Nouvelles de l'environnement

Les crédits-carbone aident-ils vraiment les communautés qui participent à la survie des forêts ?

  • Les communautés sont une composante majeure de la REDDC. Cette stratégie de conservation des forêts a pour objectif de réduire les émissions en les transformant en crédits dont la vente permet de lever des fonds pour la protection des forêts.
  • Les projets REDD comprennent souvent des éléments qui profitent aux communautés, tels que le développement de moyens de subsistance alternatifs et la mise à disposition de services de santé et d’éducation.
  • Cependant, des rapports REDD ont récemment mis en lumière les agressions et les violations de leurs droits qu’ont subis les communautés en lien avec des projets REDD médiatisés.
  • Plusieurs organisations autochtones ont exprimé leur soutien au programme REDD car, selon elles, il permet de financer leurs travaux de conservation liés au climat, tandis que d’autres groupes affirment que ce n’est pas la solution.

Cet article est le second d’une série en cinq parties sur les crédits-carbone forestiers et le marché volontaire du carbone. Rendez-vous ici pour lire la première partie.

SAEN MONOUROM, Cambodge — Dans un recoin isolé de l’est du Cambodge, une forêt scintillante se déploie comme une nappe verte près de la maison de Roeung Haeng.

Ici, à l’aube, les vocalises des gibbons à joues jaunes (Nomascus gabriellae) viennent percer le silence de la canopée. Plus tard dans la journée, les appels des cigales mâles contractant leur abdomen et les réponses des femelles claquant leurs ailes créent une cacophonie assourdissante, absente des terres privées de leur habitat forestier.

Pour la communauté de Roeung, qui appartient au peuple autochtone Bunong, la forêt est une source de fruits, de miel et de champignons, mais aussi de plantes médicinales et de résine, qui rapportent un peu d’argent. Elle abrite également des lieux sacrés pour les Bunong.

En 2016, Roeung et les autres résidents du village de Pou Long ont œuvré à garantir sa reconnaissance officielle comme forêt communautaire de Ngleav Krach. Le long d’une route construite en 2012 à travers la forêt, elle montre avec fierté la carte topographique qui délimite ses 2 282 hectares. Le panneau suggère que la protection de la forêt est permanente et que les limites définies sur la carte ont le soutien officiel du gouvernement cambodgien.

Pourtant, c’est en pleurant que Roeung nous parle de ce qui attend désormais sa forêt bien-aimée. Depuis plusieurs années, des rumeurs circulent autour d’un projet visant à permettre à 230 familles d’établir une nouvelle communauté sur quelque 650 hectares de forêt. Puis, en avril, les tronçonneuses sont arrivées.

Roeung Haeng collects fruits from her community forest in eastern Cambodia.
Roeung Haeng cueille des fruits dans la forêt de sa communauté, dans l’est du Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.

Les bûcherons travaillent surtout la nuit afin d’éviter d’être repérés par les résidents de Pou Long qui, d’après Roeung, sont opposés à la destruction de leur forêt communautaire. Les ouvriers ont laissé derrière eux des terres défrichées, balafrées de parcelles noires là où ils ont tenté de brûler la végétation et les arbres coupés.

« J’ai envie de mourir tellement je suis déçue », a confié Roeung à Mongabay. « Je regrette la forêt et la faune qui ont été perdues. »

Elle a déclaré avoir manifesté auprès des ministères cambodgiens de l’Environnement, de l’Aménagement territorial, de l’Agriculture et de l’Intérieur, ainsi qu’auprès de l’unité anti-corruption du pays, et avoir même porté la question devant des fonctionnaires de Phnom Penh, à six heures de bus de son village. Ses efforts ont toutefois rencontré peu de soutien, puisqu’elle a été accusée d’être « anti-développement » et a même été arrêtée. (Elle a indiqué avoir été libérée sous caution au moment de son entretien avec Mongabay en avril.)

Roeung a entendu parler d’une initiative de conservation des forêts appelée REDD, dont d’autres communautés bénéficient autour du sanctuaire de Keo Seima, ailleurs dans la province de Mondol Kiri, non loin du café en bord de route et de la maison traditionnelle Bunong au toit de chaume qu’elle loue sur Airbnb.

Bien qu’elle ait admis ne pas tout à fait comprendre le fonctionnement du programme REDD, Roeung a été intriguée par l’idée que le carbone piégé dans les forêts d’autres communautés Bunong puisse se traduire non seulement en un renouvellement de la protection de leurs terres, mais aussi en financement pour l’éducation, la santé et l’emploi.

« Nous ne sommes pas très instruits, donc la terre et les forêts […] sont l’endroit d’où notre communauté autochtone tire ses revenus », a-t-elle expliqué.

Roeung Haeng holds resin collected from trees in the forest that can be sold for use in making paint.
Roeung Haeng montre de la résine, récoltée depuis les arbres de la forêt, qui peut être vendue pour la fabrication de peinture. Image de John Cannon/Mongabay.

D’après la recherche, les peuples autochtones et communautés locales (IPLC) comme celle de Roeung sont la clé d’une coexistence durable avec la forêt, malgré le taux de pauvreté élevé. Leur intendance permet souvent de maintenir, voire d’accroître, les avantages climatiques des forêts qu’ils gèrent, sans parler des autres services écosystémiques et de l’habitat pour la biodiversité qu’offrent des forêts saines.

D’après des données de la Banque mondiale les terres autochtones — dont seulement une minorité est reconnue officiellement — abritent 80 % de la biodiversité de la planète. De même, un rapport publié en 2018 par la coalition internationale Initiative des droits et ressources révèle que leurs terres retiennent près d’un cinquième du carbone forestier à l’échelle mondiale. Pourtant, dans de nombreuses parties du monde, comme au Cambodge, les droits fonciers autochtones, lorsqu’ils sont reconnus légalement, sont fragiles.

Le programme REDD (réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) a été conçu en partie pour aider les communautés tributaires des forêts qui se trouvent en première ligne de leur disparition. Les chercheurs estiment que plus d’un tiers de l’atténuation des changements climatiques viendrait de solutions basées sur la nature, telles que la REDD, en réduisant les émissions associées à la déforestation et à la dégradation des forêts.

La REDD s’appuie sur le soutien aux communautés dans la gestion de leurs forêts face à la pression accrue d’activités comme l’exploitation forestière et la conversion à l’agriculture. La réduction des émissions peut être vendue sous forme de crédits-carbone et une partie des recettes est supposée être réinvestie dans la conservation de la forêt.

Cette approche fait toutefois débat. Des enquêtes et des études ont montré que de nombreux projets peuvent avoir moins d’effets positifs sur le climat que ce qui était annoncé. La quête de profits issus du commerce du carbone a contraint des communautés à quitter leurs terres, et d’autres cas ont été entachés d’allégations d’agressions commises par le personnel de certains projets. Ces inquiétudes ont conduit à des appels à réformer le programme REDD et le marché volontaire du carbone, voire à y mettre complètement fin.

Roeung Haeng points out the location of her community’s forest, Ngleav Krach Community Forest, in eastern Cambodia on a map showing its boundaries.
Roeung Haeng montre une carte sur laquelle sont tracées les limites de la forêt de sa communauté, la forêt communautaire de Ngleav Krach, dans l’est du Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.

Récompenser les gardiens de la forêt

Avec ses 300 000 hectares, le sanctuaire de Keo Seima couvre une zone bien plus importante que la forêt communautaire de Ngleav Krach. Plus de 1 000 espèces animales et végétales connues vivent au sein de ses limites. Les bûcherons, les entreprises de plantation et les chasseurs ont gravement mis en péril cette richesse. Ces menaces en ont fait un candidat attrayant pour le projet REDD qui a débuté à Keo Seima en 2010.

Mais pour les personnes comme Roeung, qui vivent au plus près des forêts et sont susceptibles de chercher de l’aide pour trouver des solutions de conservation, il n’est pas toujours évident de comprendre quelles communautés et quelles forêts correspondent aux critères des projets REDD. Pour leur part, les responsables de ces projets admettent qu’en se concentrant sur la zone immédiate du projet, ils ne peuvent pas aider tout le monde.

Des dirigeants autochtones du monde entier se sont tout de même prononcés publiquement en faveur du programme REDD. Un regroupement international d’organisations autochtones a notamment fait part de son soutien dans une lettre ouverte publiée en mai. Ces organisations, si elles reconnaissent que le programme n’est pas parfait, considèrent qu’il permet de reconnaître et de financer les efforts de conservation des communautés, ainsi que de préserver leur culture et leurs traditions et d’encourager le développement économique.

« Nous pensons que les marchés du carbone sont un outil important, mais qu’il faut les repenser », a déclaré Levi Sucre Romero, un chef autochtone Bribri du Costa Rica et coordinateur de l’Alliance mésoaméricaine des peuples et des forêts (AMPB), durant une conférence de presse donnée à la COP28, la conférence sur le climat des Nations unies qui s’est tenue à Dubaï en 2023. « Nous devons les redéfinir dans le respect des droits des peuples autochtones et avoir un dialogue plus ouvert avec ceux qui paient pour ces crédits-carbone. »

Le programme REDD a donné aux communautés les outils pour leur permettre de continuer à protéger leurs forêts, a affirmé German Qaghay Sedoyeka, un membre de l’ethnie Datooga et responsable du projet REDD de la vallée de Yaeda, au nord de la Tanzanie. Avant de collaborer avec Carbon Tanzania, une « entreprise sociale » enregistrée au Royaume-Uni, des villages comme Qangdend, où il a grandi, ont fait face à un afflux de personnes vers leur région. Beaucoup de ces étrangers n’avaient pas le même rapport au paysage que les Datooga ou les peuples d’autochtones chasseurs-cueilleurs alliés tels que les Hadza.

« Ce sont les gardiens des forêts qui entourent leurs villages, et ils les ont protégées pendant des siècles », a expliqué Sedoyeka à Mongabay.

Avec le soutien du projet de la vallée de Yaeda, les membres de la communauté ont pu obtenir des certificats légaux établissant ce que le droit tanzanien qualifie de « droits d’occupation coutumiers ».

« Ils permettent à la communauté de renforcer la protection de ses terres et de ses forêts, ce qui préserve les moyens de subsistance de la communauté dans les villages », a-t-il affirmé.

À partir de 2012, les communautés Bunong vivant autour du sanctuaire de Keo Seima ont été parmi les premières au Cambodge à recevoir des titres fonciers collectifs en vertu de la loi foncière de 2001 du pays, dans le cadre d’un projet REDD dirigé par la Wildlife Conservation Society. Selon les spécialistes, ces droits sont d’une importance critique pour la conservation des forêts, le carbone qui y est piégé et la biodiversité qu’elles abritent à Keo Seima et ailleurs.

Les projets en Tanzanie et au Cambodge permettent également de soutenir l’emploi et le service d’éducation et de santé.

« Nous nous rendons vraiment compte que de nos jours [le monde a] pris conscience de la contribution des communautés locales et des peuples autochtones et la reconnaît », a affirmé Sedoyeka.

Pourtant, même avec cette reconnaissance, de nombreux dirigeants autochtones ne se sentent pas entendus. Certains ont déclaré qu’ils aimeraient donner leur avis sur les types d’aides qui seraient les plus utiles à leurs communautés, ou sur l’affectation des fonds.

« Nous devons vraiment promouvoir les solutions climatiques », a affirmé Deborah Sanchez, membre de la communauté autochtone Mosquito du Honduras et coordinatrice de la forêt, du climat et de la biodiversité pour l’AMPB, qui a signé la lettre ouverte sur la REDD en mai 2023. « Mais en même temps, nous devons faire en sorte que ces solutions [ne compromettent pas] les droits de certains des peuples qui vivent dans ces territoires et ces forêts. »

D’autres défenseurs des droits ont exprimé des craintes similaires, alors même que le monde compte sur ces communautés pour maintenir les derniers puits de carbone terrestres — en partie pour que les régions les plus riches du monde puissent continuer à mener un mode de vie à forte intensité de carbone. Dans les faits, disent-ils, ces projets pourraient être vus comme une forme de « colonialisme par le carbone ».

Mushrooms growing in primary forest in Cambodia.
Des champignons poussant dans une forêt primaire cambodgienne. L’intendance des peuples autochtones et communautés locales permet souvent de maintenir, voire d’accroître, les avantages climatiques des forêts qu’ils gèrent, sans parler des autres services écosystémiques et de l’habitat pour la biodiversité qu’offrent des forêts saines. Image de John Cannon/Mongabay.

Les communautés tiennent tête aux « cowboys du carbone »

Au niveau mondial, certains acteurs ont considéré les crédits-carbone comme un commerce potentiellement lucratif, essayant dans certains cas de se procurer les droits sur les crédits issus des forêts sans réellement consulter ou obtenir le consentement des communautés qui seraient les plus touchées par ces projets.

En novembre 2021, Mongabay a rapporté pour la première fois un accord visant à monétiser le carbone et d’autres services écosystémiques des forêts de l’État malaisien de Sabah, sur l’île de Bornéo. L’accord, orchestré et signé en coulisses par quelques dirigeants de l’État et des représentants d’entreprises australiennes et singapouriennes, incluait des droits sur le capital naturel de quelque 2 millions d’hectares.

L’accord couvrait plus d’un quart de la superficie terrestre de l’État, mais les peuples autochtones de Sabah ne « savaient pas que leurs jungles avaient été conservées », a expliqué Peter Burgess, PDG de Terra Australia, l’une des entreprises impliquées dans l’accord, lors d’un entretien avec Mongabay. Les acteurs de l’accord se sont depuis refusés à tout commentaire auprès de Mongabay.

Cet accord a suscité l’indignation des organisations autochtones et des organisations de défense des droits de l’homme à Sabah et dans d’autres régions. Les groupes locaux ont affirmé qu’ils auraient soutenu une manière plus transparente et inclusive de commercialiser ces services écosystémiques afin de lancer un développement économique durable dans l’État. Pour de nombreux observateurs, l’accord n’est rien d’autre qu’un accaparement de terres destiné à enrichir quelques privilégiés. (Plus de deux ans plus tard, l’accord progresse, même si ses acteurs n’ont toujours pas clarifié des dispositions clés, notamment l’emplacement de la plupart des forêts concernées à Sabah.)

Ailleurs, les efforts de consultation des communautés locales semblent avoir manqué de la profondeur nécessaire à communiquer les implications des accords, qui s’étendent parfois sur un siècle, voire plus. Fin 2021 en République démocratique du Congo, une entreprise indienne, Kanaka Management Services (KMS), qui a vraisemblablement peu d’expérience sur les marchés du carbone ou avec la REDD, a commencé à solliciter des communautés locales afin d’obtenir leurs droits sur les crédits-carbone de leurs forêts.

Le travail de Mongabay a révélé que les personnes embauchées pour recueillir les signatures ne passaient pas plus de 35 minutes à parler du projet avec les gens. KMS aurait également obtenu des droits sur le carbone en Papouasie–Nouvelle-Guinée, où se trouve une partie de la troisième plus grande forêt tropicale humide au monde.

L’entreprise n’a répondu à aucune question spécifique sur le projet, malgré les demandes répétées de Mongabay depuis mai 2022.

Fire used to clear brush from the land.
Un feu utilisé pour défricher le maquis. Image de John Cannon/Mongabay.

Les inquiétudes quant à la perte des droits fonciers ont conduit une autre coalition autochtone, la Pathways Alliance for Change and Transformation (PACT), à appeler à un moratoire sur le commerce de crédits-carbone terrestre.

Pour les critiques de la REDD et du marché volontaire du carbone, le manque de considération pour les IPLC est symptomatique d’un problème plus profond : le manque d’inclusion des représentants de ces communautés dans la conception des projets qu’ils sont censés mettre en œuvre.

« Dans de trop nombreux cas, les peuples autochtones et les communautés locales ne sont pas traités comme des partenaires égaux », a expliqué Katherine Lofts, une chercheuse principale à l’Université McGill spécialisée dans les connexions entre droits humains et changements climatiques, lors d’un webinaire en septembre. Le principe de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, est inclus dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

« Le véritable défi c’est de faire entendre les voix de ces communautés et de ces peuples, mais aussi de faire en sorte qu’elles soient prises en considération. C’est là que le “consentement éclairé préalable” entre en jeu », a déclaré Marco Aurelio Chávez Coyoy, coordinateur du service juridique de la Community Forestry Association of Guatemala (Utz Che’) et membre de la communauté Maya Quiché, au cours du même webinaire.

Les dirigeants autochtones et locaux affirment également qu’ils devraient recevoir plus de financements pour leurs efforts. Un rapport de 2021 de la Rainforest Foundation Norway a conclu que moins de 1 % des aides liées au climat étaient versées en soutien des droits des IPLC à gérer leurs terres. Même les efforts concertés pour acheminer les fonds vers ces groupes n’atteignent souvent pas leurs objectifs.

Face à ces frustrations et à la lenteur des financements promis, les groupes autochtones ont créé leurs propres fonds, tels que le Nusantara Fund en Indonésie ou le Mesoamerican Territorial Fund au Mexique et en Amérique centrale. Tous deux ont pour objectif d’acheminer directement aux communautés l’argent des donateurs destiné à l’action climatique et à la conservation.

Selon Josh Tosteson, président de la société de marketing de projets REDD Everland, il est essentiel de trouver des moyens de soutenir ces groupes pour progresser.

« La composante la plus importante [de la REDD] est, bien sûr, le travail transformateur sur le terrain. Ce sont les actions menées par et en partenariat avec les communautés et les autres acteurs pour intervenir sur le système à l’origine de la déforestation et transformer cette dynamique », a-t-il déclaré. « En bref, la majeure partie des fonds doit aller vers les acteurs qui décident de ce qu’il se passe dans la forêt. »

Roeung Haeng points out recent clearance inside the boundaries of her community’s government-designated forest.
Roeung Haeng montre les récents défrichements au sein des limites, désignées par le gouvernement, de la forêt de sa communauté. Image de John Cannon/Mongabay.

Qu’est-ce qui est considéré comme « additionnel » ?

Du point de vue de la REDD, le problème qui se pose pour de nombreuses communautés est que leur protection est peut-être trop efficace.

Afin de qualifier au statut de projet REDD et au financement qui en découle à travers l’attribution de crédits-carbone, les porteurs de projet doivent démontrer que celui-ci permettrait effectivement de réduire les émissions. En d’autres termes, ils doivent montrer que sans le projet, il n’y aurait pas eu de réduction des émissions. L’exigence de cette « additionnalité » est de plus en plus considérée comme une composante de l’intégrité des crédits. En effet, ceux-ci sont censés représenter des progrès tangibles en matière d’atténuation du changement climatique.

Les outils de la REDD sont conçus pour fonctionner dans des forêts qui font face à un danger immédiat, a expliqué Tosteson.

« La REDD est un soin d’urgence. Lorsqu’il y a un problème, on intervient et on utilise le remède qu’est la REDD », a-t-il ajouté. Selon lui, là où les forêts ne font pas face à une menace immédiate, « la REDD n’est pas réellement le mécanisme approprié » pour soutenir ces communautés.

Mais tout le monde n’est pas d’accord pour exclure les communautés dont les forêts ne sont pas en danger.

« C’est complètement injuste », a déclaré Samuel Nguiffo, directeur de l’ONG camerounaise Centre pour l’Environnement et le Développement et auteur du document de position de PACT, à Mongabay. « Leur mode de vie est très durable, et on les punit pour ça. »

Tosteson pense également que les IPLC qui ont protégé leur forêt devraient être soutenus et compensés :

« Si leurs forêts ne sont pas menacées, c’est parce qu’ils sont des intendants avisés. »

Il a également fait mention du Partenariat des Peuples des Forêts qui, comme le Nusantara Fund et le Mesoamerican Fund, a pour objectif d’acheminer plus de financements vers les IPLC tout en s’assurant de leur implication dans la prise de décision.

D’une manière plus générale, être exclus peut mener ces groupes à perdre confiance dans le processus, a déclaré Frances Seymour, qui était membre éminent de l’Institut des ressources mondiales au moment de son entretien avec Mongabay.

« Je crains que certaines personnes bien intentionnées, concentrées sur le maintien de l’intégrité environnementale des marchés du carbone, n’aient perdu de vue l’utilité de ces marchés, qui est de protéger le climat », a expliqué Seymour, qui travaille désormais pour le Bureau du Représentant spécial du Président pour le climat aux États-Unis. Son opinion ne reflète toutefois pas nécessairement celle du gouvernement américain ou du Représentant spécial du Président.

« Dans le cas des peuples autochtones qui meurent en première ligne lorsqu’ils tentent de défendre leurs territoires contre les exploitants forestiers illégaux, dire que ce n’est pas additionnel est tout simplement insultant pour celles et ceux qui risquent leur vie », a ajouté Seymour, qui était également présidente du conseil d’administration de l’organisation Architecture for REDD+ Transactions (ART),qui gère le REDD Environmental Excellence Standard (TREES).

A southern yellow-cheeked gibbon (Nomascus gabriellae)
Un gibbon à joues jaunes (Nomascus gabriellae) dans l’est du Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.

À l’échelle nationale, le Guyana et le Gabon sont considérés comme des pays à haut couvert forestier et à faible déforestation (HFLD). Bien que de nombreux facteurs leur aient permis de maintenir leurs forêts, les observateurs jugent que les politiques interventionnistes de leurs gouvernements respectifs sont en partie responsables de la santé relativement stable de leurs forêts.

« Si les règles du marché du carbone sont conçues de manière à exclure les cas où les peuples autochtones ou les gouvernements, comme ceux du Guyana et du Gabon, prennent des dispositions concrètes pour protéger les forêts et qu’en conséquence de ces règles, nous finissons par perdre ces forêts, il s’agira d’un résultat pervers », a déclaré Seymour.

Certains spécialistes du climat ont fait valoir que l’octroi par l’ART de 750 millions de dollars de crédits au Guyana ne représentait pas l’ensemble des avantages climatiques revendiqués, car ils incluaient des forêts qui ne sont pas menacées d’un abattage imminent. Mais selon Seymour, il est quasiment impossible de déterminer où sera le prochain front de déforestation.

« Les pressions sont incessantes et on remarque que de plus en plus de juridictions HFLD font soudainement face à des pics de déforestation », a déclaré Seymour.

ART a créé un type de crédits TREES destinés spécifiquement aux régions HFLD, en plus des catégories plus traditionnelles d’élimination et de réduction des émissions.

De même, Sanchez considère que le débat sur l’additionnalité est « myope », car trop axé sur la démonstration de la menace de la déforestation afin de vendre davantage de crédits-carbone.

« Lorsqu’on regarde les cartes, la seule forêt qui est encore vraiment debout est celle dans laquelle nous vivons, celle que nous gérons », a-t-elle dit. « Ce n’est pas toujours une question de carbone, mais c’est toujours une question d’humains et de justice climatique. »

Dans la communauté où Sanchez a grandi au Honduras, des étrangers venaient accuser son père de paresse, car il n’avait pas défriché la forêt pour faire place au bétail et aux prétendues richesses que l’élevage pouvait apporter.

Mais la valeur que sa famille voyait dans la forêt était plus importante pour lui qu’élever du bétail, a-t-elle rapporté à Mongabay. Ils utilisaient le bois pour construire des maisons et fabriquer des canoës, ils récoltaient des plantes médicinales et les cours d’eau leur donnaient du poisson.

L’expérience de la famille de Sanchez témoigne d’une différence fondamentale dans la manière que beaucoup de communautés autochtones et locales ont de voir leur forêt. La compensation, a-t-elle dit, devrait être versée directement aux personnes sur le terrain, l’endroit où est réalisé tout le « travail transformateur », comme l’a dit Tosteson.

Pour certains, la REDD et le marché volontaire du carbone peuvent sembler être une manière viable d’atteindre cet objectif. Mais il y a bien plus dans les forêts saines que ces marchés ne peuvent saisir, a affirmé Sanchez. C’est en partie pourquoi le monde se tourne vers les approches autochtones de la conservation comme solutions à la crise climatique et de la biodiversité. Elles sont efficaces et c’est, selon elle, quelque chose que les architectes de ces projets n’ont pas encore tout à fait compris.

« Le Nord global doit apprendre notre façon de voir le monde, tout comme nous apprenons la leur », a conclu Sanchez.

Roeung Haeng’s Bunong Café in eastern Cambodia.
Le café Bunong de Roeung Haeng dans l’est du Cambodge. Image de John Cannon/Mongabay.

Image de bannière : À l’aube, les appels de gibbons à joues jaunes (Nomascus gabriellae) viennent percer le silence de la canopée de la forêt cambodgienne. Image de Sheep”R”Us depuis Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

John Cannon est rédacteur chez Mongabay. Vous pouvez le retrouver sur Bluesky.

Citations:

Griscom, B. W., Adams, J., Ellis, P. W., Houghton, R. A., Lomax, G., Miteva, D. A., . . . Fargione, J. (2017). Natural climate solutions. Proceedings of the National Academy of Sciences, 114(44), 11645-11650. doi:10.1073/pnas.1710465114

West, T. A. P., Wunder, S., Sills, E. O., Börner, J., Rifai, S. W., Neidermeier, A. N., Frey, G. P., & Kontoleon, A. (2023). Action needed to make carbon offsets from forest conservation work for climate change mitigation. Science, 381(6660), 873–877. doi:10.1126/science.ade3535

Article original: https://news.mongabay.com/2024/01/do-carbon-credits-really-help-communities-that-keep-forests-standing/

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