- Dans les communes camerounaises, le déversement de la matière fécale, des eaux usées et des déchets ménagers se fait en plein air, en l’absence de systèmes d’épuration modernes.
- Une commune de Douala héberge depuis plus de 30 ans le plus grand site de déjections de la capitale économique camerounaise, où sont déversées en moyenne 123 millions de litres de boues de vidange chaque année en amont de la mangrove de Douala-Bonabéri, une aire protégée et menacée de disparition.
- Ces importantes quantités de déchets difficiles à évaluer à l’échelle nationale, contiennent une forte teneur en phosphate et en nitrate, qui favorisent l’eutrophisation des bassins versants et constituent des risques certains pour la biodiversité et les communautés.
- Les actions initiées par les organisations de défense de l’environnement en faveur de la préservation des mangroves n’empêchent pas pour autant leur inquiétante disparition du fait d’intenses activités anthropiques.
DOUALA, Cameroun – En plein cœur de Douala la capitale économique camerounaise, l’on assiste quotidiennement à un ballet de camions citernes spécialisés dans l’assainissement, qui déversent des déchets humains au lieu-dit « Bois des Singes ». Depuis 30 ans, la localité héberge le principal site de déjections de la ville la plus peuplée du pays, avec une population estimée à près de 4 millions d’habitants.
Ces déjections sont rejetées en amont de la mangrove de Douala-Bonabéri, une aire protégée de près de 7 500 hectares constituée au début des années 2000, qui se meurt au fil du temps, en partie à cause de l’extrême pollution du milieu occasionnée par cette activité.
Chaque année, en moyenne 123 millions de litres de boues de vidange sont déversées à cet endroit, selon une évaluation faite en 2019 par le docteur Yves Promesse-ssie, écologiste-environnementaliste, dans le cadre de ses travaux de recherche en thèse de doctorat à l’université de Douala.
« Ces boues apportent une très grande quantité de polluants métalliques dans le milieu, notamment le fer, le plomb, et le cadmium que j’ai étudié sur le site. Ces polluants génèrent également le phosphate et le nitrate qui font proliférer certaines plantes herbacées telles que la jacinthe d’eau [Eichhornia crassipes], qui vont envahir le milieu et finir par le faire disparaître par un phénomène appelé eutrophisation », explique-t-il.
Cette matière fécale retombe en aval dans le fleuve Wouri, considéré comme le troisième fleuve le plus pollué d’Afrique avec trois millions de kilogrammes d’ordures déversés chaque année dans l’océan Atlantique.
Le dépotage des déjections a accéléré ces dernières années l’eutrophisation de la mangrove du « Bois des singes », déjà sujette à une dégradation accrue en raison de fortes pressions anthropiques qu’elle subit. Elle est quotidiennement dépouillée de ses ressources naturelles, en l’occurrence la Rhizophora, le principal arbre caractéristique des mangroves camerounaises, coupée par les populations pour du combustible. Les poissons et les crustacés qui se servent du milieu comme habitat de reproduction disparaissent également au fil des années.
L’une des portions de la mangrove qui donne au fleuve Wouri est depuis février dernier, l’objet de convoitise de la part d’un opérateur privé, pour un projet d’aménagement d’une cité balnéaire. Ceci contribue ainsi à la dégradation de cette zone tampon entre l’océan et le continent, réputée être une excellente arme de lutte contre le réchauffement climatique, à travers la séquestration du carbone et la régulation à la fois du micro et du macroclimat, d’après une analyse du Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR).
D’après le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (UNEP), la superficie totale des mangroves au Cameroun est passée de 272 000 hectares en 1980 à presque 195 000 hectares en 2005, soit une perte d’environ 30% en 25 ans. Des données qui ont évolué avec le temps. Les mangroves camerounaises sont en danger permanent, avec un rythme de disparition annuel estimé désormais à 1%. La zone de mangrove autour de Douala qui compte également celle du « Bois des singes » est la plus décimée, avec un taux de destruction de l’ordre de 6,2 % par an selon les chiffres officiels du gouvernement.
Le casse-tête de la gestion des déchets humains
Au Cameroun, la gestion des déchets en général demeure un véritable casse-tête pour les autorités étatiques. Ceci est principalement dû au manque de moyens financiers, mais surtout aux lenteurs gouvernementales dans la mise en œuvre effective de la décentralisation consacrée par une loi votée par le parlement en 2019, censée favoriser l’émancipation des collectivités territoriales décentralisées.
Les quantités de déchets rejetées par le pays restent difficiles à quantifier, faute d’une bonne structuration de ce secteur. Un rapport de l’ONU publié en 2017 révélait que 80 % des rejets humains sur la planète qui sont déversés dans l’environnement n’avaient pas été traités au préalable, et les eaux sont généralement les réceptacles de ces déchets qui les enrichissent en polluants divers. Ce type de déchet est généralement perçu comme un problème qui touche surtout les pays en développement. Néanmoins, les pays développés sont tout aussi responsables, notamment à cause des réseaux d’égouts municipaux désuets.
Une récente étude a montré que chaque année, les déversements d’eaux usées ajoutent environ 6,2 millions de tonnes d’azote aux eaux côtières dans le monde, participant grandement à la prolifération d’algues nuisibles, au phénomène d’eutrophisation et à l’apparition de zones mortes dans les océans. Les produits pharmaceutiques et les microplastiques se retrouvent également dans les selles et l’urine déchargés dans l’eau.
Dans la ville de Douala, les boues déversées ruissellent entre les maisons d’habitations construites anarchiquement, et les polluants qui y sont contenus constituent de véritables menaces de santé publique. Des analyses bactériologiques d’échantillons de boues prélevées sur le site du « Bois des singes » ont montré par le passé la présence des coliformes fécaux, avec des concentrations supérieures aux normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
En 2020, l’organisme onusien estime que 494 millions de personnes pratiquent encore la défécation en plein air, et que la contamination de l’eau, qui provoque des maladies telles que le choléra, la dysenterie et la diarrhée, coûte la vie à plus de 485 000 personnes par an.
Au Cameroun, la gestion des déchets humains incombe aux collectivités territoriales. Ils sont collectés et déversés en plein air dans des no man’s land, faute de systèmes modernes d’épuration. Le pays ne compte actuellement que deux stations de traitement des boues de vidange. L’une dans la commune de Bangangté à l’ouest du pays, et la récente mise en service en 2021 à Yaoundé, avec l’aide des partenaires financiers étrangers.
À Douala où la cité est également confrontée à de nombreux défis climatiques, telles que les inondations, la Communauté urbaine, l’instance locale en charge du développement de la ville, a élaboré depuis 2006 un schéma directeur d’assainissement des eaux usées et pluviales, qui prévoyait la construction des stations d’épuration modernes.
Mais cette planification est restée en hibernation depuis lors, faute de financements, renseigne le docteur Joseph Magloire Olinga, sous-directeur des études et de la protection de l’environnement à la Communauté urbaine de Douala (CUD) : « la ville n’a pas eu les moyens de le faire à cette période-là. Ce n’est que maintenant qu’on a actualisé ce schéma directeur, et qu’on envisage la construction de nouvelles stations de traitement des boues de vidanges modernes ».
Ces installations devraient permettre une meilleure valorisation de la matière fécale en vue de promouvoir l’économie circulaire et l’image des villes camerounaises écoresponsables. Seulement, avec les stations déjà existantes, le processus ne se fait pas de façon optimale, au regret du professeur Émile Temgoua, environnementaliste et enseignant à l’université de Dschang :
« La station de Yaoundé par exemple a été prévue pour sécher les boues. Mais ces boues sont encore stockées dans un hangar et ne sont pas traitées. Nous menons en ce moment des travaux de recherche pour proposer des circuits de valorisation de ces boues. Il existe près de dix-sept procédés de valorisation des bio-déchets. Pour une population tournée vers l’agriculture comme celle de Bangangté, la solution envisageable c’est le compost. Mais à Yaoundé, on peut plutôt imaginer des alternatives de biogaz pour la fabrication de l’énergie verte ».
À Douala, de nombreuses actions sont menées par des organisations de défense de l’environnement et les collectivités territoriales en vue de la préservation des écosystèmes des mangroves au Cameroun. L’association française Planète Urgence a lancé en 2022 un projet d’envergure dénommé Cameroon mangrove ecosystem restauration and resilience (CAMERR), avec la contribution de trois ONG locales, qui vise la restauration et la gestion durable de près de 1000 hectares de mangrove dans l’estuaire du Cameroun et l’estuaire du Ntem.
Image de bannière : Des matières plastiques jetées à la surface des eaux de la mangrove par les populations riveraines. Image de Yannick Kenné.