accompli : le tracé d’une voie ferrée [jusqu’au Simandou] avant qu’il n’y ait des mesures concrètes pour atténuer les impacts », a-t-il dit.
Il a souligné l’importance, par exemple, de la planification minutieuse de points de traversée pour les animaux. Pour la ligne de chemin de fer du Simandou, ces points devront être adaptés aux besoins de différentes espèces d’animaux, notamment les chimpanzés d’Afrique occidentale, et être situés à des endroits où la faune les utilisera.
En décembre 2022, Human Rights Watch (HRW) a indiqué dans une déclaration que le projet de plusieurs milliards de dollars demande « l’examen le plus attentif possible » en raison des risques qu’il pose aux droits et à l’environnement des communautés qui entourent la mine, ainsi qu’aux espèces animales situées dans les environs.
Jim Wormington, chercheur senior et chargé de plaidoyer dans la division justice et droits économiques de HRW, a exprimé des préoccupations quant à l’obtention des terres pour les opérations de la mine.
« Les communautés nous ont dit qu’ils étaient mécontents de la façon dont les terres ont été acquises pour la voie ferrée du Simandou et qu’ils étaient mécontents des impacts de ces acquisitions foncières sur leurs champs, sur les cours d’eau locaux qui d’après eux ont été pollués par les eaux de ruissellement de certaines constructions à mesure que la pluie lave et érode les terres dans les cours d’eau locaux », a-t-il déclaré à Mongabay au téléphone.
En réponse aux questions de Mongabay, Rio Tinto Simfer n’a pas répondu directement aux critiques, et a expliqué à la place que l’entreprise fait « des progrès importants dans la mise en œuvre de la hiérarchie des mesures d’atténuation en faveur de la biodiversité afin d’éviter, réduire, restaurer et compenser [ses] impacts sur la biodiversité, notamment en prévoyant de laisser un impact positif net pour des espèces qualifiant pour l’habitat critique comme les chimpanzés d’Afrique occidentale ».
« Nous continuerons de privilégier les investissements pour soutenir les programmes régionaux de développement économique et favoriser le développement de moyens de subsistance durables », a écrit un porte-parole.
Un site du patrimoine mondial de l’UNESCO en danger
Plus au sud du Simandou, les monts Nimba de Guinée débordent au Liberia et en Côte D’Ivoire. Du côté libérien de la chaîne, l’entreprise suédoise LAMCO avait autrefois construit une ville minière emblématique, aujourd’hui occupée par le géant de l’acier ArcelorMittal, qui est propriétaire d’une concession de fer à cet endroit depuis 2005. L’exploitation des réserves du côté guinéen a été le rêve d’une succession de gouvernements et d’entreprises, bien que gâché par des allégations de corruption et les difficultés en matière d’infrastructures posées par la nécessité de négocier un accès au transport maritime à travers le Liberia.
Depuis 2019, l’entreprise HPX basée aux États-Unis, qui est associée au magnat canadien de l’exploitation minière Robert Friedland, possède les droits d’exploiter la portion guinéenne du massif du Nimba. Ces dernières années, après une série de retards, HPX se rapproche d’une phase d’exploitation. Aujourd’hui sa filiale détenue indirectement, la SMFG, qui développe et exploite la mine, fait un appel à candidatures auprès de sous-traitants pour démarrer ses activités.
La SMFG a indiqué à Mongabay qu’elle voulait extraire environ 450 millions de tonnes de minerai de fer du massif du Nimba sur une période de 15 à 25 ans, ce qui pourrait représentait des dizaines de milliards de dollars. Pour y arriver, toutefois, elle a l’intention de commencer progressivement.
« Plutôt que de développer le projet minier dans son entier, la SMFG a l’intention de commencer avec une production à petite échelle au niveau de l’un des gisements de minerai, appelé Chateau », Jamison Suter, alors directeur intérimaire de la responsabilité environnementale et sociale à la SMFG, a écrit dans un e-mail à Mongabay.
La directrice générale de HPX, Bronwyn Barnes a confirmé que la SMFG commencerait la production de 2 millions de tonnes par an en 2024.
« Commencer avec un projet à plus petite échelle nous donnera la possibilité de démontrer les qualités du projet et l’exportation prévue par le Liberia », a-t-elle indiqué à Mongabay dans un e-mail. « Cela permettrait également d’introduire un calendrier de développement par étapes dans le projet, qui aiderait l’entreprise à faire en sorte que tous les impacts environnementaux potentiels soient gérés prudemment ».
Selon certaines sources, Robert Friedland a venté au président élu du Liberia, Joseph Boakai, le bien-fondé de permettre au minerai en provenance du côté guinéen d’être exporté à partir des ports libériens par l’intermédiaire d’une voie ferrée existante construite par ArcelorMittal. (Boakai a pris ses fonctions le 22 janvier ).
Mais les défenseurs de l’environnement tirent la sonnette d’alarme face aux coûts environnementaux du projet. Le site minier proposé est situé près de la réserve naturelle intégrale du mont Nimba, un site du patrimoine mondial de l’UNESCO de 17 540 hectares en danger qui se trouve à la frontière entre la Guinée, le Liberia et la Côte d’Ivoire.
D’après les auteurs d’un article publié en mars 2023 dans la revue Conservation Science and Practice, il y a au moins 136 chimpanzés d’Afrique occidentale répartis en quatre communautés dans la région du Nimba. L’exploitation du fer au Nimba pourrait représenter une menace importante pour ces chimpanzés si elle affecte leurs déplacements, ou si la perte d’habitat et les perturbations réduisent leur accès à des zones qui conviennent à leur alimentation et à leur nidification.
« De tels changements de l’aire de répartition peuvent facilement exposer les chimpanzés à des agressions mortelles entre les communautés et accroître la compétition pour la nourriture au sein et entre les communautés, ce qui peut augmenter le niveau de stress individuel et réduire la résistance du système immunitaire et le taux de reproduction », ont écrit les auteurs de l’article.
Oua Justin Bilivogui, le directeur général du Centre de gestion de l’environnement des monts Nimba et Simandou (CEGENS), un établissement public de Guinée, a indiqué que les développeurs du projet Nimba devraient satisfaire les exigences en matière de conservation avant d’extraire du minerai du massif, notamment la réalisation d’une étude d’impact environnemental de haut niveau.
« Si l’exploitation doit avoir lieu, je pense qu’il y a des conditions préalables à remplir auprès de l’UNESCO », a-t-il fait remarquer. On ignore toutefois si ces conditions préalables ont été satisfaites.
Suter et Barnes ont tous deux expliqué à Mongabay que la SFMG était au courant de l’existence des chimpanzés du massif du Nimba et avait soutenu, entre autres, l’étude de la revue Conservation Science and Practice. L’entreprise prévoit également de soutenir le CEGENS qui gère la réserve. En aidant le CEGENS à renforcer l’application de la loi et à réduire le braconnage dans la zone du Nimba, la SMFG dit espérer que les chimpanzés auront une amplitude de déplacements plus grande et seront donc en mesure d’éviter les impacts de l’exploitation du minerai de fer.
« D’après des indications préliminaires, les chimpanzés semblent éviter les zones de braconnage. Ainsi, si le braconnage peut être significativement réduit, cela “déstériliserait” des zones autour des montagnes que les chimpanzés évitent actuellement », a expliqué Suter.
Genevieve Campbell, cheffe du groupe de travail ARRC appartenant au groupe d’experts sur les primates de l’UICN qui traite les impacts des activités d’extraction sur les grands singes, a exprimé son scepticisme sur l’impact immédiat des efforts déployés contre le braconnage. « D’abord, il faut gérer votre impact, et ensuite peut-être vous pouvez essayer de réduire la pression de la chasse », a-t-elle dit à Mongabay au téléphone.
L’organisation pour la conservation Re:wild a indiqué qu’elle s’attendait à ce que les nouvelles routes et la circulation de poids lourds qui accompagnerait les activités minières forcent les chimpanzés à quitter leurs habitats actuels et à commencer à s’étendre dans les plaines, ce qui les exposerait à la chasse et aux pièges.
Campbell a indiqué que la migration interne des Guinéens cherchant à travailler à la mine représenterait sûrement une autre source de pression écologique.
« Pour chaque mine, une ville est créée », a-t-elle dit. De ce fait, « les chimpanzés peuvent être repoussés à l’intérieur du territoire d’autres chimpanzés, et… lorsqu’ils défendent leur territoire, cela peut entraîner la mort d’individus ».
Campbell a également déclaré à Mongabay que le groupe de travail ARRC, qui conseille des entreprises comme SMFG, a refusé les demandes des acteurs du projet Nimba de les aider à respecter les normes environnementales internationales en raison des inquiétudes du groupe de travail sur la proximité de l’emplacement avec les populations de chimpanzés.
« Nous ne voulons pas que ce projet se réalise. Il y a beaucoup de fer en Guinée, il y a donc de nombreux permis miniers pour le fer… mais il n’y a qu’un site du patrimoine mondial », a-t-elle dit, ajoutant que, « dans bien des cas, lorsque nous refusons de nous engager, cela envoie une sorte de signal d’alarme aux prêteurs ».
Le groupe de travail a également arrêté de donner des conseils à Rio Tinto pour le projet Simandou en 2023.
Un feu vert de la banque mondiale
Mais les inquiétudes du groupe de travail vis-à-vis des impacts écologiques potentiels du projet Nimba n’ont pas découragé la branche des investissements étrangers de la Banque mondiale, l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA) de son appui. En 2021, la MIGA a offert des garanties allant jusqu’à 130,5 millions de dollars pour les investissements dans les études préalables, notamment les évaluations des impacts environnementaux et sociaux portant sur la mine et le développement d’une route d’accès par le Liberia.
« La Guinée est un pays à faible revenu où 44 % de la population vit en dessous du seuil national de pauvreté », a écrit un porte-parole de la MIGA à Mongabay. Ce dernier a ajouté, que le développement durable de l’industrie minière de la Guinée, essentiellement sous l’impulsion d’investissements étrangers, est « essentiel pour une croissance économique diversifiée » du pays.
Boesch de la WCF a dit à Mongabay que la Banque mondiale doit être plus stricte sur l’application de ses normes d’investissement. Dans ses documents relatifs au projet, la MIGA a classé sa subvention Nimba comme projet de « catégorie A », ce qui signifie qu’il pourrait avoir des impacts sociaux et environnementaux « potentiellement significatifs ». Tout en affirmant que sa subvention serait limitée au financement d’études de préexploitation avec peu de conséquences immédiates pour la biodiversité, la banque reconnaît que « les études effectuées à ce jour indiquent que la zone du projet sera considérée comme un habitat critique » pour les chimpanzés et d’autres espèces menacées.
« Je pense que nous avons le droit d’être très critiques », a dit Boesch, indiquant « une nécessité impérieuse que la Banque mondiale et ses diverses branches soient plus cohérentes et systématiques dans l’application de ses normes de performance ».
La SMFG doit désormais soumettre une version révisée de son EIES au gouvernement guinéen pour un examen de la nouvelle portée du projet. Le porte-parole de la MIGA a dit à Mongabay que la banque déterminerait alors si ses normes de performance en matière de viabilité sociale et environnementale lui permettraient d’offrir un appui supplémentaire, les impacts potentiels sur les chimpanzés étant considérés comme « une considération essentielle ».
« La MIGA applique les normes de performance en matière de viabilité sociale et environnementale à tous les projets qu’elle garantit, quel que soit l’impact sur le développement », a dit le porte-parole. « L’objectif de l’EIES est de déterminer s’il est possible de développer le projet en conformité avec les normes de performance ».
Cependant, quelle que soit la décision de la MIGA, Campbell a indiqué que si le projet de la SMFG se concrétisait, il y aurait sans aucun doute des conséquences pour le site protégé de Nimba et ses chimpanzés.
« Rien que le fait qu’ils se trouvent “à l’intérieur” d’un site de l’héritage mondial signifie que, par défaut, ils ne suivent pas les bonnes pratiques », a-t-elle dit. « Ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent… le fait est que certains sites sont intouchables ».
Image de bannière : Un chimpanzé d’Afrique occidentale en Guinée. Image par FC Aboubacarkhoraa via Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0).
Citation:
Koops, K., Humle, T., Frandsen, P., Fitzgerald, M., D’Auvergne, L., Jackson, H. A., … Hvilsom, C. (2023). Genetics as a novel tool in mining impact assessment and biomonitoring of critically endangered western chimpanzees in the Nimba Mountains, Guinea. Conservation Science and Practice, 5(4). doi:10.1111/csp2.12898
Abdoulaye Sylla a contribué à ce reportage depuis la Guinée.
Article original publié en anglais: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2024/01/a-rush-for-green-iron-is-on-in-guinea-will-chimpanzees-be-a-casualty/