- Les chauves-souris insectivores préfèrent les plantations de cacao composées de grands arbres anciens qui reproduisent les conditions naturelles de la forêt.
- Une nouvelle étude a révélé une plus grande abondance et une plus grande diversité de chauves-souris dans les exploitations agricoles ayant une couverture ombragée de 65 % ou plus, ce qui est encore fréquent dans les plantations de cacao au Cameroun par exemple, mais qui se fait rare dans les principales régions productrices de cacao du Ghana et de la Côte d'Ivoire.
- D'autres recherches ont montré que les chauves-souris et les oiseaux peuvent réduire la quantité de pesticides utilisés par les cultivateurs de cacao. Elles ont également prouvé que les rendements diminuent lorsque la couverture d'ombre est supérieure à 30 %.
- Les chercheurs espèrent trouver un niveau optimal d'ombrage provenant des arbres indigènes pour les systèmes agroforestiers qui abritent des espèces de chauves-souris cohabitant avec des oiseaux, tout en maximisant les rendements pour les agriculteurs.
Les chauves-souris insectivores qui s’attaquent aux ravageurs du cacao préfèrent les exploitations composées de grands arbres anciens qui ombragent les plantations. Dans le but de trouver un « équilibre » dans les systèmes agroforestiers pour favoriser au maximum la biodiversité, des chercheurs ont étudié la diversité des chauves-souris dans 28 plantations de cacao dans la région du Sud du Cameroun. Ils ont constaté une plus grande abondance et une plus grande diversité de chauves-souris dans les exploitations ayant une couverture ombragée de 65 % ou plus, et qui reproduisent les conditions de la forêt naturelle dans cette région.
« Notre étude a démontré que pour préserver les chauves-souris insectivores, nous avons non seulement besoin d’une couverture ombragée, mais également de très grands arbres anciens », a déclaré Diogo Ferreira, l’un des principaux auteurs de l’article publié dans la revue Biological Conservation, lors d’une interview accordée à Mongabay.
Cependant, les chauves-souris qui se nourrissent de fruits et de nectar préfèrent les conditions d’ombrage des arbres plantés, qui fournissent souvent aux cultivateurs de cacao une source de revenus secondaires. Les espèces les plus répandues dans les exploitations étudiées sont les avocatiers, les manguiers, les orangers, les citronniers et le safoutier, parfois appelé prunier d’Afrique (Dacryodes edulis), explique Ferreira, doctorant au Centre de Recherche sur la Biodiversité et les Ressources Génétiques (connu sous son acronyme portugais CIBIO).
Les chercheurs ont étudié la diversité des chauves-souris dans des exploitations agricoles présentant une couverture d’ombre variée : très ombragé avec plus de 65 % de couverture, moyennement ombragé avec 35 à 65 % de couverture et « cacao peu ombragé » avec 20 à 35 % de couverture.
« Nous suggérons que si nous voulons conserver les deux espèces de chauves-souris, nous avons besoin des niveaux les plus élevés de couverture ombragée », a déclaré Ferreira.
Pour Olivier Honnay, écologiste de la conservation à l’université belge KU Leuven, qui n’a pas participé à l’étude, les constatations générales confirment que les conditions de couverture très ombragée sont bénéfiques pour les chauves-souris insectivores, comme pour d’autres espèces, telles que les fourmis, les oiseaux et les grenouilles.
« Cette étude est un complément précieux aux ouvrages existants, notamment car (à ma connaissance) aucune étude n’a porté sur la diversité des chauves-souris dans les systèmes agroforestiers du cacao dans les régions afro-tropicales », a-t-il écrit dans un courriel.
Trouver « l’équilibre d’ombre »
« Si l’on pouvait gérer les exploitations agricoles de manière à ce qu’elles bénéficient d’un ombrage aussi proche que possible de 65 % sans sacrifier le rendement du cacao, on atteindrait le niveau d’ombrage approprié pour une certification respectueuse de la biodiversité et des chauves-souris », a déclaré Luke Powell, co-auteur de l’article et chercheur principal du programme TROPIBIO de la CIBIO et de l’Université de Glasgow.
Honnay reconnaît que les systèmes agroforestiers du cacao très ombragé peuvent contribuer à la conservation des chauves-souris, mais il met en garde contre des conclusions définitives en l’absence de point de comparaison entre ces exploitations et les systèmes forestiers naturels. Il a également mis en garde contre la tendance à promouvoir 65 % d’ombre. « Il s’agit certainement d’une règle de conservation très importante et très solide. Cependant, la question principale dans ce système agroforestier est la suivante : quel est l’effet d’un ombrage aussi élevé sur les rendements du cacao et les revenus des agriculteurs ? »
Des anciennes recherches ont démontré que les rendements du cacao chutent lorsque la couverture d’ombre atteint 30 %, mais les chercheurs affirment que la présence de chauves-souris peut apporter une série de services écosystémiques qui bénéficieraient aux agriculteurs. Dans une autre étude menée au Cameroun, Ferreira et son équipe ont constaté que les oiseaux et les chauves-souris peuvent contribuer à améliorer les rendements en se nourrissant des parasites qui nécessiteraient autrement l’utilisation de pesticides, mais uniquement lorsque la couverture ombragée est importante.
Cependant, Honnay souligne que les services écosystémiques ne compensent que rarement les pertes de revenus. « La meilleure solution serait d’offrir aux agriculteurs une prime lorsqu’ils maintiennent des niveaux d’ombre élevés et qu’ils conservent de grands arbres anciens, par exemple par le biais d’un programme de certification », a-t-il déclaré.
Reste à savoir quelles espèces d’arbres favorisent une plus grande abondance de chauves-souris. Un autre objectif des recherches en cours est d’identifier les arbres « fondamentaux » qui favorisent une plus grande diversité de chauves-souris dans les exploitations agricoles. Les chercheurs affirment que des études supplémentaires sont nécessaires, mais que le kapokier ou arbre à kapok (Ceiba pentandra var. guineensis) ainsi que le djansang (Ricinodendron heudelotii) pourraient jouer un rôle important pour les chauves-souris.
« Lors de prochaines études, nous voulons nous pencher sur tous ces arbres qui font de l’ombre et qui sont associés aux différentes espèces de chauves-souris », a déclaré Ferreira. D’autres recherches menées par le même groupe visent à déterminer quelles espèces d’oiseaux et de chauves-souris consomment le plus de ravageurs du cacao. Pour ce faire, ils analysent l’ADN trouvé dans leurs excréments et l’associent à des insectes, a indiqué Powell.
Ils espèrent qu’en associant leurs récentes découvertes sur l’ombrage à d’autres recherches, il sera possible d’optimiser les exploitations agricoles avec des arbres indigènes qui fournissent de l’ombre, mais également des foyers pour les espèces de chauves-souris et d’oiseaux qui, à leur tour, sont les consommateurs les plus efficaces des ravageurs du cacao.
« Si vous savez, par exemple, que le rouge-gorge forestier mange des tonnes de poux du cacaoyer, principal ravageur du cacao, vous pouvez alors en déduire qu’il a besoin d’espèces d’arbres X, Y ou Z pour construire son nid », a déclaré Powell. « On obtient alors la pièce manquante du puzzle ».
Les chauves-souris dans les exploitations agricoles hors du Cameroun
Les chercheurs pensent que leurs conclusions pourraient s’appliquer à d’autres pays producteurs de cacao d’Afrique centrale et occidentale, tels que le Ghana et la Côte d’Ivoire. Ces deux pays produisent la majeure partie du cacao mondial, au prix de vastes étendues de forêts déboisées qui continuent de s’étendre dans certaines régions. L’agroforesterie est considérée comme une approche clé pour ralentir la déforestation liée au cacao, voire inverser la tendance.
« Au Cameroun, il y a encore beaucoup d’exploitations très ombragées, mais si vous allez au Ghana ou en Côte d’Ivoire, vous verrez qu’il y a plus de plantations de cacao peu ombragées », a expliqué Ferreira. « Les mêmes critères pourraient être appliqués, mais nous devons laisser la forêt se régénérer dans ces exploitations ».
En ce qui concerne la conservation des chauves-souris au sens large, Evans Ewald Nkrumah, chercheur à l’université des sciences et technologies Kwame-Nkrumah (Ghana), qui n’a pas participé à l’étude, a déclaré que l’agroforesterie du cacao pourrait être bénéfique. Il a cependant ajouté que des facteurs autres que les niveaux d’ombre et le type d’arbres peuvent être tout aussi importants pour la biodiversité dans les exploitations agricoles.
« Certaines plantations de cacao ombragées peuvent être dépourvues de végétation de sous-étage, mais bénéficier d’une couverture importante de litière feuillue. Dans ce cas, certaines espèces sont susceptibles d’utiliser ces exploitations comme route d’accès à des parties plus riches du paysage ». Il a également indiqué que l’accès à la nourriture ou aux nichoirs et la proximité d’une forêt primaire naturelle sont d’autres facteurs qui influencent l’aptitude d’une plantation de cacao à servir d’habitat à la faune.
Les facteurs sociaux peuvent également jouer un rôle dans la préservation ou la suppression de la biodiversité des chauves-souris : « Si les agriculteurs pensent que les chauves-souris sont des parasites, par exemple, ils éradiqueront leur nichoir ou, dans un cas extrême, les persécuteront car elles seront perçues comme des menaces », écrit Nkrumah. Ces perceptions négatives constituent une menace pour les espèces de chauves-souris dans le monde entier. Ces facteurs environnementaux et sociaux pourraient finalement influencer l’abondance de l’espèce dans les plantations de cacao dans d’autres régions également.
Références:
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Blaser, W. J., Oppong, J., Hart, S. P., Landolt, J., Yeboah, E., & Six, J. (2018). Climate-smart sustainable agriculture in low-to-intermediate shade agroforests. Nature Sustainability, 1(5), 234-239. doi:10.1038/s41893-018-0062-8
Ferreira, D. F., Jarrett, C., Wandji, A. C., Atagana, P. J., Rebelo, H., Maas, B., & Powell, L. L. (2023). Birds and bats enhance yields in Afrotropical cacao agroforests only under high tree-level shade cover. Agriculture, Ecosystems & Environment, 345, 108325. doi:10.1016/j.agee.2022.108325
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2023/08/study-tall-trees-and-shade-boost-bat-diversity-on-africas-cocoa-farms/