- Libreville, la capitale du Gabon, a perdu 3% de ses mangroves en 3 ans
- Cette perte est en grande partie due à une urbanisation incontrôlée
- Des scientifiques affirment que cette situation rend la ville vulnérable aux inondations et aux glissements de terrain
« Libreville a perdu près de 70 hectares de mangroves en 3 ans.» C’est la conclusion d’une étude menée par l’Agence gabonaise d’études et d’observations spatiales (AGEOS) en 2021. Lorsque Mongabay confronte le professeur Alfred Ngomanda, commissaire du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique du Gabon (CENAREST) à cette réalité, sa réponse est la suivante : « 70 hectares ce n’est pas grand-chose. La surface occupée par des mangroves au Gabon est beaucoup plus grande que ça. On a un taux de déforestation qui n’est même pas de 1%. C’est une portion assez négligeable par rapport à la superficie forestière du Gabon. »
Moins de 1% à l’échelle nationale certes, mais à l’échelle de Libreville, qui compte 1 883 hectares de mangroves, cela représente 3, 55%. Un chiffre qui ne semble pas mirobolant, pourtant le Dr Mounganga est inquiet. « Il y a plusieurs choses qui menacent la mangrove », explique le Dr Magloire Désiré Mounganga, chercheur et ancien coordonnateur scientifique à l’Agence des Parcs Nationaux du Gabon (ANPN). « Tout d’abord, il y a l’érosion, c’est-à-dire l’avancée de la mer à l’intérieur des terres. Lorsque je vais sur le terrain, je vois la pression qu’exerce l’urbanisation sur la mangrove qui se trouve dans la périphérie. C’est tout un écosystème qui est voué à être endommagé, sinon complètement détruit. »
La mangrove est un type de forêts qui pousse entre terre et mer, dans des zones tropicales et subtropicales. Elle est constituée en majorité de palétuviers, ces arbres aux racines en échasses entremêlées, capables de pousser sur un sol où il y a une forte concentration de sel. Cette forêt stocke plus de carbone qu’une forêt traditionnelle comme nous l’explique l’ONG Energy Observer qui est spécialisée dans la transition écologique. « Quand ces palétuviers meurent, leur dépouille n’est pas décomposée, mais enfouie dans la boue sous la surface de l’eau. Le carbone est piégé sous les sédiments anoxiques [dépourvus d’oxygène, ndlr] ce qui empêche son émission dans l’atmosphère. Il est estimé que les mangroves du monde entier stockent 34 millions de tonnes de carbone par an. »
Elles sont donc précieuses pour la planète. Sans compter que leurs racines servent de nurserie à diverses espèces marines, ce qui donne au Gabon une belle diversité de poissons et de crustacés dans ses eaux. Mais pas seulement. « La mangrove retient les eaux de pluies et les marées. En la détruisant, cela va étendre les zones inondables », prévient le Professeur Mounganga.
Au Gabon, un habitant sur trois vit à Libreville. La croissance démographique de cette ville est telle que les autorités n’arrivent pas à mettre en place des infrastructures urbaines de base suffisantes pour ses habitants. Ce qui comprend des systèmes d’évacuation des eaux usées adaptés. Dans son étude sur un diagnostic urbain de Libreville, l’African Development Bank Group constate que 80% des bâtiments sont construits dans les bas-fonds et ils sont particulièrement vulnérables aux glissements de terrains. 41% de la surface bâtie est exposée aux inondations. La destruction continue de la mangrove pourrait donc avoir des conséquences désastreuses pour les Gabonais. On le voit déjà. En octobre 2022, le pays a connu de grosses inondations et plusieurs glissements de terrain, dont un qui a causé la mort de sept personnes. Les mêmes événements avaient frappé la ville en octobre 2019, pendant la saison des pluies.
Selon un article paru dans VertigO, la revue électronique des sciences de l’environnement, un des grands responsables de la destruction de la mangrove à Libreville est l’urbanisation. Franck Ndjimbi, consultant en gouvernance forestière et environnementale plussoie. « Les gens assèchent des mangroves et coupent des arbres pour pouvoir construire parce qu’il n’y a pas de schéma d’aménagement du territoire. Il n’y a pas la moindre planification de l’espace. »
L’article paru dans VertigO montre à travers une série de cartes que « Dès 2007, certains secteurs de mangrove étaient menacés par des propriétaires résidentiels qui coupaient les arbres, dans le but d’avoir un accès sur la rivière ou d’étendre leur propriété ». L’autre menace viendrait des pêcheurs qui seraient à l’origine de 23% de la destruction de la mangrove.
Pourtant, il existe des lois comme le plan d’occupation des sols qui régulent l’accès à la terre au Gabon, ainsi que plusieurs lois qui protègent la mangrove de la destruction. Mais pour Franck Ndjimbi, leur application est insuffisante. « L’État a failli. Le pays est gangréné par la corruption. Le plan d’occupation des sols n’existe que de nom. Il en est de même pour le plan national d’affectation des terres que le gouvernement utilise comme mantra. Il y a même des titres de propriété qui sont donnés sur des mangroves. Les gens s’installent de manière anarchique et comme c’est la loi du plus fort, on repousse les plus pauvres vers les zones insalubres et ils vont dans les mangroves. »
En effet, selon l’indice de perception de la corruption 2022 de l’ONG Transparency International, le Gabon fait partie des pays les plus corrompus du monde. 35% d’usagers des services publics affirment même avoir déjà payé un pot-de-vin au cours des 12 derniers mois.
Sur le terrain, des associations se mobilisent. A Mindoubé, dans un quartier sud de Libreville, Guilann Ibinga enfile ses bottes en caoutchouc. Il se prépare à aller dans la mangrove de la Lowé, où la déforestation est la plus intense, pour la reboiser. «On plante de la mangrove grâce à leurs fruits qu’on récolte directement de l’arbre, les propagules. Ensuite on les plante dans l’eau. » Pour accéder à sa zone d’opérations, il traverse ce qui semble être un terrain de football dont le sol est meublé et passe à côté de plusieurs maisons sur pilotis. Il atteint finalement une eau peu profonde d’où jaillissent de grands arbres aux racines apparentes et entremêlées. Ibinga est le directeur d’une ONG appelée les « Amis de la Lowé. » Cette ONG s’est donnée pour mission de sensibiliser la jeunesse gabonaise sur la nécessité de conserver la mangrove.
Lorsqu’Ibinga s’est installé dans le quartier en 2018, le quartier avait un tout autre visage. « Il y avait un village de pêcheurs ici composé d’environ 1 000 personnes. Là-bas, il y avait une scierie », se souvient-il. Tout avait été construit sans autorisation, la mangrove avait été défrichée. « La mairie les a délogés, mais depuis, nous sommes seuls sur le terrain pour veiller à ce que les pêcheurs ne reviennent pas. »
Les pêcheurs coupent les mangroves pour ériger leurs habitations sur pilotis et pour le fumage de poissons. Les difficultés de conservation contraignent les communautés de pêcheurs à fumer leurs captures, ce qui a un fort impact sur la mangrove. Ibinga dit regretter de ne pas recevoir plus de soutien de la part de l’État. « Il y a des pays moins nantis que le Gabon qui soutiennent leur société civile. Mais ici, les politiques ne s’intéressent qu’aux éléphants qui détruisent les plantations. Pourquoi ne pas soutenir les ONG qui sont sur le terrain ? Notre présence fait que les gens ne détruisent pas, mais c’est grâce à nos cotisations que nous existons, nous ne recevons pas d’argent de l’État », s’exclame-t-il, un peu amer.
Un manque d’implication ressenti aussi par la communauté scientifique. « En 2016-17, le ministère chargé de la gestion du domaine public a été mis en place. Nous avions fait une proposition pour légiférer afin d’interdire toute exploitation de la mangrove ne tenant pas en compte l’impact sur l’environnement et la société », se souvient le Dr Magloire Désiré Mounganga. « Mais dès que ce ministère a été dissous, le dossier est tombé dans l’oubli. Et depuis, il n’y a pas eu de nouvelles initiatives. »
En mars 2023, s’est tenu le One Forest Summit au Gabon. Dans un souci de préservation de l’environnement, les États présents, dont la France et la République de Centrafrique, ont ratifié le plan de Libreville. Ce document dit qu’il faut protéger les mangroves. Mais il ne comprend aucune directive, contrainte ou obligation.
Banner image: Maison sur pilotis construite illégalement dans la mangrove de la Lowé à Libreville, Gabon. Selon différentes études, ce type d’habitation contribue à la destruction de la mangrove. Image d’ Élodie Toto / Mongabay
Citation:
Okanga-Guay, M., Guylia, R. L., Emmanuel, O. A., Aline, L. B., Igor, A. A., & Jean-Bernard, M. (2022). Les moteurs de la déforestation des mangroves urbaines du Grand Libreville (Gabon). VertigO, 22(1). doi:10.4000/vertigo.35668