- Jusqu’à 4 tonnes de viande de brousse entrent illégalement en Europe chaque mois par l’aéroport international de Bruxelles, selon une nouvelle étude.
- La majorité de cette viande provient d’Afrique occidentale et centrale, une partie de la viande saisie provenant d’espèces menacées et protégées comme les pangolins à petites écailles et les crocodiles nains.
- L’étude arrive plus de 10 ans après que le même groupe de chercheurs avait estimé qu’environ 5 tonnes de viande de brousse entrait par l’aéroport Charles de Gaulle à Paris chaque semaine, ce qui semble indiquer que la répression n’a pas été efficace.
- Les spécialistes réclament une meilleure détection du trafic de viande de brousse et une application plus stricte des sanctions contre le commerce d’espèces protégées, ainsi que des contrôles plus fréquents du commerce légal pour déceler des envois illégaux.
Les chercheurs qui ont étudié les saisies de type « interception et fouille » à l’aéroport international de Bruxelles estiment qu’environ 4 tonnes de viande de brousse sont introduites clandestinement chaque mois par ce point d’accès en provenance de pays comme la République démocratique du Congo, le Togo et le Cameroun. Ils disent que ce commerce illégal, qui concerne également des espèces menacées, constitue une menace pour la santé publique et la biodiversité.
Entre janvier 2017 et octobre 2018, 1 million de voyageurs sont arrivés à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem en provenance des pays cibles en Afrique occidentale et centrale, et environ 1 % de ces voyageurs ont été fouillés par le personnel de contrôle aux frontières de l’aéroport. Anne-Lise Chaber, qui est première auteure d’une étude commandée par le service de santé publique belge, SPF Santé, et épidémiologiste à l’université d’Adelaïde, en Australie, rapporte que 687 kilogrammes ont été saisis pendant la période de l’étude. En se basant sur cette donnée, les auteurs estiment qu’environ 80 tonnes de viande de brousse sont entrées sur le territoire au total, ce qui représente près de 4 tonnes par mois.
Dr Chaber et ses collègues ont analysé de la viande confisquée afin de déterminer les espèces dont elle provient. Au sein de la viande saisie, largement constituée de viande d’animaux d’élevage, de viande de brousse provenant de rongeurs et de mammifères, et de certains poissons, les chercheurs ont trouvé des espèces menacées, notamment de la viande de pangolin à petites écailles (Phataginus tricuspis) en danger, de crocodile nain africain (Osteolaemus tetraspis) vulnérable et de huit autres espèces protégées par la CITES, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.
L’importation d’espèces CITES en Belgique peut entraîner de lourdes amendes et une peine de prison allant jusqu’à cinq ans. Mais, les auteurs soulignent que l’application de ces lois est extrêmement limitée.
Dans une étude comparable portant sur l’aéroport Charles de Gaulle de Paris publiée en 2010, Dr Chaber et ses collègues avaient estimé que 5 tonnes de viande de brousse entraient dans la capitale française chaque semaine. « Il est inquiétant de voir que 10 ans plus tard, la circulation internationale illicite de viande est encore en plein essor », a-t-elle dit.
« La chasse excessive peut provoquer des extinctions locales ou mondiales, tout en touchant également des espèces non ciblées, les interactions entre espèces et la structure et la fonction des écosystèmes », a expliqué Dr Chaber.
Une menace pour les espèces en danger et la santé
« Du point de vue de la santé publique, le déplacement de produits animaux et les interactions étroites entre les humains et les espèces sauvages permettent également la propagation des zoonoses et l’émergence de nouvelles maladies infectieuses », a expliqué Dr Chaber. « Le déplacement international de viande illégale qui contourne les procédures réglementaires classiques menace donc la santé animale et humaine par le biais de l’introduction d’agents pathogènes. »
« Je pense que le principal message est le nombre surprenant faible de vérifications effectuées lorsque les gens arrivent en Belgique », a dit dans une interview Vincent Nijman, le responsable de l’Oxford Wildlife Trade Research Group à l’université Oxford Brookes (Royaume-Uni) qui n’était pas impliqué dans l’étude.
« Je pense que l’importation de n’importe quelle viande, souvent non ou peu transformée, est préoccupante », a-t-il ajouté. « Les parasites ne savent pas s’il s’agit de viande légale ou illégale. »
Dr Chaber et son équipe disent que des efforts accrus sont nécessaires pour contrôler ces importations, notamment une meilleure détection du trafic de viande de brousse et une application plus stricte des sanctions contre des infractions à la CITES. Ils suggèrent l’utilisation d’une carte de déclaration d’importation, comparable au système utilisé en Australie afin de simplifier le processus. « Le fait de donner de fausses informations sur cette carte pourrait entraîner une lourde amende applicable directement par les services de contrôle aux frontières », a expliqué Dr Chaber. « Il faudrait que cela soit appliqué dans tous les pays européens. »
« Bien que la mise en œuvre de ces suggestions puisse prendre du temps, nous sommes convaincus qu’un système simplifié aidera à saisir plus d’activité commerciale illégale et réduira au bout du compte le flux de viande illégale et de produits issus d’espèces sauvages dans l’UE », écrivent les auteurs de l’étude.
Daan van Uhm, un chercheur en criminalité environnementale à l’université d’Utrecht aux Pays-Bas, qui n’était pas impliqué dans l’étude, dit qu’il est d’accord qu’un tel système permettrait que les voyageurs ainsi que les compagnies aériennes aient une meilleure connaissance des règles d’importation existantes. Un soutien devrait également être apporté au personnel de sécurité des aéroports pour identifier la viande de brousse, et les importations illégales de viandes devraient entraîner de lourdes amendes, « en particulier en lien avec des espèces sauvages en raison du risque de maladies zoonotiques », a-t-il ajouté.
Toutefois, Pr Nijman dit que les autorités devraient se concentrer sur « des contrôles appropriés des espèces sauvages et de la viande de brousse qui sont importées légalement, et qu’ainsi ils détecteraient les choses qui le sont illégalement aussi ».
« Si vous regardez la quantité qui est vérifiée pendant la période, elle est encore relativement petite », a-t-il dit.
Les perceptions du commerce de la viande illégale et des espèces sauvages comme étant faiblement prioritaire par rapport à la contrebande à haute valeur ajoutée comme les drogues doivent également changer, selon Dr Chaber, car il pose un risque à la santé publique et à l’agriculture. « Il est important de penser en termes de risques et pas en termes de valeur des produits », a-t-elle dit. « Prendre en compte uniquement le risque d’entrée d’agents pathogènes dans un pays est trompeur. La chasse et la découpe d’animaux sauvages dans les pays source présentent un risque élevé de transmission de maladie et celui-ci doit être pris en compte ».
Les réseaux sociaux comme moteur du commerce international de viande de brousse
— par Orji Sunday
Dans une étude distincte, également publiée dans la revue One Health Journal, Georgia Moloney et d’autres chercheurs indiquent que les saisies de viande de brousse en Europe et aux États-Unis sont une preuve de la globalisation du commerce, qui pousse la chasse non durable d’espèces souvent menacées. Ils suggèrent que les réseaux sociaux facilitent la promotion, la vente et la distribution au sens large de la viande de brousse, et que de nouveaux modèles de suivi et d’application des peines sont nécessaires.
Les chercheurs ont fait des recherches sur Facebook pour le terme « viande de brousse » (« bushmeat » en anglais) et ont analysé 563 messages publiés sur six pages accessibles au public entre 2018 et 2022. Ils ont trouvé des publicités pour de la viande de 25 espèces, notamment des espèces protégées comme les crocodiles, l’antilope royale (Neotragus pygmaeus), le pangolin à petites écailles et le pangolin à longue queue (Phataginus tricuspis et P. tetradactyla).
Seize pour cent des messages présentaient des espèces dont l’état de conservation est considéré comme préoccupant sur la liste rouge de l’UICN ; 16 % concernaient des espèces dont le commerce est limité par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) ; et un quart des espèces étaient des animaux protégés par des lois locales au Nigeria et en Côte d’Ivoire, où les pages Facebook avaient été créées.
Ils ont remarqué que cinq des six pages qu’ils ont étudiées dirigeaient les clients potentiels vers la plateforme de messagerie privée populaire WhatsApp afin de discuter des détails d’un achat, permettant de ce fait aux acheteurs et aux vendeurs de dissimuler leurs identités et des preuves incriminantes aux forces de l’ordre.
« Ce phénomène pose de nouvelles difficultés », a dit Moloney, l’auteure principale de l’étude et doctorante à la School of Animal and Veterinary Sciences de l’université d’Adélaïde en Australie, à Mongabay au téléphone.
Elle et ses collègues n’ont trouvé aucun signe de publicités de vente de viande de brousse sur le web profond, ce qui selon eux indique que les vendeurs ne se préoccupent pas de cacher leurs publicités aux forces de l’ordre ou à Facebook. La politique de commerce et de communauté de la plateforme interdit les publications faisant la promotion du commerce ou de la vente d’animaux ou de produits issus d’animaux en danger ou menacés.
« Malgré les politiques et les lois en place localement, nationalement, et sur les plateformes des réseaux sociaux, la publicité de ces produits est toujours faite ouvertement », a dit Moloney.
L’étude n’a pas tenté de tirer de conclusions sur la contribution des réseaux sociaux à l’augmentation du volume d’animaux sauvages tués pour leur viande.
Citations:
Chaber, A., Moloney, G. K., Renault, V., Morrison-Lanjouw, S., Garigliany, M., Flandroy, L., … Gaubert, P. (2023). Examining the international bushmeat traffic in Belgium: A threat to conservation and public health. One Health, 17, 100605. doi:10.1016/j.onehlt.2023.100605
Chaber, A., Allebone-Webb, S., Lignereux, Y., Cunningham, A. A., & Marcus Rowcliffe, J. (2010). The scale of illegal meat importation from Africa to Europe via Paris. Conservation Letters, 3(5), 317-321. doi:10.1111/j.1755-263x.2010.00121.x
Moloney, G. K., Gossé, K. J., Gonedelé-Bi, S., Gaubert, P., & Chaber, A. (2023). Is social media the new wet market? Social media platforms facilitate the online sale of bushmeat in West Africa. One Health, 16, 100503. doi:10.1016/j.onehlt.2023.100503
Moloney, G. K., Gossé, K. J., Bi, S. G., Gaubert, P., & Chaber, A. (2022). Is social media the new wet market? Social media platforms facilitate the online sale of Bushmeat in West Africa. SSRN Electronic Journal. doi:10.2139/ssrn.4290761
Image de bannière : Un céphalophe captif (probablement Philantomba monticola congica) en RDC. Image de jbdodane via Flickr (CC BY-NC 2.0).
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2023/09/study-wild-meat-trade-from-africa-into-belgium-a-health-and-conservation-risk/