1- Des milliers de flamants nains (Phoenicopterus minor) s’entassent sur le Lac Bogoria au Kenya. Presque tous ces flamants nidifieront au Lac Natron en Tanzanie, aujourd’hui un site offert pour l’exploitation minière de carbonate de soude. Photo : Steve Garvie.
Que se passe-t-il en Tanzanie ? C’est une question qui fait le tour dans le cercle des défenseurs de l’environnement. Pourquoi une nation qui a tant investi dans ses territoires et sa faune sauvages est-elle encline à poursuivre des projets qui semblent destinés, non seulement à ravager la faune et l’écosystème du pays d’Afrique de l’Est connue du monde entier, mais également, à paralyser son industrie du tourisme importante au niveau économique ? L’exemple le plus connu est celui du projet de la route divisant le Parc National du Serengeti auquel les scientifiques, les militants écologistes, Les Nations Unies et les gouvernements étrangers se sont opposés. Mais d’autres questions préoccupent les défenseurs de l’environnement, telles que l’exploitation minière intensive de carbonate de sodium sur le territoire le plus important d’Afrique de l’Est pour la reproduction de millions de flamants nains, et la déclaration récente de l’annulation de la proposition d’inscrire une portion de la chaîne de montagnes de l’Arc oriental au patrimoine mondial de l’UNESCO, une forêt menacée qui regorge d’espèces animales trouvées nulle part ailleurs. Selon le Président Jakaya Kikwete, la Tanzanie essaie simplement de subvenir aux besoins de ses citoyens les plus pauvres (telles que les communautés près du Serengeti et des Montagnes de l’Arc oriental) tout en poursuivant un développement industriel de type occidental.
« Nous devons devenir un pays industrialisé et pour ce faire, nous devrions réfléchir à un plan et mettre en place des stratégies. Contrairement à d’autres pays forcés d’importer des matières premières, notre pays a toutes les matières premières dont il a besoin pour développer ses industries, » a récemment déclaré Kikwete, en réponse au mouvement d’opposition relatif à l’exploitation minière de carbonate de sodium dans le Lac Natron.
2- Jakaya Kikwete, 4e Président tanzanien (au centre), avec le Président américain Barack Obama et la Première Dame des États-Unis, Michelle Obama. Photo : gouvernement américain. |
Cependant, les détracteurs de Kikwete soutiennent que ce dernier serait en train d’échanger le patrimoine naturel le plus précieux de Tanzanie, et la plupart des plus beaux spectacles de vie animale sur terre, pour un bourbier industriel qui en enrichirait quelques un, pour la plupart, étrangers, mais laisserait la Tanzanie et ses citoyens dépourvus.
« À cause de son comportement malveillant envers le site naturel listé au Patrimoine Mondial et son étrange détermination à conduire le projet de la route traversant le Serengeti, Kikwete est de plus en plus perçu comme vieux-jeu et vindicatif, » a affirmé Andrew Dobson, Professeur d’Écologie et de Biologie Évolutionnaire à l’université de Princeton, à Mongabay.com. Dobson a mené de nombreuses études dans le Serengeti, y compris quelques unes récentes sur l’impact du projet des routes.
Selon certaines sources, la Chine serait impliquée dans les plans de la Tanzanie, poussant pour la route du Serengeti – et prêt à la financer – dans le but de créer une grande artère pour acheminer, à moindre prix, les minéraux exploités, de l’intérieur vers la côte, puis les envoyés par bateau en Chine afin de continuer la croissance folle du pays. Mais à ce point, ces rumeurs ne sont pas corroborées, et les seuls qui peuvent répondre à de telles questions sont les personnes haut-placées dans le gouvernement tanzanien.
Au final, ces projets pourraient bien concerner la politique locale plus qu’autre chose.
« La question est complexe et étroitement liée à certaines politiques nationales actuelles et certaines pressions auxquelles le Président fait face. Pressions venant de son propre parti, de l’opposition naissante et du secteur de l’environnement national et international, » a déclaré une source travaillant pour la protection de l’environnement en Tanzanie à Mongabay.com. « Des promesses politiques concernant les routes, les mines et l’énergie hydroélectrique ont été faites. Alors que les préoccupations environnementales par rapport à ces promesses sont tout à fait légitimes, et que des alternatives plus viables du point de vue économique ont été trouvées pour la route [du Serengeti], un revirement présidentiel pourrait être considéré comme un signe de faiblesse. Ceci rend une stratégie de sortie compliquée. »
Les flamants et le carbonate de sodium
3- Vue aérienne du Lac Natron avec les flamants (vus comme des points) nidifiant sur les îles. Photo : gracieuseté de Neil Baker.
Jusqu’à présent, la question de l’exploitation minière de carbonate de soude dans le Lac Natron était la seule à ne pas nécessiter une stratégie de sortie. La mine a été abandonnée en 2008 après que le Conseil National de Gestion de l’Environnement (NEMC) de Tanzanie a exprimé ses inquiétudes sur le fait que le processus pourrait détruire le seul habitat d’Afrique de l’Est pour la reproduction et la nidification des flamants nains. Mais maintenant, dans une tentative de répondre à ses promesses de quasiment doubler son secteur industriel d’ici à 2025, le gouvernement a non seulement remis le sujet de l’exploitation minière sur le tapis, mais espère aussi l’intensifier.
« Il n’y a pas besoin d’attendre plus longtemps, parce que d’expérience nous savons que l’extraction de minéraux peut continuer sans aucun trouble pour l’écosystème, les activistes environnementaux veulent faire croire aux gens que cela va anéantir la population des flamants, ce qui n’est pas vrai, » a affirmé Kikwete.
Pour préserver les deux millions et demi de flamants qui nidifient au Lac Natron, Kikwete propose de déplacer l’usine de carbonate de soude en dehors du site, à environ 70 kilomètres, dans le village de Loliondo. Selon le Président, 300 millions de tonnes de carbonate de sodium seraient transférés par pipelines ; Les cristaux de soude ne seraient pas exploités par une entreprise locale, mais par Tata Chemicals basée en Inde.
Neil Baker, un expert des oiseaux tanzaniens, a dit à mongabay.com que le Lac Natron est le « seul lieu significatif » de reproduction en Afrique de l’Est. Le lac fournit un espace de nidification pour des millions de flamants nains où il n’y a quasiment pas de prédateurs.
Des défenseurs de l’environnement ont déclaré à eTurboNews que même les conduites n’empêcheraient pas la nuisance pour les flamants. L’énorme construction et l’infrastructure sur le lac seront une nuisance pour les populations d’oiseaux lorsque la conduite devra constamment être déplacée pour absorber les produits chimiques du lac.
Image satellite du Lac Natron. Image : NASA. |
Le déclin de la population du flamant nain ne serait pas seulement une perte écologique, mais aussi une perte économique, puis que les oiseaux représentent une part importante du tourisme en Tanzanie et en Afrique de l’Est.
Selon Wolfgang Thome, le correspondant deTurboNews en Afrique de l’Est, l’usine de cristaux de soude est en fait reliée à la route du Serengeti.
« L’autoroute du Serengeti, si controversée, est clairement le lien de transport principal pour les intérêts de la mine. Tout comme les territoires de nidification des flamants, la migration des grands troupeaux de gnous et zèbres devra aussi céder le passage aux puissants groupes d’intérêts industriels et financiers qui sont dans les favoris du Président Kikwete, » écrit Thome.
Cependant, le Président Kikwete affirme que la Tanzanie doit poursuivre son développement industriel : « Nous ne pouvons pas continuer à pleurer sur la pauvreté de notre pays alors que nos minéraux restent intacts. Nous ne serons pas les premiers à exploiter le Lac Natron, nos voisins du Kenya, font déjà la même chose de l’autre côté du lac, » a-t-il ajouté en faisant référence à Magadi Soda Ash Company au Kenya.
Le Lac Natron a été déclaré site international Ramsar de zone humide, ce qui signifie que tout changement entreprit au lac, et particulièrement ceux qui pourraient avoir un impact sur l’environnement, doivent être déclarés aux autorités de Ramsar.
L’annulation de la proposition d’inscrire les montagnes de l’Arc oriental au patrimoine mondial de l’UNESCO
La Tanzanie ne doit pas seulement prendre en compte le traité de Ramsar, mais elle doit aussi considérer ses relations avec les Nations Unies. Celles- ci ont condamné les plans de la route peu après qu’ils ont été rendu publics. Elles sont en droit de le faire puisque le Parc National du Serengeti est un site du patrimoine mondial de l’UNESCO. À la suite de cette critique, le président tanzanien a déclaré vouloir annuler la proposition d’inscrire les montagnes Udzungwa et Uluguru au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il n’est pas dit que cette décision soit basée sur le conflit concernant le Serengeti. Ce qui est dit, en revanche, c’est que le Président a déclaré que cette décision émanait du fait que les populations locales nécessitaient l’habitat montagneux pour des raisons économiques.
Forêt tropicale montagneuse en Tanzanie. Photo : Rhett A. Butler. |
« Nous ne pouvons pas demander la permission à l’UNESCO pour tout. Il y a des choses que nous pouvons décider nous-mêmes, » a établit le Président à propos de cette action.
Il existe quatre critères qui permettent d’inscrire un site naturel au patrimoine mondial de l’UNESCO et un site n’a besoin de remplir qu’un de ces quatre critères. Cependant, la militante écologiste Katarzyna Nowak, soutenue par l’Université de Princeton, soutient que les montagnes Udzungwa et Uluguru – une partie de la chaîne de montagnes de l’Arc oriental – remplit les quatre critères : un espace d’une beauté naturelle exceptionnelle, une importance géologique significative, un exemple de processus évolutionnaire, ou abrite une espèce menacée importante ou des territoires sauvages. Nowak doit savoir de quoi elle parle puisqu’elle a étudié les éléphants dans les montagnes Udzungwa.
Elle explique que la biodiversité des montagnes de l’Arc oriental place la Tanzanie au rang de pays le plus bio diversifié d’Afrique, avant même les pays du Bassin du Congo.
Les montagnes de l’Arc oriental « sont l’un des sites offrant la biodiversité la plus importante au monde avec un grand nombre de genres et d’espèces endémiques et menacées, » affirme Nowak. Elle estime qu’il y a « à peu près 3 500 espèces de plantes, dont 450 espèces et 40 genres endémiques ; plus de 50 espèces de reptiles, comptant plus de 30 endémiques (qui ne se trouvent nulle part ailleurs dans le monde) ; plus de 70 espèces d’amphibiens dont 50 endémiques ; plus de 50 espèces de reptiles, dont 30 endémiques, la plupart étant des caméléons ; plus de 120 espèces d’oiseaux, avec 21 espèces et 2 genres endémiques y compris la perdrix de forêt d’Udzungwa et le Souimanga à ailes rousses et plus de 100 espèces de mammifères dont 12 endémiques. »
Quelques mammifères spéciaux de la région incluent trois singes qui n’existent nulle part ailleurs dans le monde : le colobe rouge Udzungwa(Procolobus gordonorum) et le mangabey Sanje (Cercocebus sanjei), tout deux répertoriés En danger par la liste rouge de l’UICN, et le Kipunji (Rungwecebus kipunji), qui est classé comme Critique d’Extinction. Le kipunji est particulièrement original du fait qu’il a été découvert seulement en 2003 par les chercheurs, devenant ainsi le premier singe à être découvert en Afrique en 20 ans. Il est aussi le premier genre du monde depuis 1923.
Ensuite, il y a eu la découverte du sengi à face grise, ou musaraigne-éléphant, en 2006, qui vient de devenir la plus grosse musaraigne-éléphant du monde.
Ces forêts ont récemment été classées numéro 10 dans les Top 10 Most Threatened Forest Hotspots, de Conservation International, car seulement 11 % de l’est des forêts montagnardes d’Afrique existe encore, et ce qu’il en reste est actuellement menacé par une agriculture qui gagne du terrain et la chasse pour la viande de brousse.
En conclusion, il y a peu de questions quant aux montagnes de l’Arc oriental méritant le classement au patrimoine mondial, mais que penser de l’argument de Kikwete affirmant qu’un tel statut contribuerait à appauvrir encore plus les communautés locales ?
« Y a-t-il une preuve que le classement au patrimoine mondial ait fait du tort aux gagne-pains locaux (ou empêcher le braconnage dans ce cas) dans d’autres sites tanzaniens classés patrimoine mondial, tels que la Réserve du Selous ou le Parc National du Serengeti ?, » demande Nowak. « […] Les décisions de gestion au niveau du site (par exemple, la décision de TANAPA d’interdire aux femmes de ramasser du bois dans le Parc National des montagnes Udzungwa) vont avoir plus de poids sur les communautés locales et leurs comportements vis-à-vis du parc que le fait d’être classé au patrimoine mondial. »
Andrew Dobson affirme qu’être listé au patrimoine mondial pourrait, en fait, aider les communautés locales au niveau économique.
« L’augmentation du tourisme […] pourrait bien entraîner des avantages majeurs pour les gens vivant dans le voisinage. Si ces sites étaient acceptés sur la liste du patrimoine mondial par l’UNESCO, ils élèveraient la Tanzanie au rang d’un des meilleurs exemples de pays qui apprécie sa richesse naturelle, » a dit Dobson et il a ajouté que « le Président Kikwete pourrait réaffirmer son statut de dirigeant africain le plus en avance et progressiste. Quelqu’un que les autres pays africains pourraient considérer comme un modèle et comme dirigeant. »
Cependant, un autre défenseur de l’environnement, cité plus haut, a déclaré que Kikwete pourrait avoir de bonnes raisons de retirer la candidature.
« Deux des principaux sites du pays classés à l’UNESCO, Serengeti et Selous font face à de sérieux défis au niveau de leur gestion. Tout comme le Lac Natron, site Ramsar, » a-t-il déclaré. « Que le fait d’être listé au patrimoine mondial ait une réelle valeur ou non est discutable. Dans ce cas, il est compréhensible que le Président se soit retiré du projet. Il subit déjà une pression internationale considérable au sujet de la gestion des deux sites classés au patrimoine mondial. En ajouter un autre, dans son opinion, serait principalement une source de mauvaise presse. »
La Route du Serengeti
Cette mauvaise presse, au moins au niveau international, a plus à voir avec la route du Serengeti. Nul n’est surpris de constater que ni le Lac Natron ni les Montagnes de l’Arc oriental n’ont attiré autant l’attention que le projet déposé de la route au travers du Parc National du Serengeti. Foyer de la plus grande migration d’animaux – deux millions de gnous, d’antilopes, de zèbres migrent chaque année à travers cette vaste prairie – beaucoup voient les plaines du Serengeti comme l’endroit contenant la faune la plus importante sur Terre, et est certainement l’un des plus célèbres.
Le plan du gouvernement tanzanien serait de construire une route coupant entièrement la partie nord du parc. Le gouvernement a affirmé qu’une partie de cette route ne serait pas goudronnée et a assuré que la route ne diminuerait pas la faune du parc.
Éléphants de la savane africaine dans le Serengeti. Photo : Rhett A. Butler. |
« Le Serengeti est le trésor de notre pays ainsi qu’il l’est pour la communauté internationale. […] Nous ne ferons rien qui puisse nuire au Serengeti et nous voudrions que la communauté internationale en soit informé. » a affirmé récemment Kikwete.
Cependant, les scientifiques, et même les études gouvernementales font du tort au projet. Selon eux, au fil du temps, la route va réellement diminuer, peut-être même détruire, la migration du Serengeti.
« La route est un désastre puisqu’elle ne restera jamais qu’une simple route – sa présence va mener à l’accroissement de la circulation, à supprimer le statut de protection de chaque côté de la route et ainsi à l’augmentation du braconnage, à la multiplication des collisions entre la faune et les véhicules qui va entraîner le besoin de poser des barrières au long de la route. Finalement, ceci arrêtera la migration et les populations de zèbres et de gnous seront réduites de 40 à 70%, » explique Dobson qui a récemment travaillé sur une étude examinant l’impact que la route aurait sur la migration annuelle.
« Ceci va avoir un impact significatif sur le tourisme, la fréquence des incendies va augmenter et le Serengeti représentant les puits de carbone les plus importants au monde, va devenir une source de carbone. Cela va complètement annuler le potentiel de la Tanzanie de bénéficier de futurs plans pour les crédits de carbone. »
Une fuite provenant d’un rapport commandé par le gouvernement tanzanien est aussi en accord avec l’étude de Dobson et beaucoup d’autres préoccupations.
« La migration peut être limitée par la grande circulation qui va [la] perturber. […] Ceci est une inquiétude majeure qui a causé beaucoup de publicité au projet de route [du Serengeti], » est-il écrit dans le rapport. « On soutient que les gnous seulement seraient affectés mais leurs prédateurs seront également affectés si la migration est perturbée ».
En d’autres termes, non seulement les gnous, les zèbres et les antilopes souffrent de ce projet de route, mais aussi les prédateurs qui dépendent de ces derniers : les lions, léopards, hyènes, guépards et crocodiles du Nil vont aussi faire face à un déclin significatif.
Un itinéraire alternatif a été identifié, il contournerait le Serengeti par le sud, en préservant l’écosystème. Alors que cet itinéraire desservirait plus les communautés tanzaniennes que la route du Serengeti, le gouvernement tanzanien affirme que cela ne changera pas l’opinion de Kikwete disant que l’itinéraire sud ne dessert pas les communautés du nord du Serengeti qui exigent de meilleures options de transit. Viennent ensuite la Banque Mondiale et le gouvernement allemand : la Banque Mondiale a offert le financement de la route alternative, quant au gouvernement allemand, il a offert de construire des routes locales pour les gens vivant dans le nord du Serengeti.
Zèbres et gnous dans le Serengeti. Photo : David Dennis. |
Ces propositions ont ajouté une pression supplémentaire afin que le gouvernement tanzanien change ses plans, puisque la Banque Mondiale et le gouvernement allemand semblent exprimer leurs inquiétudes. Cependant, à ce jour, Kikwete et le gouvernement tanzanien n’ont pas reculé, ce qui en laisse beaucoup perplexes, y compris, comme le dit Dobson, les locaux tanzaniens.
« Beaucoup de gens en Tanzanie préfèrent les plans alternatifs et sont fiers du rôle de la Tanzanie en tant que pays leader pour la préservation des grands espaces naturels. Ils s’inquiètent de plus en plus de savoir que Kikwete ne réagit pas d’une façon qui reflète les valeurs pour lesquelles ils l’avaient élu Président. Ils sont vraiment préoccupés que certaines personnes du gouvernement qui pourraient s’exprimer restent dans le silence et s’inquiètent de savoir s’ils auraient reçu des menaces. Cela n’est pas une tournure saine à prendre pour un autre gouvernement africain. »
Serait-ce possible que Kikwete ait peur, comme l’a déclaré une source plus tôt, que changer d’avis maintenant représente un signe de faiblesse ? En même temps, quel dirigeant mettrait en péril le plus grand parc national de son pays – aussi bien du point de vue du tourisme que de sa notoriété – pour simplement sauver sa peau ? De plus, même s’il cédait maintenant, il serait acclamé partout dans le monde.
Dernièrement, l’opposition locale s’est élevée contre la route en Tanzanie. Le mois dernier, l’association tanzanienne des tours opérateurs (Tato) s’est révélée contre le projet. Tato, décrite comme un puissant lobby local par les médias tanzanien, a déclaré que la route aurait un impact négatif sur le tourisme. Ensuite, un groupe d’organisations locales de la société civile travaillant pour la faune sauvage, les forêts et les produits de la pêche, connu sous le nom de MANET a envoyé une pétition déclarant qu’il était également contre la route du Serengeti.
« Il est essentiel que des décisions soient finalement prises par les Tanzaniens concernant la route, » dit Dobson, « le gouvernement et les médias ont la responsabilité d’assurer que tout le monde reçoive les informations correctes sur lesquelles la décision est basée. L’action locale grandissante contre la route reflète simplement que les tanzaniens comprennent la situation et expriment leurs préoccupations envers un gouvernement qui leur aurait menti à propos de la situation. »
À quelles fins ?
Personne ne devrait croire, même ses détracteurs, que le travail de Kikwete est facile ou simple. Il doit équilibrer ses attentes avec les réalités « sur le terrain », s’occuper des problèmes récents tels que l’augmentation des prix du logement et la pénurie d’énergie, ainsi que tenter de construire une infrastructure pour un pays qui compte toujours beaucoup de communautés très défavorisées. Ce n’est pas tout : la Tanzanie, comme beaucoup de pays d’Afrique de l’Est a fait face à de terribles sécheresses ces dernières années qui ont endommagé le secteur agricole. Elle continue de lutter contre la crise du Sida et s’efforce d’offrir une éducation à tous ses citoyens. Dans le domaine de la préservation, Kikwete fait face à une vague de braconnage et de sérieux problèmes de gestion. Le braconnage est devenu tellement grave, qu’il a récemment annoncé que l’armée serait envoyée dans certains parcs.
Une lionne garde un gnou tué en Tanzanie. Une fuite provenant d’un rapport du gouvernement prévient qu’un projet d’autoroute ferait du tort aux plus grandes espèces de prédateurs du Serengeti. Photo : Rhett A. Butler. |
Katarzyna Nowak décrit Kikwete comme « en faveur du développement », et ce n’est pas un secret qu’il soutienne avec hargne un énorme développement de l’exploitation minière et du forage par les industries étrangères. De son point de vue, l’exploitation de ces ressources pourrait changer la donne en Tanzanie. Cependant, dans l’opinion des critiques, il met en danger les écosystèmes tanzaniens mondialement connus en jouant avec le feu avec certaines entreprises. De tels marchés pourrait avoir comme résultat « des ressources maudites » où la Tanzanie perdrait plus de ses ressources naturelles que le peuple s’enrichirait. C’est une histoire qui a été vécue bien des fois en Afrique et ailleurs : les ressources naturelles sont vendues, peu s’enrichissent, mais l’environnement est endommagé et le peuple qui en dépend est laissé plus défavorisé que jamais.
Qu’importe l’issue de ce débat local et international, on doit s’interroger sur le futur des écosystèmes du monde si le Serengeti, dans le moindre des cas, ne peut rester protégé. Alors que les populations augmentent partout dans le monde et que les ressources s’amoindrissent – ou dans bien des cas – sont simplement contaminées et que les humains exigent de plus en plus (parfois pour moins) : quel espace protégé va rester protégé ? Si une route, que les scientifiques disent dévastatrices, peut faire son chemin à travers l’iconique et célèbre Parc National du Serengeti, habitat des éléphants et des lions, quelle chance aura le Parc National de Virachey au Cambodge contre les plantations de caoutchouc ou le Parc National Yasuni en Équateur contre le forage pétrolier ?
A contre-courant d’humanité, contre les cris du développement et de la consommation de style industriel, il est probable que la nature va continuer à reculer. Mais nous devons nous interroger : En sortirons-nous plus riches ou plus pauvres ?