- Autour de la forêt du parc national d’Ankarafantsika, dans le nord-ouest de Madagascar, les rizières des villageois s’ensablent. Pour survivre, ils sont obligés d’exploiter illicitement le bois et font pression sur la forêt.
- Pour ne plus dépendre de la forêt, un petit groupe plante du bambou, une plante multifonctionnelle, avec l’association Valiha Diffusion, pour faire du charbon et restaurer les bassins versants.
- Bien que les bambous exotiques soient efficaces pour le charbon et les bassins versants, les scientifiques s’inquiètent de leurs impacts écologiques.
ANTANANARIVO, Madagascar — La forêt primaire d’Ankarafantsika, dans la région Boeny au nord-ouest de Madagascar, est dangereusement fragilisée par l’exploitation illicite du bois, alimentée par un cercle vicieux entre l’ensablement des rizières et l’appauvrissement des communautés.
Pour protéger la forêt, quelques-unes ont uni leurs forces pour planter du bambou et en faire du charbon à la place des arbres, tout en entretenant les bassins versants.
La région Boeny abrite à la fois le deuxième « grenier à riz » de Madagascar et le parc national d’Ankarafantsika. La riziculture étant la principale source de revenus des communautés, l’ensablement des rizières les impacte considérablement. Pour survivre, elles n’ont d’autres choix que d’exploiter illicitement la forêt pour faire du charbon et gagner un peu d’argent. Or, à mesure que la forêt s’amenuise, les plaines alluviales et le fleuve Betsiboka qui les alimente, s’ensablent.
« Malheureusement, ce sont ces mêmes communautés qui entourent le parc qui détruisent la forêt. Leurs rizières s’étant ensablées, elles se tournent vers d’autres activités », indique Jean-Yves Razafindrakoto, directeur de l’association Valiha Diffusion.
Entre 2000 et 2021, la région Boeny a perdu 117 000 hectares de couverture arborée, selon Global Forest Watch. Selon Razafindrakoto, la forêt primaire d’Ankarafantsika, l’un des ‘hots spots’ de biodiversité de la région, aurait subi des pertes à hauteur de 70%.
Le parc national d’Ankarafantsika est l’un des derniers refuges d’espèces figurant parmi les plus rares au monde, tels que le pygargue de Madagascar (Haliaeetus vociferoides) et le lémurien mongoz (Eulemur mongoz), tous deux endémiques à l’île et en danger critique d’extinction selon l’UICN.
À l’aide de Valiha Diffusion, les communautés locales autour d’Ankaranfantsika tentent de protéger la forêt en plantant du bambou exotique provenant d’Asie, en tant qu’alternative pour le bois.
Lors de la première plantation en décembre 2022, 8500 pots de bambous ont été mis en terre sur une totalité de 21 hectares. Les plantations sont réparties dans quatre communes différentes aux environs du parc et une centaine de villageois bénéficient directement du projet.
La vente de charbon de bambou a permis de réduire la pression sur la forêt, selon les villageois.
L’un d’eux, Joël Ramanangasoavina, raconte : « si avant beaucoup d’entre nous ne mangeaient que du manioc à chaque repas, aujourd’hui on peut avoir du riz ou du maïs, tout en assurant l’écolage des enfants. » En prime, le cinquantenaire possède deux pépinières chez lesquelles l’association se fournit et est aujourd’hui son point d’ancrage local.
En parallèle, cette reforestation à base de bambou vise à maintenir les berges du fleuve Betsiboka et les bassins versants, pour réduire l’ensablement des rizières. Le projet tente également de préserver les ressources en eaux, dont le contrôle dépendait uniquement de la forêt d’Ankarafantsika.
D’un autre côté, Quentin Lukacs, le cofondateur de Valiha diffusion, met en avant la capacité du bambou à restaurer des écosystèmes dégradés. Une affirmation qui suscite le scepticisme de certains scientifiques. Néanmoins, « les temps changent, il faut s’adapter », dit-il.
Du charbon qui rapporte gros
Créé en 2021, Valiha Diffusion a un rôle d’encadreur technique et les communautés se chargent elles-mêmes des plantations, des cueillettes, de la fabrication et de la vente de charbon. En échange, l’association se reverse 5% des ventes. Le suivi est également assuré par des organisations communautaires, avec une observation périodique de la part de l’association.
Le choix du bambou se base sur les demandes des communautés, qui ont en vu les avantages avec les projets de reforestation précédemment installés dans la région. En plus de pousser rapidement et de réduire l’érosion, « on peut faire beaucoup de choses avec le bambou : du charbon, des outils, des meubles et on peut même faire de l’achard vinaigrette avec les pousses », dit Ramanangasoavina.
Un hectare de bambous peut rapporter jusqu’à 1000 sacs de charbon par an, valant 35 000 Ariary ($7.76) le sac. En comparaison, le charbon conventionnel vaut un prix équivalent, pour environ 25 kg par sac. En plus d’être plus efficace et moins salissant en combustion, le charbon de bambou est plus rentable pour les producteurs. Cette rentabilité a été observée avec les bénéficiaires d’anciens projets de plantation de bambou.
Une plantation avec des risques écologiques
Avec Valiha Diffusion, les bambous sont plantés au niveau de parcelles paysannes, selon un contrat convenu avec le paysan, l’engageant d’y planter uniquement du bambou. Les autres zones de plantations sont d’anciens lieux où il y avait des forêts et des terres appartenant à l’État. Pour l’heure, les villageois n’ont signalé aucun problème particulier, même si une étude du centre de recherche forestière internationale (CIFOR) indique que la sécurité foncière liée aux projets de reforestation est parfois source de conflits dans la région Boeny.
De plus, les villageois plantent 3 espèces exotiques de bambou : le Bambusa bambos, le B. vulgaris et le Dendralamus Giganteus.
D’après Sylvie Andriambololonera, chercheuse au Missouri botanical garden à Madagascar (Mobot), ces espèces sont particulièrement efficaces pour la préservation des bassins versants et ont un assez bon potentiel en termes de séquestration de carbone, avec 94 à 392 tonnes par hectare selon une recherche de l’organisation internationale pour le bambou et le rotin (INBAR).
Par contre, elle met en garde pour leur capacité d’invasion, surtout pour le B. vulgaris. Bien que les trois espèces ne soient pas scientifiquement considérées comme étant envahissantes, leur capacité à accaparer rapidement beaucoup d’espaces inquiète les scientifiques.
« Il faut que ça soit éloigné des activités agricoles sinon les rizières seront très vite submergées », dit-elle. Elle estime également que les plantations peuvent envahir la forêt, sans distance minimale d’au moins un kilomètre.
Les paysans d’Ankarafantsika assurent pouvoir pallier le risque, en plantant les buissons avec 5 mètres d’écart et en entourant les plantations d’un canal de 80 centimètres de profondeur, une fois les bambous arrivés à l’âge adulte (en 3 à 4 ans). De cette manière, il n’y aurait pas de risques d’atteindre la forêt, par rapport à laquelle les plantations sont distantes d’au moins 1,5 kilomètre. Des pare-feu sont également plantés.
Naina Nicolas Rasolonjatovo, chef du département reforestation au centre Valbio, recommande d’espacer les buissons de 10 à 20 mètres, sinon le B. bambos formera de gigantesques amas denses et compacts.
« Il n’y aura même plus de quoi y mettre les pieds ! », dit-il. De plus, les bambous sont particulièrement prompts à attiser le feu, ce qui peut être problématique pour cette région fréquemment touchée par les feux de brousse. On y a signalé 15 731 alertes incendies lors de la dernière saison de feux de brousse (fin juin à début décembre 2022) selon Global Forest Watch et qui peuvent toucher des zones de reboisement.
En fin de compte, la reforestation à base de bambou procure un certain nombre d’avantages pour les communautés et pour ce que les scientifiques appellent une « reforestation orientée ».
« En revanche, si l’on veut parler de reforestation écologique, je ne suis pas convaincu», dit Rasolonjatovo.
Image de bannière : Des villageois plantant du bambou à quelques kilomètres du parc national d’Ankarafantsika. Image de Valiha Diffusion.
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