- En RDC, un boom du cacao est observé à cause de l’accaparation incontrôlée de nouvelles terres et l’apparition d’une nouvelle espèce hybride, « le cacao du soleil », qui a contribué à une grande partie des pertes des forêts primaires dans le pays.
- Original beans, une entreprise gastronomique, à travers l’ONG IDAD, propose de solutionner le problème de déforestation liée au chocolat en plantant du cacao bio grâce à l’agroforesterie dans la zone tampon du parc national de Virunga en RDC.
- Cependant, les experts du CIFOR-ICRAF et du Earthworm foundation Côte d’Ivoire estiment que leur système n’est pas encore idéal due à l’utilisation d’arbres envahissantes et trop de cacaos plantés par hectare.
- Les problèmes de conflits et d’insécurité restent un grand défi pour les planteurs de cacao dans la région.
La plantation du cacao en Afrique pour produire l’une des gourmandises préférées au monde a connu une croissance considérable, où des milliers d’hectares de forêts ont été remplacées par des champs de cacao. La Côte d’Ivoire, le premier producteur mondial de cacao pour le chocolat aurait perdu près de 94% de ses forêts pour en planter, d’après le Mighty Earth Organisation. La pratique s’étend aujourd’hui en République démocratique du Congo (RDC), qui court le risque de perdre également ses forêts primaires à cause du boom du cacao.
Une entreprise gastronomique, Original beans, à travers son ONG Iniative de Développement pour l’Agroforesterie Durable (IDAD), propose une solution depuis 2011, pour tenter de protéger la mosaïque d’écosystèmes de forêts tropicales d’altitude, de plaines humides et de savanes, aux alentours du parc reconnu des Virunga. Elle tente de planter du cacao bio par le biais d’un système d’agroforesterie, où la plantation intègre la conservation des arbres, pour sauver la forêt en fournissant des revenus aux populations riveraines du parc.
Le chocolat d’Original beans, « Femmes de Virunga », est utilisé par des chefs de renommée mondiale comme Alain Ducasse, et des restaurants étoilés comme le Core By Clare Smyth, auparavant tenu par Gordon Ramsay. Bien que l’entreprise plante des arbres exotiques dans la zone tampon du parc des Virunga et ne suit pas toutes les recommandations de durabilité d’experts en agroforesterie, elle pense avoir plus de marge de manœuvre pour prévenir la déforestation, grâce à l’émancipation économique des planteurs.
Un véritable danger subsiste pour les forêts non protégées autour du parc des Virunga, où des animaux en danger d’extinction (selon l’UICN) comme le pangolin géant (Smutsia gigantea) ont déserté les lieux.
La perte de forêts dans le pays a été intense ces cinq dernières années. En 2021, la RDC a perdu près de 500 000 ha de forêts primaires, dont seule une infime partie est due aux incendies, et le reste à l’agriculture à petite échelle et au bois énergie, selon Global Forest Watch. Une étude récente publiée dans la revue Science Advances, indique que des quantités importantes de cacao entrent dans les chaînes d’approvisionnement par le biais d’approvisionnements indirects, qui accompagnent un risque de déforestation plus élevé et non identifié.
« Même si le cacao en RDC est encore minime, il existe tout à fait un risque qu’il devienne comme la Côte d’Ivoire », dit Etelle Higonnet ancien directeur de campagne au Mighty Earth Organisation. Ce risque serait d’autant plus important dans la mesure où des déplacés de l’insécurité de l’est du pays, et également ceux des pays voisins s’accaparent de nouvelles terres (du Nord) et choisissent pour la plupart des forêts vierges.
Aujourd’hui, le Congo produit environ 25 000 tonnes de cacao, tandis que la Côte d’Ivoire jusqu’à deux millions.
En Côte d’Ivoire, une nouvelle espèce hybride de cacao surnommée « cacao Mercedes » ou « cacao du soleil » a été créée pour améliorer le rendement des paysans. L’hybride a été vulgarisé un peu partout en Afrique, et notamment en RDC. Il s’agit d’une espèce modifiée appréciant l’ensoleillement et donnant des fruits beaucoup plus vite que le cacao conventionnel comme les variétés criollo et trinitario.
Cette nouvelle espèce a convaincu des millions d’agriculteurs, et aurait conduit à un boom selon Gérome Tokpa, expert agroforestier au Earthworm foundation en Côte d’Ivoire, une ONG spécialisée dans la chaîne d’approvisionnement agricole durable.
« Actuellement, beaucoup de paysans font du cacao parce qu’il y a de plus en plus d’acheteurs qui vont de villages en villages », confirme Gaston Limba, doctorant en sciences agronomiques à l’Université de Kisangani, et chef de programme sur les cacaoyers. « Chaque jour il y a une plantation qui se crée », ajoute-t-il.
Chocolat de luxe, chocolat durable ?
Le modèle d’Original beans repose sur l’importation et la transformation du cacao en chocolat rare, équitable et certifié biologique. Ici, le chocolat ne fait plus partie de la production de masse bon marché liée à des chaînes d’approvisionnement non durables et opaques, mais devient plutôt une gourmandise luxueuse produite dans des conditions contrôlées.
La chocolaterie de luxe a probablement un rôle prépondérant à jouer dans une chaîne d’approvisionnement éthique et durable, car elle aurait plus de marge de manœuvre, explique Etelle Higonnet. Le chocolat en lui-même est un luxe dans la mesure où ce n’est pas une denrée alimentaire vitale.
L’ONG IDAD a été créé en RDC pour travailler le côté durable et équitable du produit, en utilisant une petite partie (entre 30 000 et 60 000 euros par an) des bénéfices des ventes de chocolat pour financer ses activités. Mongabay n’a pas reçu de précision sur la répartition entre les paysans. Par contre, après que le cacao est livré à l’ESCO pour le certifier et exporter pour Original beans, l’entreprise achète les fèves au double du prix Fairtrade, une association internationale de commerce équitable.
Selon Masika Mukonzo, 40 ans, et planteuse de cacao avec l’IDAD, du petit village de Kiniambaore de la chaîne montagneuse du Ruwenzori, avant le cacao, les revenus de sa famille peinaient à plafonner à $20 par saison agricole, tandis qu’aujourd’hui les recettes atteignent $100. Une agricultrice produit 30 à 40 kg par saison de collecte. Dans le Nord du Congo, les revenus de la rente du cacao peuvent atteindre $1 000 dollars par an et par hectare, selon Limba.
« Grâce au cacao, je me suis réaffirmée dans mon foyer », dit Masika Mukonzo.
Aujourd’hui, l’IDAD opère dans 29 villages répartis dans les deux districts de Mabalako et Kalunguta, situés dans le nord-Kivu près du parc des Virunga, une zone d’accalmie relative au conflit Ougandais. L’ONG a privilégié les femmes pour planter le cacao car elles étaient comprises dans la partie la plus fragile de la communauté. Or, « les femmes sont à la base de toute stabilité dans une communauté, beaucoup plus que les hommes », dit Hilde De Beule, fondatrice de l’ONG.
Selon l’ONG, une approche axée à la fois sur le côté social et sur le côté économique permettrait d’aborder plus facilement la question de la conservation environnementale.
Pour convaincre les planteurs de revenir aux méthodes agroforestières, « il faut leur montrer que ça marche et ne pas se contenter de « prêcher la bonne parole », dit Tokpa.
Traditionnellement, l’agroforesterie aurait toujours été présente en Afrique mais les problèmes de boom de cacao viendraient en partie de l’apparition du cacao du soleil, un facteur qui a embrouillé les agriculteurs quant aux bonnes méthodes de culture à appliquer.
Pour planter du cacao, l’IDAD a établi un modèle d’agroforesterie où il y aurait 80% d’arbres d’ombrage (fruitiers et forestiers), pour 10% de cacao et le 10% restant pour des arbustes d’ombrages. L’ONG aurait également sélectionné près de 2 500 ha de zones défrichées pour du charbon ou des parcelles agricoles que les paysans ne cultivaient plus car devenues infertiles, et situées dans la zone tampon du parc.
Les résultats actuels de l’ONG totalisent près de 300 000 arbres plantés, avec près de 1 111 cacaoyers par hectare d’après Erick Racine, un technicien en développement rural de l’IDAD et Original Beans. Les consommateurs d’Original beans participent à la plantation des arbres selon un concept « one bar one tree » (une barre consommée, un arbre planté).
Il faut également garder à l’esprit qu’il s’agit d’un bon argument de vente. « Côté marketing, même si le bio’ est produit en très petite quantité, si c’est rare, c’est bien », indique Higonnet.
D’après les experts, un bon système agroforestier devrait respecter trois points principaux : la sécurité alimentaire du planteur, la diversification de ses revenus et la compatibilité avec l’écosystème local. « C’est rarement quelque chose de bien fait et souvent quelque chose de mal fait », dit Higonnet.
Pour respecter toutes les conditions, une plantation agroforestière doit comporter un minimum de 30% à 40% d’apport en ombre, et l’idéal serait de descendre en dessous de 1 000 cacaoyers par hectare – 111 fois moins de cacaoyers par hectare que ceux plantés par l’IDAD. En Côte d’Ivoire, les recommandations du CIFOR ICRAF est de 800 cacaoyers.
De plus, il ne faut surtout pas planter des arbres envahissants ou d’origine exotique ou antagonistes, pour respecter l’écosystème environnant. Il faudrait également installer deux à trois hauteurs de canopées, les oiseaux et les chauves-souris y étant très sensibles. Pour ce faire, il faut soit une méthode de plantation en strates, soit une alternance des périodes de plantation, des paramètres que l’IDAD n’a pas précisé.
Selon le rapport d’activité du projet, IDAD ne semble planter que des forestiers exotiques du genre Grevillea robusta et Senna siamea, qui sont connus comme invasifs dans le pays voisin (en Ouganda). Il y a même des Leucaena leucocephala, un arbuste originaire du Mexique et reconnu en tant qu’envahisseur agressif dans de nombreuses régions d’Afrique.
Les experts locaux semblent avoir choisi l’espèce en tant que légumineuse bénéfique pour les paysans, mais elle figure parmi les 100 espèces les plus envahissantes au monde selon l’UICN, et pourrait devenir une menace pour le fragile écosystème des Virunga. Lorsque Mongabay a demandé plus d’informations sur les espèces d’arbres plantés, l’organisation n’a pas répondu.
De plus, comme les plantations sont dans la zone tampon du parc, il pourrait arriver que les animaux, et surtout les précieux gorilles (les Virunga abritent parmi les derniers gorilles en liberté sur Terre), soient attirés par les fruits et pénètrent les champs.
D’après Masika, il arriverait souvent que des macaques viennent dans ses champs, mais « la gestion des animaux est de la responsabilité de l’ICCN », dit Racine.
L’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) qui gère le parc des Virunga, n’a pas donné suite à une demande d’audience.
L’insécurité, une très dure réalité
Depuis des décennies, le parc national des Virunga est déchiré entre la guerre et la pauvreté.
« Comme un voleur, je suis obligée de me cacher pour revenir dans mon propre champ », disait Mukonzo.
Ce serait la quatrième fois que le village de cette agricultrice se fait attaquer. Obligée de fuir à plus de 20 km de chez elle, elle reviendrait en cachette deux fois par semaine, pour cueillir quelques légumes à manger dans son champ et entretenir ses cacaoyers. En attendant une accalmie, elle travaille dans les champs de cacao d’autres planteurs pour subvenir aux besoins de sa famille.
Ces villageois fuyant la guerre se réfugieraient à Mabalako, qui ne subit pas les mêmes problèmes car bien contrôlé par les autorités locales en étant plus loin de la forêt des Virunga. L’IDAD ne ferait pas de différence pour sélectionner ses bénéficiaires, à condition d’être propriétaire foncier. Ceux qui n’ont en pas les moyens d’en acheter travaillent, comme Mukunzo, pour d’autres planteurs.
« Ils travaillent soit pour de l’argent, soit en échange d’un logement, de nourriture et de vêtements », explique Leoni Kahasa, 50 ans, qui est native de Mabalako et planteuse de cacao avec l’IDAD.
Les villageoises sont obligées d’attendre une accalmie pour récolter le cacao qu’elles livrent à l’ESCO.
« Mais j’ai bon espoir que comme le matin arrive tous les jours, un jour notre matin arrivera aussi … », dit avec espoir Mukunzo.
Image mise en avant : Plantation de bananes, de teck et de cacao à Yanonge – RDC. Photo par Axel Fassio/CIFOR-ICRAF via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
En savoir plus avec le podcast de Mongabay (en anglais) : Nous nous penchons sur la façon dont l’agroforesterie, une ancienne technologie autochtone de plus en plus adoptée par les agriculteurs du monde entier, peut aider à résoudre bon nombre des principaux problèmes environnementaux auxquels nous sommes confrontés, de la déforestation et de la perte de biodiversité aux changements climatiques. Écoutez ici (en anglais):
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