- À Kolwezi, capitale mondiale du cobalt en République démocratique du Congo, une partie des habitants du quartier Gécamines a été forcée à quitter les habitations menacées par une carrière minière de cobalt — minerai essentiel dans la transition énergétique.
- La société chinoise COMMUS (Compagnie minière de Musonie) a acquis le droit d’exploitation d’une ancienne carrière de la Gécamines et a décidé de faire partir une partie de la population du quartier jadis occupés par les employés de la société publique de cobalt et de cuivre, la Gécamines.
- Les délocalisations ne satisfont pas les personnes ciblées. Parmi ces dernières, Adelard Makonga a refusé de partir, exigeant une relocalisation ou indemnisation juste. Mais il ne la touchera pas : puisqu’il est décédé au moment où il venait de consentir à partir en échange d’un paiement convenu avec la société minière.
- Selon l'avocat de la société chinoise, la délocalisation se passe bien. L’argent donné à ceux qui sont partis est venu après l’évaluation faite par la commission de délocalisation constituée des membres du gouvernent, des députés et de la société civile.
Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Rainforest Investigations Network en partenariat avec Pulitzer Center.
LUBUMBASHI — À Kolwezi, siège de la province du Lualaba qui revendique le titre de capitale mondiale du cobalt, le village Tshabula d’environ 400 ménages, se prépare à quitter le lieu. Récemment, en 2022, le quartier Gécamines a vu près de 40% de son espace devenir une carrière minière de cobalt et cuivre, et 209 ménages partir dans un processus de délocalisation controversé.
Symbole de cette controverse, Adelard Makonga a refusé de partir. Il a exigé une « délocalisation légale », montant ainsi les enchères face à l’entreprise minière chinoise COMMUS (Compagnie minière de Musonoie) qui a convenu des indemnisations en espèces, pour éviter le long processus de relocalisation prévu par la loi congolaise.
« Je n’exige pas grand-chose de COMMUS. Tout ce que je veux, c’est d’être réinstallé dans les mêmes conditions qu’ici », déclarait Makonga sur une télévision locale, en mai 2023, un mois avant son décès.
Selon la loi, une délocalisation en bonne et due forme est préparée par celui qui délocalise. Il prépare le lieu, bâtit pareil dans les mêmes proportions et installe ceux qu’il déplace.
Pour les délocalisés comme Makonga, en effet, le départ de la cité Gécamines expose à l’inconfort. Elle dispose des routes pourvues d’un système de canalisation, d’eau courante et de l’électricité stable. Elle est des mieux urbanisées de Kolwezi, deuxième ville de la région du Katanga, dans le sud-est la RDC.
Bâtie au seuil de la décennie 1940 pour le logement des employés d’une société de l’état congolais, société Générale des carrières et des mines (Gécamines), la cité Gécamines appartient à l’entreprise publique de cobalt et de cuivre dont elle prend le nom. Gécamines détient la minorité des parts sociales dans COMMUS et Zijin Mining Group Ltd, une compagnie minière chinoise, en détient la majorité des actions.
En raison de la transition énergétique et de l’électrification des véhicules de transport sur l’échelle mondiale, la demande des minerais essentiels tel que le cobalt pour la fabrication des batteries lithium-ion devrait augmenter, selon l’Agence internationale de l’énergie. Environ trois quarts de l’approvisionnement mondial en cobalt viennent de la RDC, selon Cobalt Institute. La mine de Kolwezi a une capacité de production annuelle de 120 000 tonnes de cuivre et 3 000 tonnes de cobalt.
De nombreux organisations de la société civile en Afrique craignent que, loin de bénéficier de leur richesse minérale, les communautés qui détiennent des réserves de minéraux essentiels paieront le prix le plus élevé pour leur extraction, en forme d’expulsions. À Kolwezi, il s’agit déjà d’une réalité.
Une indemnité de délocalisation insuffisante
Bien plus, les 25 000 USD proposés à chaque ménage, ne permettent pas de payer ou de se construire de maison dont les coûts varient entre 40 000 et 100 000 USD, selon les contestataires suivis par le média local Wangu TV. Ce montant n’a toutefois pas été confirmé par d’autres sources, l’entreprise COMMUS ayant avancé « la moyenne de 80 000 USD » par ménage, selon son avocat ; en ce compris la valeur de la parcelle, de la maison et des meubles.
La différence tient au manque de transparence du dossier auprès des parties impliquées : gouvernement provincial, société minière et parfois certains délocalisés.
Selon un membre du gouvernement provincial qui souhaite rester anonyme, COMMUS aurait payé jusqu’à 100 000 USD à certains habitants. Makonga, lui, a attendu dans sa maison encerclée par la muraille qui limite la carrière minière de COMMUS, jusqu’à une entente de paiement de 90 000 USD dont il n’aura touché que 3 000 USD en vue d’organiser son déménagement, condition fixée par la société minière pour verser le reste du montant. Mais Makonga meurt le 3 juin 2023, et son épouse et ses 6 enfants restée dans la maison à moitié détruite du fait des activités de minage dans la carrière alentour, semblent apeurés sur la cause de la mort de Makonga.
Malgré le décès de Makonga, son cas sera résolu et sa famille remise dans ses droits, assure toutefois, le commissaire du gouvernement provincial du Lualaba en charge des affaires foncières et président de la commission de délocalisation, Jean-Pierre Kalenga.
« Nous regrettons sa mort. Cependant la commission a tout fait pour que sa situation soit résolue », assure-t-il.
Dans son rapport de septembre 2023, Amnesty International indique que les autorités locales n’ont pas organisé de véritables consultations publiques ni pris en compte les réclamations des personnes expulsées. Celles-ci, par exemple, ont demandé (y compris par écrit, selon le rapport), de leur verser une indemnisation juste, qui tienne en compte de la vraie valeur des propriétés qu’elles ont été menées à quitter. Bien plus, la société minière chinoise n’aurait pas publié de rapport d’impact environnemental, comme l’exige pourtant la loi.
Ce litige n’empêche cependant pas l’avocat de la société chinoise d’assurer que « la délocalisation se passe bien. » L’argent donné à ceux qui sont partis, explique à Mongabay Patrick Ilunga, est venu « après l’évaluation faite par la commission de délocalisation. Laquelle est constituée des membres du gouvernent, des députés et de la société civile ».
La cité Gécamines a longtemps abrité les employés de la société publique dont elle a pris le nom. Au courant de la décennie 2000, des employés impayés ont acquis les droits exclusifs sur les maisons qu’ils occupaient. Avec une population estimée à 38 000 habitants, la cité Gécamines Kolwezi a été amputée d’une partie qui représente environ 2 000 habitants.
La réinstallation dans les nouveaux quartiers perturbe les délocalisés
Si COMMUS et la commission de délocalisation se félicitent de leur travail, certains délocalisés, à l’instar de Edmond Chansa, soixante ans d’âge, regrettent leurs nouvelles conditions sociales. Installé dans sa maison inachevée, construite à Joli-Site en périphérie à l’est de Kolwezi, Chansa manque de plusieurs services de base.
Il assure que COMMUS et la commission de délocalisation ont refusé la demande de réinstallation. « Ça a été un refus catégorique. Nous étions contraints de quitter moyennant l’argent qui nous a été donné sur base d’une expertise qu’eux-mêmes ont faite, sans nous y associer, » explique Chansa. Il assure que les 70 000 USD perçus pour son départ lui ont permis d’acheter un terrain où il a construit une maison qu’il peine à achever.
« Nous sommes ici sans électricité ni eau. Je dois dépenser par jour 2 500 francs congolais [environ 1$] pour 10 bidons d’eau. Pourtant, à la Gécamines, l’eau est une denrée disponible », se plaint Chansa.
Cité Gécamines, une difficile cohabitation entre mine et habitations
Par contre Céline Lenge, qui compte aujourd’hui 58 ans d’âge et 8 enfants, compte s’installer ailleurs, et attend sa délocalisation. Elle vit à une centaine de mètres de l’actuelle limite de COMMUS à Gécamines depuis ses 17 ans. La vie, près de la carrière minière est rythmée par des perturbations environnementales permanentes : poussière, tremblement de terre à chaque minage et effondrement ou fissurations des murs.
Pour toute prévention des pollutions, la société chinoise a bâti un mur qui limite l’accès à la carrière. Kolwezi en a vu émerger un autre, en 2017 à Kasulo, où la société chinoise Congo Dongfang international Mining (CDM) a pris le contrôle d’une carrière artisanale en pleine agglomération, et où elle avait délocalisé 600 familles. Mais comme à Kasulo, le mur ne suffit pas pour limiter la pollution de l’air au moyen de la poussière qui part des carrières. En même temps, les bâtiments privés détruits ne sont pas généralement pris en compte.
Ces mesures ne suffisent pas, fait observer Schadrack Mukad, leader de la société civile du Lualaba. Il propose une délocalisation totale de tous ceux qui sont exposés à ces dangers, les cités Gécamines et Musonoie ne garantissant plus le droit à un environnement sain. Parmi les problèmes courants dans ces quartiers, ce défenseur des droits humains énumère les pollutions : sonore, du fait des explosions dans la mine, atmosphérique du fait de ces explosions des roches qui soulèvent de la poussière, et les dégradations des habitations.
« Les habitants ne savent pas rester dehors ni exposer leurs habits au séchoir après la lessive », explique Schadrack Mukad. Bien plus, indique-t-il, « la nappe phréatique des quartiers Gécamines et Musonoie s’est davantage éloignée en profondeur à tel point que pour trouver l’eau de forage, il faut aller à 100 ou 150 mètres de profondeur. »
Pour sa part, Jean-Pierre Kamb, géologue, explique que ces expositions des populations ne relèvent plus de simples inquiétudes. « Il ne s’agit pas seulement des craintes, mais c’est la vérité qui se vit, même pour ceux qui ne travaillent pas dans le secteur minier », explique le géologue.
À ce jour, ce n’est pas encore certain si les habitants seront relocalisés ou si ils recevront une indemnisation, même si certains sont clairement prêts à quitter le lieu.
Apprendre à conjuguer le verbe finir dans une école rasée
L’implantation de la carrière minière à proximité a perturbé aussi la scolarité de certains écoliers et menace un hôpital. Privés de leur école, en effet, certains écoliers traversent une ancienne carrière pour en fréquenter une autre à la cité voisine de Musonoie. L’école primaire Masega, par exemple, n’a été ni épargnée ni relocalisée ailleurs. Ici, le temps s’est arrêté le 11 novembre 2021. Sur un tableau noir de la classe de 5e, la dernière leçon de grammaire avait porté sur la conjugaison française du « verbe finir ».
Proche de la limite actuelle de la mine, l’hôpital HPK, de la société publique Gécamines, pourrait lui aussi disparaître.
Conscient des critiques à propos des infrastructures publiques détruites, l’avocat de COMMUS contrattaque : « Les écoles détruites appartiennent à la Gécamines et si quelqu’un devrait s’en soucier ce n’est ni nous COMMUS, ni toi journaliste. Seule la Gécamines, patron de COMMUS, pourra s’en soucier », rétorque Patrick Ilunga.
Quant au chef du foncier du gouvernement provincial du Lualaba, Jean-Pierre Kalenga, il entretient le flou : « mon rôle est de s’assurer que les conditions de délocalisation ont été respectées », se défend-il.
Le village Tshabula, l’autre délocalisation attendue
À une dizaine de kilomètres du centre-commercial de Kolwezi se trouve le village Tshabula, resté tranquille et distrait, jusqu’à l’avènement de COMMUS en 2015. Le village était jusqu’ici connu pour son couvent de prêtres catholiques Salvatoriens qui y forment de religieux. Au total, quelques 400 ménages sont concernés, et l’attente de l’argent de délocalisation suscite une certaine frénésie.
« Chacun aura son argent et nous irons construire notre nouveau village », explique la cheffe de Tshabula. En même temps, l’approche semble plutôt reposer sur une relocalisation de la part de la société minière : « Nous allons construire Tshabula 2, quoique plusieurs occupants de Tshabula ou sinon tous veulent toucher de l’argent en guise d’indemnisation », fait observer pour sa part l’avocat de COMMUS, Patrick Ilunga.
L’exploitation de COMMUS va à une très grande vitesse, fait constater le commissaire en charge du foncier dans le gouvernement du Lualaba, Jean-Pierre Kalenga. Les deux facteurs réunis, vitesse et approches divergentes, pourraient conduire à une procédure cavalière. C’est d’autant plus qu’à ce jour, personne n’indique avec précision où sera bâti Tshabula 2. Tout semble encore dans le « projet ».
« Nous voulons qu’à Tshabula la délocalisation se fasse mieux. COMMUS devra réinstaller [Tshabula] ailleurs », assure toutefois monsieur Kalenga.
Ce flou semble cependant arranger certains habitants, y compris venus de Kolwezi. Des maisons sortent rapidement des terres et sont vite habitées. La stratégie consiste à « bâtir beau, grand et durable » en vue de toucher une forte indemnisation de délocalisation, explique le membre du gouvernement provincial anonyme.
Quant aux religieux salvatoriens, installés à Tshabula depuis la décennie 1980, qui y ont bâti d’importants immeubles, la délocalisation semble la plus commentée dans la région. C’est un important investissement et la question peut parfois s’avérer gênante, en raison notamment des ententes entre l’Etat congolais et le Vatican sur le patrimoine de l’église.
“My responsibility is to support the relocation. I am not the one who takes care of the archiving to talk about what will become of the Monastery [convent]. I am not even from the mining cadastre or the ministry of mines which take precedence over land in the event of conflicts,” retorts Jean-Pierre Kalenga.
« Ma responsabilité est d’accompagner la délocalisation. Je ne suis pas celui qui s’occupe de l’archivage pour parler de ce que deviendra le Monastère [couvent]. Je ne suis même pas du cadastre minier ou du ministère des mines qui prévalent sur le foncier en cas des conflits », rétorque Jean-Pierre Kalenga.
Les prêtres se réservent de commenter sur le processus de délocalisation.
Il revient, cependant, au même état que le commissaire au foncier représente de s’occuper de aspects culturels ou religieux dont il semble de décharger.
Image de bannière : Adélard Makonga assis sur le site minier de la Gécamines. Image d’Éric Cibamba.
Cet article a été publié en anglais ici sur le site global de Mongabay.