- Des activistes de l'Ouganda et la République démocratique du Congo sont venus à Paris afin d'exposer leurs revendications contre l'East African Crude Oil Pipeline à des responsables politiques français.
- L’EACOP, porté notamment par le géant pétrolier français TotalEnergies, prévoit la construction du plus long pipeline chauffé au monde ainsi que des forages dans une zone naturelle protégée.
- Les activistes disent que le projet, décrit par certains scientifiques comme une bombe climatique, met en péril les forêts, les terres agricoles et les cours d'eau, et a déjà déplacé des milliers de foyers le long de son tracé.
- Les manifestations s’intensifient à l’aube de la conférence sur le climat COP 28 dans l’espoir que les banques et les Etats cessent d’apporter leur soutien à l'EACOP.
“Lorsqu’on voit le poids de la République française dans la lutte contre le changement climatique, dans les différents sommets, je ne comprends pas pourquoi le gouvernement français n’est pas en mesure d’empêcher une société française d’exploiter du pétrole, une énergie fossile, en Afrique”, a déclaré Josué Mukura, pêcheur et activiste environnemental, devant un groupe de députés de divers bords politiques à l’Assemblée nationale à Paris le 7 novembre 2023.
Arrivé la veille de la République démocratique du Congo (RDC), après avoir participé à une manifestation au pied de la tour TotalEnergies, il est allé exposer ses inquiétudes concernant le projet East African Crude Oil Pipeline (EACOP) à des responsables politiques français. “Partout où il y a exploitation du pétrole, il y a pollution de l’environnement, des sols, de l’eau et de l’air. Nous ne vivons que de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage, rappelle-t-il. Quand le sol, l’air et l’eau seront pollués, de quoi vivrons-nous ?”
L’EACOP prévoit d’être un oléoduc d’environ 1,400 km, le plus long oléoduc chauffé au monde, allant du parc national Murchison Falls en Ouganda jusqu’au port de Tanga en Tanzanie. C’est un projet porté par le géant pétrolier français TotalEnergies en partenariat avec la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et les gouvernements de l’Ouganda et de la Tanzanie. Le gouvernement de La RDC est en ce moment en négociation pour utiliser l’oléoduc pour exporter le pétrole situé dans le Graben Albertine à l’est de son territoire.
L’Ouganda ne semble pas réfractaire à cet accès. En juillet dernier, lors du sommet Russie-Afrique, le président ougandais Yoweri Museveni, dans une volonté manifeste d’obtenir des financements de la part de la Russie, aurait déclaré à son homologue russe Vladimir Poutine : “les entreprises russes peuvent également venir investir dans l’oléoduc de l’Afrique de l’Est, car il peut acheminer le pétrole non seulement de l’Ouganda, mais aussi du Soudan du Sud et du Congo Kinshasa.”
C’est cette éventualité que Mukura veut à tout prix éviter. “Nous avons besoin de vous. Vous, députés [français — ndlr], vous devez essayer de convaincre votre gouvernement et vos entreprises de ne pas se tourner vers les énergies fossiles. D’ici 30 ans, tout le monde abandonnera les énergies fossiles pour les énergies propres. Alors pourquoi continuer à investir dans des énergies qui accentuent la destruction de notre Terre, notre maison commune ?“ a-t-il dénoncé devant un groupe de députés qui semblaient sensibles à sa cause.
Et il n’est pas venu seul. Ce jour-là, des ONG de défense de l’environnement et des droits de l’Homme, ainsi que Maxwell Atuhura, un militant ougandais, l’accompagnent. Atuhura vit dans la région de Buliisa, au bord du lac Albert où les forages pétroliers de Tilenga ont déjà commencé. Il peut d’ores et déjà attester des conséquences du projet pour la population comme pour l’environnement.
“Des plaintes ont récemment été déposées par les communautés qui vivent à proximité de ces plates-formes pétrolières. Elles se plaignent du bruit, de la chaleur dégagée par ces plates-formes, de la lumière. Elles ne peuvent pas rester à proximité de ces plates-formes et elles se demandent comment elles vont pouvoir vivre pendant 25 ans à côté de ces plates-formes”, relate-t-il.
Les populations se plaignent aussi de ne pas avoir reçu de compensations suffisantes à la suite de leur expropriation. “Ils ont proposé de donner 1000 euros pour un hectare de terre. Cet hectare, les gens pouvaient l’utiliser pour cultiver. En trois ou quatre saisons, ils auraient pu gagner 1000 euros, mais en achetant la parcelle, TotalEnergies en devient propriétaire à vie. Donc nous avons demandé plus. Ils nous ont répondu que c’était ce qu’ils pouvaient nous donner car c’est le gouvernement ougandais qui fixe les prix”, déplore-t-il.
Après avoir été indemnisés, beaucoup d’Ougandais ont vu leur niveau de vie chuter. Ce sont des faits que l’ONG Africa Institute for Energy Governance (AFIEGO) décrit dans un rapport publié en novembre 2023. D’après AFIEGO, 96 % des personnes ayant reçu une compensation financière n’ont pas pu racheter une parcelle équivalente. En plus d’avoir vu leurs récoltes baisser, leur accès à des services de base tels que les centres de santé, l’eau potable, les marchés, les routes et l’emploi est maintenant limité.
Cela fait 4 ans qu’Atuhura dénonce cette situation. Atuhura a été arrêté plusieurs fois pour son activisme et son bureau a été fermé par les autorités. Plus récemment, en octobre 2022, 9 étudiants ont été arrêtés à Kampala pour avoir manifesté contre le projet. Les charges contre ces neuf ont été abandonnées au début du mois de novembre.
Alors, Atuhura et ses compagnons de luttes se tournent vers les décideurs politiques français, espérant avoir un impact sur le projet par ce biais, invoquant le devoir de vigilance. La loi sur le devoir de vigilance impose aux multinationales de publier des plans de vigilance pour prévenir les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne de valeur.
L’année dernière, TotalEnergies a fait l’objet d’un procès pour inaction climatique basé sur cette loi. La multinationale a gagné le procès, mais Atuhura reste positif : “En France, vous avez la loi de vigilance. C’est une bonne chose, mais ce n’est pas suffisant. En état, elle n’est pas applicable, le texte est trop flou. Même avec les preuves que nous avions l’année dernière, nous n’avons pas eu gain de cause. Vous [les députés] devez faire en sorte d’améliorer la loi pour que vous puissiez la faire appliquer”, explique-t-il.
Actuellement, telle que la loi sur le devoir de vigilance est écrite, les plaignants doivent apporter des preuves que les entreprises incriminées manquent à leur devoir de vigilance. Les ONG souhaitent que cela change et que ce soit l’entreprise qui prouve qu’elle respecte la loi.
“C’est un combat qu’on doit mener de façon internationale, mais nous on a un devoir d’exemplarité. Total est une entreprise française. On doit combattre tout ce qui nuit au capital naturel et à l’équilibre climatique”, a déclaré Hubert Ott, un député centriste qui a assisté à la réunion.
Les ONG de défense de l’environnement se concentrent maintenant sur la Conférence sur le climat COP28 qui aura lieu à Dubaï fin novembre 2023. L’année dernière, le Vanuatu a appelé d’autres nations à se joindre à lui pour établir un traité de non-prolifération des combustibles fossiles. Cet appel a été suivi par plusieurs pays mais aussi par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Union européenne (UE).
Si l’UE a affiché son soutien, ce n’est pas le cas de ses états-membres. “Ce serait une avancée majeure si la France pouvait afficher son soutien à cet appel pendant la COP28. Ça pourrait pousser la France à arrêter son soutien diplomatique et politique à ce projet. Puis EACOP c’est l’arbre qui cache la forêt. On espère que cet appel puisse nous mener vers une sortie coordonnée au niveau mondial des énergies fossiles”, souhaite Juliette Blayac, militante auprès du mouvement Stop EACOP.
Ce n’est pas la seule de leurs revendications. Le 20 novembre, des groupes d’activistes de Stop EACOP ont manifesté dans 6 pays d’Europe et d’Afrique devant des banques et des ambassades chinoises pour appeler les institutions aussi bien gouvernementales que financières à ne pas soutenir le projet d’oléoduc. À terme, les militants espèrent que TotalEnergies ne puisse pas réunir les fonds nécessaires pour que le projet aboutisse. Un espoir qui n’est pas dénué de sens.
En 2021, face à la contestation populaire, Société générale, le BNP et le Crédit agricole s’étaient retirés du plan de financement du projet. En tout, ce sont maintenant 27 banques qui ont refusé de soutenir le projet. Le coût total estimé de l’EACOP est passé de 3,5 milliards de dollars à 5 milliards de dollars. Un coup qui sera assumé en partie par des banques chinoises : “ l’implication de Sinosure et de la China Exim Bank dans le projet EACOP cause des dommages irréparables à notre environnement et à nos communautés. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés face à cette situation”, a rappelé l’activiste ougandaise Hilda Nakabuye.
Ces manifestations visent à mettre en lumière la dichotomie entre les promesses officielles et les investissements. Lors de la semaine africaine de l’énergie, Irene Bateebe, secrétaire permanente au ministère de l’énergie en Ouganda a déclaré que “le gouvernement vient de terminer son ‘plan de transition énergétique’ qui sera lancé lors de la COP28 à Dubaï le mois prochain. La stratégie met l’accent sur la décarbonisation du sous-secteur de l’énergie. L’objectif net zéro 2 sera atteint en 2050.”
Une déclaration qui contraste fortement avec la mise en place de l’EACOP, qualifié de bombe climatique par un collectif de 188 scientifiques et experts dont des rédacteurs du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU.
Procès EACOP en France : Total Énergies face à ses obligations en Ouganda et en Tanzanie
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