- Dans la province du Sud-Kivu à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) des opérations de traque contre les trafiquants d’ivoire ont abouti à la saisie d’une importante quantité d’ivoires probablement venus du parc de Kahuzi-Biega. L’ONG ConservCongo, le parquet général de l’ICCN et la police congolaise ont mené ensemble cette opération.
- La société civile environnementale congolaise est fortement préoccupée par la recrudescence des massacres d’éléphants dans le parc de Kahuzi-Biega considéré jadis comme le bastion des pachydermes dans cette partie du pays.
- Plusieurs enquêteurs montrent que Bukavu, le chef-lieu de la province du Sud-Kivu, n’est pas un marché d’écoulement d’ivoire, plutôt un lieu de transit où s’installent des contrebandes qui interagissent avec d’autres réseaux criminels d’éléphants se trouvant à Kinshasa et dans la sous-région.
- La corruption et le retard dans la mise en application des mesures contre le braconnage sont les principales causes de cette recrudescence. Ainsi, les défenseurs de l’environnement plaident pour un procès public contre ces trafiquants arrêtés, qui servirait d’exemples à d’autres.
L’année 2022 a été marquée à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) par la recrudescence des combats entre des groupes armés et les soldats du Gouvernement. Les trafiquants, selon les organisations de la société civile, auraient profité de cette insécurité pour, à leur tour, menacer les animaux.
Depuis le début de l’année dernière, la société civile œuvrant dans le domaine de l’environnement, les autorités provinciales du Sud-Kivu et les corps de sécurité ont procédé à une rafle contre les trafiquants d’ivoire dans le but de couper court au trafic.
Tom Milliken, de TRAFFIC, indique que la corruption et l’absence de poursuites contre les trafiquants sont les grandes causes de la recrudescence des attaques contre les animaux.
« Le danger qui pèse lourd sur les éléphants en tant qu’espèce menacée sont les réseaux criminels organisés qui profitent de la crise du braconnage des éléphants. Ils (…) opèrent avec une relative impunité et craignent peu les poursuites » estime Tom Milliken.
Depuis le début de l’année dernière, la synergie de ces parties prenantes du Sud-Kivu a effectué des opérations de grande envergure à Bukavu dans l’objectif de démanteler des réseaux de trafiquants d’ivoires.
Au moins 20 éléphants seraient tués
Au cours d’une opération vers la fin de l’année 2022, au moins 746 kg d’ivoires ont été saisis et neuf trafiquants arrêtés dont une femme.
Selon des informations des organisations de la société civile congolaises et de la police, deux criminels fauniques les plus recherchés de la région se sont retrouvés aussi dans le filet de la police congolaise.
Josué Aruna, un activiste du Sud-Kivu, a déclaré que deux congolais qui transportaient une cargaison contenant 484 kg d’ivoires à bord d’un véhicule ont été arrêtés à Uvira au cours de cette opération et ont été transférés directement devant les instances judiciaires.
Par ailleurs, des quantités importantes avaient été saisies auparavant dans un hôtel de la place qui servait comme dépôt de l’ivoire avant de les transférer vers des pays consommateurs.
Deo Kujirakwinja, le directeur du Parc national Kahuzi-Biega, a estimé qu’avec une telle cargaison, au moins 20 éléphants ont été tués dans ce parc où le braconnage reste la plus grande menace de la biodiversité selon les chercheurs.
Même des hommes de « Dieu » …
Des sources de la société civile et de la police regrettent l’implication des femmes et des hommes de Dieu dans la chaîne du braconnage et du commerce des défenses d’éléphants en République Démocratique du Congo (RDC).
En effet, parmi les arrestations opérées l’année passée, y figurent des femmes et un pasteur d’une église locale.
« Une autre opération avait eu lieu (…) et avait mis la main sur cinq trafiquants dont une femme en possession de 42 kg de défenses d’éléphants dans la même ville de Bukavu », raconte une source de la société civile.
Cette quantité s’ajoute à une autre de plus de 32 morceaux saisis en avril dernier aux mains des quatre trafiquants dont un pasteur d’une église située à Bukavu, non loin du parc Kahuzi-Biega.
Selon Elephants in Dust, qui suit de près le trafic illégal des éléphants, « les saisies massives d’ivoires (excédant 800 kg) à destination de l’Asie ont plus que doublé depuis 2009, atteignant un niveau record ces dernières années ».
Jeffrey Gettleman du News York Times a noté que « (…) l’ivoire semble être la dernière ressource du conflit en Afrique, arraché dans des zones de bataille reculées facilement monnayable et qui alimente aujourd’hui les conflits aux quatre coins du continent ».
Les éléphants de Kahuzi-Biega risquent de disparaître
Le site d’information du parc renseigne que les derniers troupeaux d’éléphants y ont été aperçus dans les années 1996, et depuis lors, ils ne les ont jamais aperçus de nouveau. Il y resterait quelques pachydermes difficiles à trouver visiblement cloîtrés à l’intérieur du parc.
De l’autre côté, Wildlife Conservation Society (WCS) signale la présence d’aucun éléphant alors qu’il comptait entre 3600 individus 1996 dans ce parc de 600.000 ha.
La chasse de subsistance omniprésente dans cette forêt et le braconnage des groupes armés qui sévissent à travers le paysage du parc ont également réduit le nombre d’éléphants, confirme l’activiste Sébastien Luhunu, qui ajoute que plus de 84% d’éléphants ont été tués ces dernières années.
Bukavu, un lieu de transit d’ivoire
Le Fond mondial pour la nature (WWF) dit que certains pays de la sous-région dont l’Ouganda et la ville de Kinshasa sont les principaux points de transit du trafic d’espèces animales menacées d’extinction, notamment les défenses d’éléphants.
Ils utilisent leurs méthodes de dissimilation des colis d’ivoires dans les bagages des marchandises personnels, estime lasource. Et ces derniers sont expédiés à Kinshasa ou à Kampala la capitale ougandaise par n’importe quels moyens de transport, confie le rapport de Traffic.com, vers certains pays asiatiques pour usage ornemental et tradi-médical.
Les défenseurs de l’environnement plaident pour un procès exemplaire
Les défenseurs de l’environnement regrettent l’impunité que bénéficient les destructeurs du parc Kahuzi-Biega.
« Assurer l’intégrité des poursuites et veiller à ce que des peines appropriées soient imposées et maintenues est un aspect essentiel mais souvent négligé par la communauté de la conservation lorsqu’elle se penche sur la criminalité liée aux espèces sauvages », a déclaré Matt Morley, directeur du programme de l’Itaw pour la criminalité liée aux espèces sauvages dans un communiqué.
« Donc d’ici cinq ans, le Parc national de Kahuzi-Biega va disparaître et les gorilles des plaines de l’Est (gorilla beringei graoueri) que nous avons dans la partie des hautes altitudes vont disparaître comme nous avons perdu les éléphants », regrette Josué Aruna, l’activiste basé à Bukavu.
Il interpelle en effet les gouvernements provincial et national et la communauté internationale à agir avant qu’il ne soit tard.
Dans les perspectives d’avenir, un collectif d’ONG en collaboration avec le procureur de la république près le tribunal de grande instance de Bukavu préconise l’ouverture d’un dossier judiciaire à charge des auteurs présumés du braconnage.
Ils demandent en plus aux communautés riveraines de ce site inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, y compris les peuples autochtones (Pygmées), de rompre avec le silence pour dénoncer tout braconnage ou trafic des espèces protégées quel que soit leurs auteurs.
Pour renverser la tendance sur la criminalité faunique et le commerce d’ivoire d’éléphants du parc de Kahuzi-Biega, les autorités prévoient l’interconnexion du parc avec d’autres services spécialisés. Elles envisagent aussi le renforcement de ces services en ressources humaines qualifiées et dotées d’une logistique appropriée, comme partout ailleurs dans les autres parcs.