- Une étude révèle que les politiques climatiques, comme les taxes sur les émissions agricoles, ont un impact variable sur les prix alimentaires. Les pays à faible revenu pourraient voir une hausse des prix, jusqu'à trois fois plus élevée que les pays riches, à l’horizon 2050.
- Les experts pensent que, malgré les défis à court terme, ces politiques climatiques pourraient avoir un impact positif sur les pays en développement, car elles vont permettre la fertilisation des sols, l’augmentation de la production et la stabilisation des prix.
- Les experts pensent aussi que les politiques climatiques mal mise en œuvre peuvent entraîner des risques tels que l'inflation des prix des denrées alimentaires, la réduction de la productivité agricole et l'instabilité sociale.
Selon une étude, les politiques climatiques, notamment les taxes sur les émissions agricoles, auront des effets différenciés sur les prix alimentaires selon le niveau de développement des pays.
Les résultats de l’étude indiquent aussi que les hausses des prix agricoles pourraient être jusqu’à trois fois plus élevées dans les pays à faible revenu.
L’étude a été menée par le Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK) en Allemagne, en collaboration avec des chercheurs de l’université Humboldt à Berlin et de la China Academy for Rural Development de l’université de Zhejiang en Chine.
En combinant des données statistiques et un modèle de simulation appliqué à 136 pays et 11 groupes de produits alimentaires, les chercheurs projettent qu’à l’horizon 2050, les prix payés aux agriculteurs pourraient presque tripler dans un scénario d’atténuation climatique. Ce scénario implique la mise en place d’un ensemble de mesures et de politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, comme une forte taxe carbone.
Dans ce contexte, les prix alimentaires à la consommation dans les pays à faible revenu pourraient être multipliés par 2,42 pour les aliments consommés à domicile et par 2,48 pour les aliments consommés hors domicile. La mesure est définie par rapport au scénario de référence sans politique climatique. Cette augmentation reste légèrement inférieure à celle des prix à la production, estimée à un facteur de 3,1.
Dans les pays à revenu élevé, en revanche, la hausse des prix à la consommation serait beaucoup plus modérée, atteignant seulement 1,29 fois pour les aliments consommés à domicile et 1,21 fois pour les aliments consommés hors domicile, malgré une augmentation des prix agricoles de 2,65 fois.
Cette différence s’explique, selon les auteurs, par l’organisation des systèmes alimentaires. Dans les pays riches, les étapes de transformation, de transport ou de distribution représentent une large part de la valeur finale des aliments, ce qui permet d’atténuer l’effet des hausses de coûts agricoles.
En revanche, dans les pays en développement, où ces étapes sont peu développées, les hausses des prix agricoles se répercutent presque intégralement sur les consommateurs.
En conséquence, les effets des politiques climatiques sur les prix alimentaires varient fortement selon le niveau de développement, posant un enjeu majeur d’équité globale. Comme le souligne l’étude, « cela montre l’inégalité des impacts entre les groupes de revenus résultant de politiques climatiques qui ne tiennent pas compte de leurs implications différentielles sur les systèmes alimentaires ».

Jules Ouedraogo Nomdo, agroéconomiste basé au Burkina Faso pense que même si les politiques climatiques affectent durement les pays en voie de développement, elles leur seront bénéfiques. À court terme, le coût de production sera élevé, donc les prix seront en hausse.
Mais, à moyen et long terme, les coûts de production vont baisser et il y aura amélioration des prix. Nomdo explique à Mongabay que plusieurs politiques climatiques ont, par exemple, été mises en place en Afrique de l’Ouest.
Il parle de « l’Initiative 4 pour 1000 », qui vise à augmenter la quantité de carbone stockée dans les sols agricoles avec un taux de croissance annuelle du stock mondial de carbone des sols de « 4 pour mille », pour lutter contre le changement climatique, tout en améliorant la fertilité des sols. Cela passe par l’usage des pratiques de compostage, le semis direct, la rotation culturale et l’agroforesterie.
Nomdo évoque aussi du Programme national de diffusion des technologies solaires au Burkina Faso, qui vise à réduire la dépendance aux énergies fossiles et à améliorer la productivité agricole, grâce à des équipements solaires : pompes, séchoirs, systèmes de conservation.
« Les pays sahéliens, en particulier le Burkina Faso, connaissent une forte dégradation de la fertilité des sols, donc des rendements en baisse, ajoutés à la baisse des pluies. Cette transition climatique va impérativement impacter les prix. Mais on espère qu’à moyen terme, les différentes politiques vont conduire à une baisse ou une stabilisation des prix », dit-il à Mongabay.
Il ajoute : « Par exemple, l’abandon ou la réduction des produits chimiques au profit du compostage va nécessiter des investissements en matières premières et en temps de travail, tandis que l’effet de l’usage du compost n’est pas immédiat. Mais, quelques années plus tard, lorsque les sols redeviendront fertiles, on aura besoin de moins de compost. Donc, il y aura une baisse dans la quantité d’intrants, ce qui veut dire baisse du coût de production et en même temps augmentation du rendement à cause de la fertilité des sols ».

Transition nutritionnelle dans les pays en développement
L’étude souligne aussi que, selon les projections de revenus et de consommation, les pays en développement sont appelés à avoir, à mesure que leur niveau de vie augmente, une transition nutritionnelle similaire à celle des pays développés, les conduisant progressivement vers des systèmes alimentaires plus industrialisés.
Cette transition se manifeste par une diversification des régimes alimentaires, une augmentation de la consommation de produits d’origine animale, d’aliments transformés et de repas pris en dehors du domicile. « Avec le développement économique, une part croissante des dépenses des consommateurs est dirigée vers les services alimentaires plutôt que vers les produits bruts », indique l’étude.
La transition nutritionnelle des pays en développement s’accompagnera d’une diminution progressive de la part du prix final revenant aux agriculteurs, comme cela a été observé dans les économies à revenu élevé, où, par exemple, « la part agricole dans le prix des aliments est passée de 50 % dans les années 1950 à moins de 20 % aux États-Unis, en 2017 ».
Toutefois, « cette transformation ne sera pas uniforme, les impacts et ajustements différeront selon le niveau de revenu du pays, le type de produit et le comportement du consommateur », ajoute l’étude. Cette transformation nécessitera aussi des politiques climatiques fortes, souligne l’étude, notamment en lien avec l’évolution de la demande des consommateurs.
Kelvin Muli est spécialiste de la justice climatique et dirige l’African Network for Climate Action (ANFCA), une organisation non gouvernementale kenyane ayant pour mission d’autonomiser et d’unir les dirigeants à travers l’Afrique en leur fournissant les compétences, les ressources et les réseaux nécessaires pour mener une action climatique transformatrice.
Il pense que les politiques climatiques peuvent occasionner divers risques pour les pays en développement, à savoir l’inflation des prix des denrées alimentaires, la réduction de la productivité agricole, le déclin nutritionnel et même une instabilité sociale. « En Tanzanie, une étude du Consortium africain de recherche économique a montré qu’une modeste taxe carbone sur les engrais pourrait augmenter le prix du maïs de 12 à 16 %, affectant de manière disproportionnée les consommateurs à faible revenu. De nombreux agriculteurs pourraient aussi réduire leur utilisation d’engrais ou de mécanisation en raison de l’augmentation du coût des intrants », explique Muli.
Il ajoute : « L’Afrique subsaharienne connaît déjà des rendements parmi les plus faibles au monde, par exemple, 1,8 tonne/ha pour le maïs au Kenya contre 7 à 8 tonnes/ha aux États-Unis. La flambée des prix des denrées alimentaires a toujours déclenché des troubles, comme les émeutes de 2011, en Afrique de l’Est. Des conditions similaires pourraient apparaître si la nourriture devenait inabordable en raison d’une pression politique extérieure ».

Différences d’impacts selon le niveau de développement
L’étude montre aussi que tous les types de produits ne sont pas touchés de la même manière. Les denrées d’origine animale, plus émettrices de gaz à effet de serre, verront leurs prix croître plus fortement que les produits végétaux. Cela pourrait entraîner des changements dans les comportements alimentaires, comme une réduction de la consommation de viande ou un basculement vers des régimes plus végétaux, surtout dans les pays où les consommateurs sont plus sensibles aux variations de prix.
Cependant, cette transition alimentaire ne sera ni automatique, ni uniforme à l’échelle mondiale : son ampleur dépendra fortement du niveau de développement, des dynamiques économiques locales et des politiques publiques mises en place.
Par conséquent, l’étude suggère ainsi qu’un accompagnement social, via des mécanismes de redistribution ou des aides ciblées, serait nécessaire pour atténuer les effets négatifs sur les populations les plus vulnérables et garantir une application équitable des politiques climatiques.
En outre, Muli propose des mesures concrètes pour aider les pays en développement à faire face aux impacts des politiques climatiques sur leurs systèmes alimentaires.
Il recommande que « le Fonds pour les pertes et dommages, dans le cadre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), devrait inclure des dispositions pour indemniser les pays pour les impacts économiques négatifs découlant des décisions politiques mondiales en matière de climat ».
Il insiste également sur la nécessité de soutenir la création d’un Fonds de transition des systèmes alimentaires, qui subventionne directement l’agriculture durable en Afrique subsaharienne.
De plus, Muli souligne l’importance qu’il y a à faciliter la participation des agriculteurs africains aux marchés des crédits carbone, citant l’exemple du Kenya Agricultural Carbon Project (KACP), « qui a aidé plus de 60 000 agriculteurs à gagner plus de 400 000 dollars en crédits carbone, grâce à l’agroforesterie et à l’amélioration des sols ».
Enfin, il conclut en affirmant qu’« il faut donner aux groupes vulnérables, tels que les jeunes, les femmes, les éleveurs et les communautés autochtones, les moyens de participer à l’élaboration des politiques, assurant ainsi que ces groupes aient leur mot à dire dans les négociations liées à l’agriculture ».
Image de bannière : Des produits agricoles sur un marché de Libreville au Gabon. Image de Kani Beat via Wikimédia Commons (CC BY-SA 4.0).
Citation :
Chen, D., Bodirsky, B., Wang, X. et al. (2025). Future food prices will become less sensitive to agricultural market prices and mitigation costs. Nature, Nature Food, volume 6, 85–96. https://doi.org/10.1038/s43016-024-01099-3
Les politiques climatiques, comme la taxe carbone, pourraient pénaliser les pays en développement
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