- 40 ans après le démarrage de son « projet fou », Yacouba Sawadogo a donné naissance à une forêt aux portes du Sahel. Elle est aujourd’hui entretenue par son fils, Lookman Sawadogo.
- Avec son association, il développe de nombreux projets pour faire face au changement climatique et à l’insécurité.
- Les résultats d’une étude publiée cette année confirment les bénéfices d’une telle forêt pour préserver la faune et la flore et améliorer les moyens de subsistance des communautés.
Lookman Sawadogo a toujours aimé travailler dans la brousse sahélienne, dans le village de Gourga, au nord du Burkina Faso. Le climat y est aride. La terre, sèche. Les arbres, rares. Dans les années 1970, puis 1980, c’était des épisodes de sécheresse qui menacent le paysage. Son père, le célèbre Yacouba Sawadogo, a néanmoins créé une forêt ici. À son tour, le fils affronte maintenant le changement climatique et l’insécurité.
Dès 8 ans, il gambade à travers la savane pour aider son père dans ses tâches agricoles : cultiver les céréales, garder le bétail… Et préserver la forêt qu’il a créée.
« Le travail que papa a fait, c’est pour nous ses enfants », se réjouit Lookman Sawadogo, joint par téléphone. « Nous devons continuer à faire mieux que le papa. » La forêt compte aujourd’hui plus d’une vingtaine d’hectares. Mais il y a 40 ans, il n’y avait rien.
Il y a cinquante ans, des épisodes de sécheresse décharnent le sol de ses maigres ressources en périphérie de la ville de Ouahigouya. Les populations locales font face à la famine. Certains villageois de Gourga fuient vers le sud du pays.
« La zone du Yatenga était vouée à disparaître », témoigne Daniel Kaboré, agroéconomiste à la retraite. « Les gens fuyaient car il n’y avait plus rien à manger. Sawadogo a trouvé le courage de planter des arbres. »
En utilisant diverses techniques agricoles comme le zaï et les cordons pierreux, Yacouba Sawadogo a créé une forêt de 27 hectares, qui a fourni la communauté environnante avec des fruits, le fourrage pour le bétail, et la médecine traditionnelle. Elle a aussi inspiré les recherches de plusieurs scientifiques et de plusieurs paysans sahéliens, comme des agriculteurs nigériens de la région de Tahoua.
« Je vais souvent m’y reposer », affirme Adama Maiga, un étudiant et responsable d’association. « Je respire l’air pur. Nous n’avons pas beaucoup d’endroits comme celui-ci à Ouahigouya. »
Créer une nouvelle forêt
Son fils Lookman a repris le flambeau. Il veille à l’entretien de la forêt. En 2015, après des études en agroforesterie, il y a créé une pépinière pour donner et vendre des espèces vouées à disparaître. Avec son association, Arbres et arbustes, il mène plusieurs actions : sensibilisation à l’environnement, activité maraîchère pour les villageoises…
« Nous avons aussi un terrain de 20 hectares pour créer une autre forêt, à l’image de celle de mon père. On va utiliser les techniques du zaï et des cordons pierreux… On va faire des rotations pour reverdir la parcelle », se réjouit Lookman Sawadogo. Ce dernier a plus d’outils matériels que son père pour contrer les assauts du changement climatique, mais il doit composer avec une menace supplémentaire : celle de l’insécurité.
Depuis 2015, le Burkina Faso est confronté à une crise sécuritaire sans précédent. Les attaques à caractère terroriste se multiplient. En 8 ans, elles ont fait plus de 10 000 morts et conduit près de 2 millions de Burkinabè à fuir leur localité d’origine. Ces personnes déplacées internes (PDI) sont plus de 150 000 dans la province du Yatenga, dont Ouahigouya est la capitale.
Faute de mieux, elles construisent des abris de fortune où elles peuvent. Elles favorisent, malgré elles, une urbanisation anarchique qui s’étend autour de Ouahigouya. Quand elles arrivent en ville, les PDI peuvent être accueillies chez des habitants de Ouahigouya, mais elles sont aussi parfois obligées de s’installer dans la ville ou en périphérie, dans des campements, avec du matériel de récupération.
La forêt de Yacouba, autrefois à l’extérieur de Ouahigouya, fait aujourd’hui partie du tissu urbain grignoté. « Elle a été rattrapée par l’urbanisation informelle », souligne le géographe Damien Deville. « […] Des animaux comme le hérisson et la biche sont revenus dans la forêt, les paysans en profitent car cela crée un rempart contre les vents chauds. Mais, aujourd’hui, la crise sécuritaire menace la biodiversité. »
Selon une étude de Reach réalisée en 2022, ce soudain accroissement démographique a conduit à une forte pression sur l’accès et l’utilisation des services et infrastructures sociocommunautaires de base ainsi que les ressources naturelles dans les zones d’accueil. Quand les PDI arrivent dans les villes et villages d’accueil, elles sont sans ressources matérielles et financières.
Dans une région déjà fortement touchée par les effets du changement climatique, l’augmentation rapide de la population entraîne, entre autres conséquences, une pression accrue sur les points d’eau existants, ce qui crée aussi parfois des tensions entre les différentes communautés comme le relèvent plusieurs ONG. Pour vivre, elles vont aussi utiliser le bois pour différents usages, comme la cuisson des aliments.
Lookman Sawadogo s’inquiète : « Nous vivons une grande période d’insécurité. Les PDI, nombreux en ville, n’ont pas les moyens d’acheter du gaz et c’est dangereux d’aller en brousse. Alors, ils coupent le bois qu’ils trouvent juste autour, ils déracinent les arbres… »
La forêt plantée par son père aurait pu disparaître au fur et à mesure que la crise sécuritaire s’intensifiait. Lookman Sawadogo s’est mobilisé pour éviter cela ; et en 2021, le gouvernement burkinabè a entrepris de délimiter la forêt en la grillageant et en instaurant une entrée formelle.
La forêt reste accessible à tous. Si cela va un peu à l’encontre de la philosophie de départ, cela permet au moins d’assurer sa pérennité, pour l’heure. « J’essaie au moins de les sensibiliser pour qu’ils ne déracinent pas les arbres », reprend le fils. « Mais si tu leur dis ça et que tu n’as pas de solutions pour eux, comment faire ? »
Une forêt privée aux multiples bénéfices
Les résultats d’une étude publiée en 2023 dans le journal Nature conservation soulignent les bénéfices de la forêt privée à Gourga. Les scientifiques indiquent que cette forêt joue un rôle important dans la conservation des espèces et que les communautés locales reconnaissent aussi les éco-services de ce poumon vert en plein désert.
« J’aimerais faire plus de reboisements et demander aux PDI de s’occuper des arbres par la suite, en en prenant soin comme si c’était les leurs, leur forêt, pour qu’ils nous aident tous à préserver ce vivant », souligne Lookman Sawadogo qui insiste sur le manque de fonds pour créer la sienne.
« Concernant les services pourvus par la forêt, les répondants de l’étude ont mis en lumière le rôle important joué par la forêt dans la médecine traditionnelle, l’apport en fruits et le fourrage pour le bétail », peut-on lire dans l’étude. Cela les encouragerait d’ailleurs à préserver leur environnement, toujours selon l’étude.
« Tout le monde a toujours accès à notre forêt. Les gens viennent chercher des feuilles comestibles, des remèdes pour se soigner… », explique Lookman Sawadogo. « Tout le monde y a accès, les déplacés comme les autres, les élèves, les chercheurs… » Les résultats, indiquent les chercheurs, impliquent que la conservation d’une terre privée pourrait être une approche complémentaire pour améliorer les moyens de subsistance de la communauté.
Penser l’après crise sécuritaire
Face à l’impossibilité de continuer à faire grandir la forêt du papa et conscient de l’impact de l’insécurité sur l’environnement, Lookman Sawadogo a entrepris de trouver un autre site pour poursuivre l’œuvre. Pour sa prochaine forêt, il espère pouvoir inclure tous les membres de la communauté, autochtones comme déplacés.
Au cours des derniers mois, le fils Sawadogo a mis en place des formations sur les arbres, leur plantation et leur entretien à l’attention des villageois et des personnes nouvellement arrivées. « Nous avons quelques difficultés pour organiser ces reboisements, notamment l’accès à l’eau et le manque de fonds », regrette Lookman Sawadogo. Il se targue d’avoir déjà formé 50 personnes et affirme que tous les participants se sont vraiment sentis concernés et engagés.
« Ces activités de reboisement sont bien accueillies par la population du village. Il y a aussi beaucoup de déplacés qui sont contents de venir et, à chaque activité, je leur donne des plantes pour les pousser à les entretenir. »
Malgré les différentes menaces, l’héritage du « Vieux » semble sauvé. Il s’est étendu au-delà des limites de Gourga et a traversé les générations. Au téléphone, la voix de Lookman Sawadogo est parfois couverte par des rires d’enfants. Son fils et sa fille, eux aussi, s’inscrivent dans la lignée de l’homme qui arrêta le désert.
« Quand je travaille à la pépinière, ma fille vient m’aider. Même si, pour le moment, elle arrache plus de plantes qu’elle n’en met en terre », lâche Lookman Sawadogo amusé. « Mais je sais que, après, elle continuera et elle fera même mieux que moi… » Avec cet amour du travail en brousse, toujours.
Citation
Bognini, K., Bondé, L., Da, S. S., Mapendembe, A., & Gnabeli, R. Y. (2023). Promoting private forests for biodiversity conservation and ecosystems restoration in the Sahel region. Nature Conservation, 53, 17-38. doi:10.3897/natureconservation.53.99313
Image de bannière : L’association Arbres et arbustes mène plusieurs actions : sensibilisation à l’environnement, activité maraîchère pour les villageoises. Image de Loukman Sawadogo.
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