- La guerre entre le Hamas et Israël, commencée le 7 octobre dernier, a des répercussions jusqu’au Sud-Liban où les combats entre l’armée israélienne et le Hezbollah sont quotidiens.
- Les bombardements israéliens causent d’importants incendies dans les forêts du Sud-Liban. Plus de 400 hectares ont déjà brûlé et les scientifiques s’inquiètent de leurs conséquences sur le long-terme.
- Au Liban, 14 civils et près de 74 combattants du Hezbollah sont décédés selon les derniers décomptes.
Dans la cour de l’école publique d’Alma-El-Chaab, l’odeur de fumée masque celle des fleurs et des oliviers. Près du muret qui sépare l’établissement scolaire des terres cultivées, les troncs d’arbres portent les stigmates des flammes qui ont tout ravagé sur leur passage il y a quelques jours.
À la suite d’un nouveau bombardement israélien, un incendie s’est déclaré dans les forêts alentours et s’est propagé jusqu’aux portes de ce village chrétien, situé près de la frontière avec Israël. La verdure n’est plus que cendres. Certaines fument encore. La légère brise pourrait ranimer le feu endormi. Quelques chants d’oiseaux tranchent avec ce spectacle de désolation. Une forte explosion les fait taire. Puis une autre, et une nouvelle, quelques minutes plus tard. Il est à un peu plus de midi et le bruit des bombes s’intensifie.
Cette localité est sous le feu des combats depuis l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre dernier. Le groupe palestinien a lancé une offensive contre Israël aux premières heures du jour depuis la bande de Gaza, tuant 1200 personnes et capturant 200 otages (selon les autorités israéliennes). À la suite de cette attaque, l’armée israélienne a conduit de nombreuses frappes aériennes sur l’enclave palestinienne avant une invasion terrestre. Selon les chiffres du ministère de la Santé de la bande de Gaza, la riposte israélienne a fait plus de 12 000 victimes à compter du 18 novembre.
Au Liban, le Hezbollah, le parti politique chiite pro-iranien doté d’une puissante milice, a apporté son soutien au Hamas (avec qui il fait partie du groupe dit de « la Résistance »). Les tirs d’artillerie et les bombardements entre le Hezbollah et Israël sont nombreux près de la frontière entre les deux pays. Ces combats ont coûté la vie à au moins 14 civils, dont trois enfants et deux journalistes, et à 74 combattants du Hezbollah, selon les derniers chiffres.
À ces pertes humaines et ces dommages matériels s’ajoutent ceux causés à l’environnement. D’importants incendies ont ravagé les forêts du Sud-Liban à la suite des attaques israéliennes. L’estimation la plus récente fait état de 462 hectares brûlés dans la région, dont 27 hectares de terres agricoles et 40 000 oliviers d’après le ministre sortant de l’Environnement, Nasser Yassine. Ce dernier a annoncé vouloir porter plainte auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU contre « la politique de la terre brûlée » et l’usage de bombes au phosphore blanc.
D’après les enquêtes de L’Orient-le Jour et d’ONG internationales, Israël a utilisé des obus de phosphore blanc, proscrite par le Protocole III de la Convention sur les armes classiques et cet acte est considéré par plusieurs ONG internationales comme un crime de guerre.
À quelques pas de l’école publique, le père Maroun Ghafari se désole. « L’objectif d’Israël est clairement de brûler nos terres », affirme le responsable de la paroisse, qui a déjà vécu de nombreuses guerres dont celle de 2006. (En juillet 2006, une guerre éclate entre le Hezbollah et Israël, à la suite de l’enlèvement de militaires israéliens par le Hezbollah. Les combats ont fait plus de 1200 victimes côté libanais et 160 côtés israélien. De nombreuses forêts ont aussi été ravagées par le feu, causées par les bombardements.)
Les villageois ont dû se mobiliser avec leurs moyens pour venir à bout des flammes dans les champs de légumes, d’oliviers et d’amandiers. « Les pompiers étaient occupés avec un autre incendie. Avec le vent, nous ne sommes pas parvenus à étouffer le feu. Son étendue est catastrophique, nous avons eu très peur pour le village… », insiste Père Maroun, qui indique qu’il ne reste plus que 80 habitants sur 1000.
En cette fin d’octobre, le soleil est encore brûlant et le vent, chaud. L’absence de pluie s’observe sur les sols asséchés. Ces conditions météorologiques ont favorisé la propagation des feux, les rendant difficiles à maîtriser. Ici, chaque arbre a une valeur : économique, mais aussi culturelle et écologique. « Nous n’avons pas beaucoup de ressources, les oliviers permettent aux paysans de gagner leur vie. Et maintenant : qui peut aller là-bas ? »
Le hurlement des sirènes des pompiers force le Père Maroun à s’interrompre. Les camions dévalent la rue principale du village. Direction : Labbouneh, où de nouveaux bombardements viennent d’avoir lieu.
La plupart des forêts au sud du Liban sont constituées de maquis avec de grandes populations de feuillus comme des chênes et des pins, parfois très vieux. Il est aussi possible de trouver différents types de pistachiers, des lauriers ou des caroubiers.
De ces paysages émanent une certaine tranquillité et un apaisement qui font oublier aux visiteurs la fureur des villes libanaises. Ici, la guerre tue et dévaste, comme elle protège parfois. La forêt assure aux combattants du Hezbollah un minimum de discrétion. Le parti pro-iranien n’a pas intérêt à ce que les arbres disparaissent.
C’est une des parties les plus préservées du Liban, mais qui a tout de même souffert des épisodes successifs de guerre et des maltraitances humaines. « Le couvert forestier reste très minime, par son type, mais aussi car il y a beaucoup de terrains dénudés en raison de la guerre, comme à Bint-Jbeil ou à Blida. Et puis, il y a aussi des coupes qui ne sont pas durables, du surpâturage, des terrains dégradés, même en dehors des terrains agricoles… Ce sont des impacts cumulés qui ont abîmé ce terrain », précise Jean Stéphan, professeur d’écologie forestière à l’Université Libanaise.
Ces forêts sont aussi le refuge de nombreuses espèces. Le chacal doré (Canis aureus) ou la hyène rayée (Hyaena hyaena), en danger, comme les martres et les grenouilles font partie de la liste des espèces qui y vivent, établie par l’ONG The Green Southerners. « C’est tragique, car ce sont leurs lieux de vie qui sont ciblés. Les espèces qui sont encore à l’état sauvage sont maintenant exposées au phosphore blanc… », s’insurge le président de l’ONG, Docteur Hisham Younes.
Pour Abbas Baalbaki, scientifique et membre de The Green Southerners, les conséquences sur l’environnement de ces bombardements seront nombreuses et importantes. « Les impacts sur les chênes sauvages et sur les champs d’oliviers dureront pendant des décennies. En ce qui concerne le phosphore blanc, il peut durer plusieurs jours sous l’eau et jusqu’à plusieurs années dans les différentes couches du sol. S’il est exposé à l’air de nouveau, il peut déclencher d’autres incendies. »
Des impacts sur l’environnement pendant des décennies
Le Liban est déjà un terrain favorable aux feux de forêt en temps de paix. En 2022, environ 300 hectares sont partis en fumée sur tout l’étendue du territoire. C’est 100 hectares de moins que ce qui a déjà brûlé en l’espace d’un mois (c’est-à-dire du 15 octobre au 3 novembre 2023) seulement dans la partie sud du pays. Avant le début de la guerre, cette saison de 2023, qui touche à sa fin, s’annonçait déjà catastrophique.
« En raison de la crise économique, il y a un manque de ressources criant pour faire face aux feux de forêt, mais aussi en raison de la météo : il y a beaucoup de vent, des vagues de chaleur, des sécheresses », indique Georges Mitri, directeur du programme des terres et des ressources naturelles à l’institut de l’environnement de l’Université de Balamand.
Les incendies déclenchés par les bombardements font peser une menace supplémentaire sur cet environnement précieux et fragile.
« Ces feux intensifs auront un impact sur tout l’écosystème : l’exposition de la terre à un risque de dégradation, à la fragmentation des forêts, ce qui augmente leur stress et leur vulnérabilité aux risques d’incendies », s’inquiète Mitri, qui a les yeux rivés sur les images satellites des feux depuis le début de la guerre.
Une violence lente
Depuis l’université technologique de Delft, aux Pays-Bas, Ahmad Beydoun effectue un doctorat sur la militarisation de l’environnement au Moyen-Orient. Le chercheur estime que ces feux s’inscrivent dans une logique qui va au-delà de la simple tactique militaire. « Ces attaques consolident l’idée que ces zones sont dangereuses : que l’air, l’eau, les sols sont pollués. C’est une forme de violence lente qui vise à faire fuir la population », estime le doctorant.
Par le passé, c’est notamment l’utilisation de l’Agent Orange par l’armée américaine au Vietnam, puis la mise à feu des champs pétroliers du Koweït par l’Irak pendant la Guerre du Golfe, qui ont attiré l’attention du public et des scientifiques sur les atteintes à l’environnement en temps de guerre. Au Liban, depuis la guerre de 2006, de nombreuses mines à sous-munitions et d’autres explosifs lancés par Israël avant de se retirer sont toujours dans le sol.
Depuis la création d’Israël en 1948, cette région du Liban a vu se succéder différentes guerres et périodes de tension. Selon les derniers chiffres, près de 30 000 habitants de la zone frontalière ont migré vers le nord du pays. Ceux qui restent continuent leur vie en attendant la fin des combats. Ils tentent de s’adapter à un environnement malmené par les conflits armés.
« Nous avons survécu après 2006, insiste le Père Maroun Ghafari, en pointant des pousses de salades qui seront bientôt plantées dans un champ sur les hauteurs d’Alma-El-Chaab, frappé par les bombardements. Et je pense que nous allons encore survivre. »
Un crime contre l’environnement
La docteure et chercheuse en droit Charlotte Touzot-Fadel, spécialiste des relations entre l’environnement et les opérations militaires en temps de conflit et en temps de paix, qui a notamment travaillé dans le Sud-Liban et étudié les terrains et les activités menées par la FINUL après la guerre de 2006, affirme que tout un arsenal juridique existe pour empêcher les armées de s’attaquer à l’environnement lors de conflits armés. Elle cite notamment les 4 Conventions de Genève de 1949 et ses 3 Protocoles additionnels, dans lesquels se trouvent les principes de nécessité militaire et de proportionnalité.
« Ils permettent de prévenir toutes les attaques non-nécessaires et disproportionnées, y compris à l’environnement, et de les condamner a posteriori le cas échéant. […] Pour ce faire, il faut que les dommages causés à l’environnement relèvent d’une certaine gravité. C’est là que, juridiquement parfois, c’est compliqué. L’irréversibilité est un indicateur fort pour qualifier le dommage », insiste la Franco-Libanaise, qui estime que l’environnement est aussi, souvent, une autre victime des conflits armés, et de citer le Statut de Rome qui dispose que les atteintes étendues, durables et graves à l’environnement sont considérées comme « un crime de guerre ».
« Mais le droit de l’environnement n’a véritablement vocation à être effectif qu’en temps de paix », ajoute-t-elle. Encore faut-il que les auteurs de ces faits soient jugés, condamnés et que les sanctions deviennent effectives.
Image de banniere : Tir d’un obusier israélien M109 sur le sud du Liban en 2006. Image de IDF via Wikimedia (CC BY-SA 3.0)
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