- La scène scientifique de Madagascar est largement dominée par les étrangers, qui ont mené plus de 9 publications sur 10 sur la biodiversité entre 1960 et 2015.
- La série de programmes visant à stimuler la carrière des scientifiques malgaches dès leurs premiers pas porte ses fruits, puisque les chercheurs locaux prennent un rôle de plus en plus dominant dans la conservation.
- Cependant, le système d'éducation supérieure malgache reste faible et manque cruellement de financement. En conséquence, les opportunités de formation et le soutien aux études supérieures proviennent souvent de contacts à l'étranger.
- Cet article est le quatrième de la série « La conservation à Madagascar », publiée par Mongabay.
ANTANANARIVO, Madagascar – Il faut s’armer de patience pour errer dans des bois humides, au beau milieu de la nuit, afin de poser des colliers aux chauves-souris et de les tracer jusqu’au perchoir où elles se réfugient la journée. De même, il a fallu une grande créativité dans une étude récente sur le commerce de viande de brousse, dont les résultats se basent notamment sur les carapaces de tortues trouvées dans les décharges.
Julie Hanta Razafimanahaka a codirigé chacune de ces missions. Mais demandez-lui comment devenir une biologiste de terrain à Madagascar, et sa réponse vous prendra au dépourvu.
« Eh bien, dit Razafimanahaka, tout d’abord, vous devez être particulièrement chanceux ». Et être sympathique peut vous aider. « Cela ne veut pas dire que vous n’avez aucune chance. Cela veut simplement dire que vous devez parler à beaucoup de gens », ajoute-t-elle. Surtout à des chercheurs étrangers.
C’est grâce à ce projet de recherche que Razafimanahaka a entamé sa thèse de Master, non pas parce qu’elle portait un intérêt particulier aux chauves-souris, mais parce qu’elle s’était arrangée pour rencontrer un chercheur gallois qui menait des recherches dans sa région préférée de Madagascar : le Parc national de Tsingy de Bemaraha, avec ses formations de calcaires ressemblant à des châteaux.
Presque quinze ans plus tard, elle peut retracer le point de départ de sa carrière à cette première rencontre. Le travail sur le terrain à Tsingy de Bemaraha faisait partie d’une série de projets gérés par des étudiants de l’Université d’Aberdeen, avec le soutien du gouvernement britannique. Le but était d’accroître l’expérience des jeunes biologistes malgaches et de développer leurs compétences afin de travailler sur la conservation des chauves-souris.
Pourtant, quand le travail de terrain a pris fin en 2004, Razafimanahaka se souvient qu’elle et ses collègues se sont retrouvés sans travail, avec le sentiment que les recherches auxquelles ils avaient pris part n’apporteraient que peu de bienfaits à Madagascar. Aujourd’hui, Razafimanahaka dirige une ONG appelée Madagasikara Voakajy, qu’elle a créée en 2005. Pour elle, cette ONG est une opportunité d’appliquer les recommandations en matière de conservation formulées dans les études académiques sur Madagascar, mais rarement mises en pratique.

Voakajy est maintenant active sur sept petits sites répartis sur l’île – des sites qui ont pu acquérir le statut de protection grâce à l’ONG. « Avant, des chercheurs y travaillaient, explique Razafimanahaka au sujet des sites de Voakajy. Et je crois que c’est le cas presque partout à Madagascar. Les chercheurs étrangers viennent pour mener leurs recherches, sans jamais revenir pour vous révéler ce qu’ils ont trouvé. Ce qui nous différencie, c’est que nous retournons dans les régions où nous avons entrepris nos recherches et nous expliquons aux gens ce que nous avons trouvé. Nous discutons ensemble des actions à mettre en place. Et à présent, nous concrétisons ces actions, dit-elle. Je crois que c’est ainsi que nous pouvons faire la différence. »
Ces dernières années, un groupe croissant de conservationnistes a milité pour plus de leadership malgache dans la recherche locale. En effet, ces derniers estimaient que le travail de scientifiques malgaches avait plus de chances d’influencer les politiques de conservation et leur application sur le long terme. Malgré le sentiment initial de frustration de Razafimanahaka, la création de Voakajy est en elle-même une preuve que les partenariats avec l’étranger peuvent avoir un impact durable. Les premières collaborations internationales, comme celle qui a permis de donner naissance à Voakajy, ont également lancé les carrières d’une cohorte de scientifiques malgaches. Peu à peu, les chercheurs comme Razafimanahaka sortent de l’ombre de leurs homologues étrangers mieux soutenus financièrement. Toutefois, le progrès que façonnera la prochaine génération dépendra fortement de ce qui sera fait pour consolider l’enseignement supérieur à Madagascar.