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Sénégal : Dix ans après, le calvaire continue pour les réfugiés climatiques de Saint-Louis

  • Dix ans après la houle dévastatrice de 2016, des centaines de familles déplacées à Khar Yalla à Saint -Louis dans le nord du Sénégal vivent toujours dans des conditions précaires.
  • Les réfugiés climatiques de Khar Yalla n’ont pas encore bénéficié d’un projet de relogement initié par l’Etat du Sénégal et ses partenaires techniques et financiers.
  • L’organisation Human Rights Watch (HRW) dénonce une violation des droits des réfugiés de Khar Yalla.

« Rien n’a résisté à la furie des vagues. La maison s’est écroulée en un clin d’œil. Nous assistions, impuissants, à la disparition de tout ce que nous possédions ».

C’est avec une voix grave que Fatou Fall Teuw évoque la houle de 2016, celle qui a défiguré Nguet Ndar, emblématique village de pêcheurs à Saint-Louis au nord du Sénégal.

Durant la dernière décennie, des centaines de familles de Nguet Ndar ont été déplacées, victimes de l’érosion côtière et de l’avancée de l’océan.

À une dizaine de kilomètres de Langue de Barbarie, à la cité Bamba Dieye, à Khar Yalla, principal site de recasement des sinistrés, Fatou Fall Teuw, aujourd’hui septuagénaire, fait partie de ces mères de famille, qui portent depuis dix ans le statut de « réfugiées climatiques ».

« Nous vivons ici dans ces logements précaires et étroits, qui ne conviennent pas aux familles nombreuses comme la mienne », confie-t-elle, entourée de ses petits-enfants, dans sa petite chambre aux murs gagnés par l’humidité.

Dans ces logements temporaires, les chambres disposent de toits en tôle ondulée qui décuplent la chaleur estivale, fait remarquer Fatou Fall Teuw, qui dit aussi craindre des conséquences sur sa santé et celle de sa famille.

Le site de Khar Yalla au Sénégal envahie par les eaux. Image de Momar Niang pour Mongabay.
Le site de Khar Yalla au Sénégal envahi par les eaux. Image de Momar Niang pour Mongabay.

À Khar Yalla (En attendant Dieu, littéralement en langue Wolof), 64 familles sinistrées sont encore présentes dans cette enclave inondable ; elles y vivent entourées par les eaux et l’insalubrité.

Les fortes pluies, qui se sont abattues ce mois d’août, ont morcelé une partie des maisons en îlots, que des sentiers de fortune, faits de briques et de pneus, tentent de relier.

« Ce n’est pas le pire que vous voyez là ; pendant l’hivernage, le fleuve déverse aussi son trop-plein et les maisons sont totalement inondées », déclare Balla Diouck, un jeune résident.

Pour Abdou Aziz Mboup, président de l’association des sinistrés de Khar Yalla, le calvaire des siens est multiforme. « Nous souffrons de l’absence de l’assainissement, de l’insécurité et de l’enclavement, et il fallut presque dix ans avant qu’on ait l’eau courante, et très récemment l’électricité », explique-t-il.

Dans la promiscuité des maisons, les sinistrés ruminent l’incompréhension de leur propre situation, la mairie leur interdit de faire des aménagements. Alors que la plupart souhaitent ajouter une ou deux chambres pour les enfants, dont beaucoup dorment avec leurs parents ou grands-parents.

Un bien meilleur sort à Diougop

À une dizaine de minutes de Khar Yalla, dans le nouveau site de Diougop, le contraste est saisissant. « L’amertume qui s’était emparée de ma famille, suite à notre départ de Nguet Ndar, est aujourd’hui comblée », dit Ndeye Anta Sarr, une mère de famille de 43 ans.

Elle figure parmi les centaines de bénéficiaires du Projet de relèvement d’urgence et de résilience à Saint-Louis (SERRP), démarré en 2018 et financé par la Banque mondiale et l’État du Sénégal pour un montant de 93 millions de dollars.

« À la date du 31 décembre 2024, 167 logements ont été attribués sur les 171 déjà livrés, soit 39 % du nombre total de bâtiments à construire », indique un document de l’Agence de développement municipal de l’État sénégalais et aussi maitre d’œuvre du SERRP.

Diougop, à Saint Louis au Sénégal. Image de Momar Niang pour Mongabay.
Diougop, à Saint Louis au Sénégal. Image de Momar Niang pour Mongabay.

Sur les 15 hectares réservés aux sinistrés de Diougop, c’est une véritable cité qui se dessine avec l’existence d’une école primaire composée d’une dizaine de salles de classes en préfabriqué, un système de voirie en construction et des rues spacieuses.

Entre-temps, à Khar Yalla, où des enfants ne vont plus à l’école à cause de l’affaiblissement des conditions économiques, on attend dans l’angoisse de meilleures conditions de vie. La crainte absolue ici est l’oubli des autorités, qui se font de plus en plus rares à Khar Yalla.

« Nous n’avons pas bénéficié de logements à Diougop, alors que nous sommes les premiers sinistrés, ceux de 2016 », souligne Abdou Aziz Mboup, président de l’association des sinistrés de Khar Yalla.

Atteinte aux droits des sinistrés

Dans un rapport paru le 18 août 2025, et intitulé « Waiting for God » : Flood Displacement and Planned Relocation of Fisherfolk in Saint-Louis, Senegal, Human Rights Watch (HRW) assimile la situation des sinistrés de Khar Yalla à une violation des droits de l’homme.

« Les sinistrés de Khar Yalla sont laissés en rade par les autorités gouvernementales, ils disposent depuis dix ans d’un permis d’occuper temporaire dans un site éloigné et sujettes aux inondations », a déclaré à Mongabay, Erica Bower, chercheuse sur les déplacements climatiques à HRW.

Selon ce rapport, les sinistrés restés à Khar Yalla sont dans un état de privation de leurs droits à la santé, à l’éducation et à un logement décent. Entre octobre 2024 et 2025, HRW s’est entretenu avec plus de 150 personnes dont une majorité de sinistrés vivant à Khar Yalla, des autorités gouvernementales et des experts.

L'école primaire de Diougop. Image de Momar Niang pour Mongabay.
L’école primaire de Diougop. Image de Momar Niang pour Mongabay.

Aux yeux de HRW, l’exclusion des gens de Khar Yalla du Projet de relèvement d’urgence et de résilience à Saint-Louis (SERRP) ne repose pas sur des bases claires surtout qu’ils sont des victimes d’inondations côtières comme les autres familles relogées à Diougop.

Selon l’Agence de développement municipal, le SERRP prend en compte uniquement les sinistrés des inondations de 2017 et 2018 qui vivaient dans une zone à haut risque située le long de la côte sur une bande d’environ 20 mètres de large. Sur cet espace à haut risque, 259 familles et 11 000 personnes ont été recensés.

Selon Erica Bower, l’exclusion de Khar Yalla est d’autant plus incompréhensible que le SERRP a pris en compte des gens qui n’ont pas encore perdu leurs maisons.

Dans ses recommandations, HRW a plaidé pour une politique adéquate pour les victimes du climat avec des méthodes de recensement claires et une procédure de relocalisation respectueuse de leurs droits.

Saint-Louis, symbole du changement climatique

Coincée entre l’océan atlantique et le fleuve Sénégal, victime de l’avancée de la mer et des inondations fluviales fréquentes, Saint-Louis (ancienne capitale du Sénégal, classée au patrimoine mondial de l’Unesco) est devenue un symbole des méfaits du dérèglement climatique.

Abritant le village de Nguet Ndar, la Langue de Barbarie, est une mince bande de terre sablonneuse qui va du sud de Saint-Louis à l’embouchure du fleuve Sénégal, aujourd’hui menacée de disparition.

Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), la Langue de Barbarie est une zone de forte densité humaine. En 2015, 45875 habitants y ont été recensés soit 20 % de la population du département de Saint -Louis.

Une maison construite pour une famille sinistrée à Diougop 2. Image de Momar Niang pour Mongabay.
Une maison construite pour une famille sinistrée à Diougop 2. Image de Momar Niang pour Mongabay.

Face à la montée de l’érosion et des inondations côtières, les initiatives d’adaptation se poursuivent sous la houlette de l’État sénégalais et de ses partenaires. En juillet 2022, le gouvernement sénégalais a inauguré une nouvelle digue, un enrochement installé sur un linéaire de 2150 mètres couvrant tous les quartiers de Langue de Barbarie. La précédente digue n’avait pas résisté face aux fortes houles de février et mars 2018.

Co-auteur d’une étude sur les effets du changement climatique sur les communautés du delta du fleuve Sénégal, le géographe et chercheur, Dr Djiby Sambou, pointe le caractère « incertain et temporaire » des digues de protection.

« Une alternative plus durable réside dans les solutions fondées sur la nature, telles que la stabilisation des dunes par la végétalisation ou encore la régénération des écosystèmes côtiers. Ces approches, en renforçant les barrières naturelles, permettent, non seulement de réduire l’impact des vagues et de l’érosion, mais aussi de préserver la biodiversité et les moyens de subsistance des communautés locales », a-t-il déclaré à Mongabay.

L’étude publiée en 2020, par Dr Sambou et ses collègues de l’université Assane Seck de Ziguinchor (sud du Sénégal), indique que depuis l’année 2000, il y a une érosion continue du littoral à Saint- Louis avec une moyenne de 0,61 m par an. Cependant, dans la zone de Nguet Ndar, le taux d’évolution est de 0,69 m par an.

Image de bannière : Le site de Khar Yalla au Sénégal envahie par les eaux. Image de Momar Niang pour Mongabay.

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