- Inspirés par les succès en matière de protection marine, des projets de contrôle de la pêche locale ont rapidement prospéré le long du littoral de Madagascar ces 15 dernières années.
- Aujourd'hui, cette croissance atteint presque des sommets, ce qui attire l'attention de donateurs internationaux en ce qui concerne la gestion de la pêche et de la conservation, y compris, l'injection de 70 millions de dollars prévue par la Banque Mondiale.
- Mais l'échelle du financement de la conservation marine soulève des inquiétudes dans les deux petites ONGs ayant déjà œuvré pour la pêche et préconisant la conservation terrestre, qui ont pointé du doigt les bilans inégaux des organisations de pêche locales contrôlées, dans le pays.
- Il s'agit du cinquième article de la série « La Conservation à Madagascar. »
BEHELOKE BAS, Madagascar – Chaque année, pendant quelques jours, les pêcheurs peuvent remonter le temps. Tous les trois mois, lorsque la saison du poulpe démarre dans une nouvelle zone du récif, un unique bateau transportant trois ou quatre plongeurs peut effectuer des prises allant jusqu’à 90 kg en quelques heures. Selon Jean François, un pêcheur surnommé Retsipa, cela rappellerait presque la belle époque.
Dans les années 1990, les grossistes travaillant avec COPEFRITO, l’entreprise de fruits de mer française et malgache, achetait régulièrement plus d’1,3 tonnes de poulpe à chaque passage dans le village. « Aujourd’hui, 180 kg pour tout le village, c’est déjà bien, » a déclaré Retsipa, qui fait office de trésorier au sein du Vezo Mitsinjo ny Ho Avy, ou « Vezo, Un Regard vers l’Avenir, » une association de pêcheurs dont le nom est inspiré d’une ethnie locale du Vezo.
« C’est la même chose pour les homards, les calamars et les poissons. Ce n’est plus comme avant. » Il secoue la tête. « Aujourd’hui, on doit choisir quel poisson manger – uniquement les petits, les poissons qu’on ne peut pas vendre… Avant, les Vezo ne mangeaient pas de ‘fiandolo’, » a déclaré Retsipa, en référence au petit poisson chat-rayé piquant (Plotosus lineatus), « Aujourd’hui, on le fait. »
Beheloke Bas est un village de quelques centaines d’habitants qui se tient sur une splendide baie turquoise, protégée par un récif abrupt, à une soixantaine de kilomètres au sud de la ville de Toliara, dans le sud-ouest aride de Madagascar. Les Vezo sont pêcheurs jusqu’au bout des ongles mais ils n’ont pas toujours vécu ici : Beheloke Bas servait de camp de pêche isolé jusque dans les années 80, quand les récifs les plus proches de la ville ont commencé à montrer des signes d’épuisement. Vingt ans plus tard, les Vezo ont remarqué le même problème ici.
Depuis 2008, Retsipa et d’autres membres de l’association ont vécu des interruptions saisonnières de la pêche au poulpe, intercalées de « zones de pêche interdite », où toute activité de pêche est interdite pendant trois mois d’affilée, pour permettre aux poulpes de se reproduire. Même si cette stratégie a encouragé le rendement de poulpes pendant les quelques jours suivants la réouverture du récif, Retsipa et ses collègues affirment que cela n’a rien changé au récif, dans son ensemble : les poissons sont de plus en plus petits et de plus en plus rares. L’association n’a pas encore réussi à sévir contre les fauteurs de trouble.
La stratégie saisonnière ou « de fermeture partielle » a été lancée en 2003, par l’ONG britannique Blue Ventures, avec les habitants du village d’Andavadoaka, à 210 kilomètres au nord. Leur partenariat a permis de créer les premières Zones Marines Gérées Localement à Madagascar, (LMMA), des zones dans lesquelles, les communautés locales contrôlent le cadre et les restrictions (matériel, taille des poissons…) concernant l’utilisation des ressources naturelles dans les zones désignées, à proximité de leurs foyers. Les résultats ont attiré l’attention du reste du monde : entre 2004 et 2011, une analyse de Blue Ventures publiée dans le journal PLOS ONE a démontré que les pêcheurs parvenaient à conserver un salaire stable en se reposant sur d’autres zones lors des périodes de fermeture, mais ils arrivaient à le doubler le mois suivant. La pêche au poulpe a été multipliée par sept dans les 30 jours suivants les fermetures saisonnières étudiées par le journal.
Le simple fait que cela soit possible est une preuve des merveilles de la biologie marine. Le poulpe diurne (Octopus cyanea), l’espèce la plus commercialisée dans le sud-ouest de Madagascar, connaît une croissance incroyable. Le « horita », son nom malgache, a augmenté au centuple en à peine un an, et il transforme ses proies en protéine avec une efficacité remarquable. 900 grammes de crevettes ou de crabes ingérés par le poulpe produisent plus de 450 grammes de chair de poulpe.
D’après Alasdair Harris, le fondateur de Blue Ventures, « Grâce à la vitesse de récupération des espèces de pêche, on peut remarquer un retour sur investissement dans la conservation bien plus rapide et plus visible, cela ne se produit jamais dans l’écosystème terrestre à Madagascar, ou ailleurs. »
En chassant un carnivore terrestre et ses principales proies jusqu’à l’extinction dans une zone forestière, il faut compter au moins six mois pour espérer une récupération conséquente. Et même si cela se produisait, serait-ce possible d’exporter cette viande ?
La résistance d’importantes espèces marines, et dans le cas du poulpe, les liens étroits entre les mesures de conservation et un potentiel profit (le marché mondial du poulpe vaut près d’un milliard de dollars par an), ont permis de susciter un intérêt profond pour la conservation marine par les ONGs et les donateurs à Madagascar. Inspirées par ces premiers succès, notamment de Blue Ventures, les LMMA se sont développées pour couvrir plus de 14 % du littoral de Madagascar en 15 ans à peine, et les initiatives d’aquaculture se sont aussi envolées.
L’année prochaine, la Banque Mondiale projette de lancer le deuxième Projet sur la gouvernance des pêches et la croissance partagée dans le Sud-Ouest de l’océan Indien, aussi appelé SWIOFish2, qui injectera plus de 70 millions de dollars jusqu’en 2023 pour la gestion de la pêche et la conservation à Madagascar. En comparaison, le budget annuel de Blue Ventures, dans les programmes marins sont les plus répandus à Madagascar, était de moins de 3 millions de dollars l’an dernier, y compris les programmes dans quatre autres pays. Les ONGs font aussi état d’un intérêt grandissant dans la conservation et la gestion marine de la part des donateurs bilatéraux comme les États-Unis et l’Allemagne. Mais les projets de conservation marine déjà existants présentent des bilans inégaux. De nouveaux financements importants risquent d’amplifier les succès et les échecs, ainsi que la possibilité de compliquer le financement des projets de conservation sur le territoire.