- La Banque africaine de développement (BAD) a publié des plans de développement agricole pour 40 pays du continent proposant des manières de renforcer la sécurité alimentaire et les rendements.
- L’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) affirme que l’initiative de la BAD, risque de marginaliser les petits exploitants agricoles, de nuire à la biodiversité et de favoriser la dépendance à l’égard des multinationales pour l’achat de semences et de produits agrochimiques.
- L’AFSA suggère de se concentrer plutôt sur l’agroécologie et la souveraineté alimentaireavec à la clé l’agriculture durable et la responsabilisation des petits exploitants agricoles.
- En Afrique subsaharienne, les taux de sous-alimentation demeurent toujours élevés l’augmentation rapide de la population, qui fait pression sur les ressources et la production alimentaires, pousse certains décideurs politiques à se tourner vers des projets d’agriculture industrielle comme solution.
Des groupes de la société civile ont critiqué une nouvelle initiative d’industrialisation des systèmes alimentaires africains au budget de 61 milliards de dollars, la qualifiant de « menace importante pour les petits exploitants agricoles ». Ces groupes, réunis au sein de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), affirment que l’initiative de la Banque africaine de développement (BAD) marginalisera les petits exploitants agricoles par son approche unique, favorisera la dépendance aux multinationales pour l’achat de semences et de produits agrochimiques, et entraînera la perte de terres et de la biodiversité.
« L’accent mis sur les principales cultures de base, les outils agricoles mécanisés et les systèmes fonciers standardisés condense les pratiques dans un effort uniforme visant à l’agro-industrialisation », lit-on dans un rapport de l’AFSA.
L’initiative, intitulée « Nourrir l’Afrique : Souveraineté alimentaire et résilience », émerge d’un sommet de deux jours qui s’est tenu à Dakar, au Sénégal, en janvier 2023. S’y sont réunis les représentants de plusieurs gouvernements africains, d’acteurs du secteur privé, d’organisations multilatérales, d’ONG ainsi que des chercheurs afin de discuter des questions alimentaires pressantes du continent. En Afrique subsaharienne, les taux de sous-alimentation n’ont pratiquement pas changé depuis 2005, enregistrant un pic après la pandémie de covid-19, tandis que l’augmentation rapide de la population fait pression sur les ressources et la production alimentaires.
Pour faire face à ces défis, la BAD a publié des plans de développement agricole pour 40 pays, appelés pactes nationaux, qui comprennent des politiques, des incitations et des règlementations nationales concrètes pour encourager les investissements dans le secteur agricole. La majeure partie du financement proviendrait des gouvernements et de partenaires du secteur privé, dont des producteurs de semences et des géants de l’agroalimentaire comme Nestlé et Kellogg’s, en plus de fonds de la BAD elle-même, pour un total de 1,7 milliard de dollars en 2022. Cette initiative est la dernière mouture d’une série de solutions d’industrialisation agricole à grande échelle en Afrique, qui se sont toutes soldées par des échecs.
Dans son nouveau rapport, l’AFSA a analysé et condensé chacun des 40 pactes nationaux, dont certains comprennent l’intensification de la monoculture à grande échelle et la mise en place de systèmes formels de semences certifiées. Ces derniers ont provoqué une forte opposition de la part d’organisations d’agriculteurs, qui s’inquiètent des coûts potentiels d’une transition qui met l’accent sur des variétés de cultures uniformes à haut rendement et promeut l’utilisation d’engrais chimiques et de pesticides.
« Cette initiative contredit les besoins des fermiers, alors qu’aujourd’hui, nous sommes activement impliqués dans la transition agroécologique », affirme Ndiakhate Fall, coordinateur du Conseil national de concertation et de coopération rurale (CNCR) pour le Sénégal et membre du mouvement international des petits agriculteurs La Via Campesina. « Cette transition implique à la fois de réduire et d’abandonner le recours aux apports chimiques, et de mettre en place des stratégies de diversification de la production ».
La BAD a appelé à la conversion de 25,7 millions d’hectares de terres (soit une superficie supérieure à celle du Sénégal) pour la production agricole dans 23 pays. D’après l’AFSA, ces terres, que la BAD considère comme sous-utilisées, mais utiles pour la monoculture de maïs, de riz ou de soja, sont déjà cultivées ou utilisées par les agriculteurs et les éleveurs locaux. Le pacte menace donc de déposséder ces petits exploitants de leurs terres.
« Ils appellent ça du développement, mais c’est de l’accaparement de terres », déclare Hakim Baliraine, président de l’AFSA et directeur de l’Eastern and Southern Africa Small Scale Farmers Forum (ESAFF). « Nous sommes mis de côté au profit d’une agriculture qui ne nous correspond pas, ne respecte pas la biodiversité que nous avons soutenue pendant si longtemps. Ce ne sont pas juste nos fermes qui sont en danger, c’est notre héritage, notre culture ».
Dans le bassin du Congo, qui est la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, plus de 5 millions d’hectares de terres (environ deux fois la taille du Rwanda) sont destinés à l’agro-industrialisation, rapporte l’AFSA. En plus de menacer de déplacer des millions d’utilisateurs de ces terres, ce projet risque également d’accélérer le changement climatique, affirme Ange-David Baïmey, directeur du programme Afrique de GRAIN, une ONG qui promeut l’agriculture durable. Ces forêts tropicales séquestrent d’énormes quantités de dioxyde de carbone et les défricher pour dégager de l’espace agricole libèrerait ce gaz à effet de serre dans l’atmosphère, explique-t-il à Mongabay.
« L’initiative cherche à transformer l’agriculture africaine, mais l’approche qu’elle utilise risque d’exacerber les défis auxquels font face les petits exploitants agricoles, tels que l’accès aux ressources et aux marchés, la protection de leurs droits fonciers, la perte de culture et de biodiversité, la dépendance accrue aux apports externes et la durabilité environnementale », explique à Mongabay, Million Belay, coordinateur général de l’AFSA.
L’AFSA appelle plutôt la Banque africaine de développement à réévaluer son approche afin de garantir que les plans sont inclusifs, durables et adaptés aux besoins spécifiques des différents pays africains et de leurs petits exploitants agricoles. L’organisation défend une transition vers l’agroécologie afin de répondre aux besoins alimentaires du continent, soulignant l’importance de l’agriculture durable et de la protection des droits fonciers.
La Banque africaine de développement n’a pas répondu aux demandes de commentaires de Mongabay.
Image de bannière : Kouanda Issiaka arrose sa plantation de mangues, qu’il cultive pour obtenir un revenu supplémentaire, à Boromo, au Burkina Faso. Image d’Ollivier Girard/CIFOR depuis Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2024/03/report-calls-for-agroecological-rethink-of-africas-food-amid-61b-industrial-plan/