Nouvelles de l'environnement

Au Cameroun, les tensions persistent entre les communautés et Socfin pour le contrôle des terres agricoles

  • Les communautés du village Mbimbè, situé dans la partie littorale du Cameroun, s’opposent au renouvellement d’une plantation de palmier à huile, sur une parcelle de 250 hectares (617 acres).
  • Une manifestation contre une replantation sur ce domaine a eu lieu le 14 juillet 2025, dans le village, et a été fortement réprimée par les forces de sécurité camerounaises, avec à la clé des arrestations de quelques villageois, relaxés quelques jours plus tard.
  • Selon la Société financière des caoutchoucs (Socfin), la parcelle querellée à Mbimbè ne fait pas partie des terres destinées à la rétrocession aux communautés.
  • La holding luxembourgeoise déplore les lenteurs administratives avec l’administration foncière, qui freinent les avancées dans la résolution des revendications foncières.

YAOUNDÉ, Cameroun – « Ils nous ont embarqué, mes enfants et moi, dans un camion de la SOCAPALM (Société camerounaise des palmeraies) en direction de Dizangué ; ils nous ont emprisonnés au commissariat pendant trois jours ; chaque jour, ils fouettaient les enfants sur la plante des pieds … ».

Ce témoignage est de Pierre Minkeng, l’une des personnes interpellées le 14 juillet 2025, par les forces de sécurité camerounaises, lors d’une manifestation des membres de la communauté de Mbimbè, un village perdu dans les plantations de palmiers à huile de la SOCAPALM, dans la partie littorale du Cameroun. Joint au téléphone le 24 juillet dernier, l’homme de 57 ans, raconte les atrocités qu’il a subies avec sa progéniture, durant leur semaine de détention, dans les geôles du commissariat de Dizangué.

Ils avaient été arrêtés, alors qu’ils essayaient de s’opposer, à une opération de replanting/renouvellement d’une plantation de la SOCAPALM, filiale de la holding luxembourgeoise, la Société financière des caoutchoucs (Socfin), sur des terres disputées par cette société et les villageois.

Quelques jours plus tard, ils ont été libérés sous caution (garant), et sont déjà retournés dans leur village, toujours habités par l’inquiétude : « J’ai 57 ans, comment je vais vivre ? Ma maison se trouve dans les palmeraies de la SOCAPALM », dit Minkeng.

Plantation de palmiers à huile au Cameroun. Image de Flore de Preneuf/PROFOR via Flickr (CC BY-NC 2.0).
Plantation de palmiers à huile au Cameroun. Image de Flore de Preneuf/PROFOR via Flickr (CC BY-NC 2.0).

« La SOCAPALM n’a pas le droit de leur céder des terres »

À Mbimbè, les habitants revendiquent la rétrocession d’au moins 250 hectares de terres, exploitées par la SOCAPALM depuis 1972, conformément au bail emphytéotique conclu entre l’État du Cameroun et la société en 2005.

Selon la Synergie nationale des paysans et riverains du Cameroun (Synaparcam), une organisation à but non lucratif, engagée dans la défense des droits des communautés riveraines des plantations industrielles au Cameroun, la SOCAPALM n’est plus en droit d’exploiter ces terres aux confins du village, et devrait les rétrocéder aux communautés.

Michel Essonga, Responsable local de cette organisation, a expliqué à Mongabay au téléphone qu’« en 2000, lorsque l’État décide de privatiser sa société, il a demandé au repreneur (SOCAPALM) de rétrocéder les terres aux communautés, chaque fois qu’il veut renouveler ses plantations ». « Dans le bail emphytéotique, l’État a demandé au repreneur de laisser 250 hectares autour des communautés, jusqu’à ce qu’il vienne distraire ces parcelles comme espace vital. Alors, depuis que le repreneur a commencé à renouveler les plantations, il n’a pas laissé l’espace vital à ces communautés », dit Essonga.

Il importe de rappeler que dans l’avenant au bail emphytéotique de 2005, la SOCAPALM a restitué environ 20 000 hectares (49 421 acres) de terres à l’État du Cameroun, sur une superficie de plus de 78 000 hectares (192 742 acres) à l’origine, aux fins de rétrocession aux communautés.

Socfin, par la voix d’un de ses porte-paroles, explique, dans un courriel à Mongabay, que « ces terres ne sont plus occupées, ni exploitées par la SOCAPALM. La parcelle sur laquelle se sont déroulés les récents incidents (à Mbimbè), n’a donc aucun lien avec celles destinées à la rétrocession ».

Plantation industrielle de palmiers à huile au Cameroun. Image de Flore de Preneuf / Banque mondiale via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Plantation industrielle de palmiers à huile au Cameroun. Image de Flore de Preneuf / Banque mondiale via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).

Contacté par Mongabay, Jean Baptiste Mbonki, Sous-Préfet de Dizangué, l’autorité administrative compétente dans la localité, explique, au téléphone que « la SOCAPALM n’a pas le droit de leur céder des terres. Elle n’a pas de titre foncier sur les terres, c’est une concession qu’elle loue. C’est le titre foncier de l’État. Je leur ai dit d’écrire au ministre (des Domaines, du Cadastre et des Affaires foncières), mais ils se sont entêtés à aller détruire les plants mis en terre par la SOCAPALM ».

Socfin ajoute par ailleurs qu’il existe un protocole d’accord, signé le 23 mars 2025, entre la SOCAPALM et la communauté de Mbimbe, stipulant que la communauté ne s’opposerait pas au renouvellement des plantations de Mbambou.

Ce protocole, signé par Jean-Bosco Ngobe, chef du village Mbimbè en qualité de représentant de sa communauté, est contesté par une partie des villageois, au motif que « le chef l’a signé à l’insu de sa population », dit Essonga.

À Mbimbè, comme à Apouh à Ngog ou à Mbonjo, des villages situés dans la région du Littoral, les communautés riveraines sont régulièrement en conflit avec la SOCAPALM pour des questions foncières ou d’abus sexuels, et les tensions durent plusieurs années déjà.

Elles dénoncent presqu’à l’unisson l’accaparement de leurs terres et exigent la rétrocession d’une partie de ces terres, pour augmenter leur espace vital et créer de nouvelles fermes agricoles, dans un contexte marqué par une augmentation de la population.

Des habitations de fortune des communautés villageoises à Mbonjo. Image de Yannick Kenné pour Mongabay.
Des habitations de fortune des communautés villageoises à Mbonjo. Image de Yannick Kenné pour Mongabay.

Des terres à rétrocéder, otages des lenteurs administratives (?)

Plusieurs rapports d’enquêtes des organisations des droits humains et des médias internationaux, y compris ceux du cabinet Earthworm Foundation (EF), engagé par Socfin, ont confirmé les abus et les violations des droits des communautés par ses filiales à travers l’Afrique et l’Asie, avec en toile de fond la sempiternelle question foncière.

Des mesures correctives figurant dans des plans d’actions spécifiques ayant été mis à jour, en juin 2025, sont initiées par Socfin, en vue de corriger les manquements dans sa cohabitation avec les riverains de ses plantations à l’échelle de l’Afrique, et surtout d’apporter des solutions durables aux conflits fonciers sous-jacents. Mais les résultats de ces directives ne semblent pas (encore) satisfaire les attentes des riverains.

Socfin soutient que la réponse aux revendications foncières, notamment la rétrocession des terres aux communautés, relève de la compétence du gouvernement camerounais.

La holding luxembourgeoise précise que sa filiale SOCAPALM, a financé plusieurs expertises financières pour « densifier le bornage et préciser les limites des plantations », en concertation avec le ministère des Domaines, du Cadastre des Affaires foncières (MINDCAF). « Les expertises en cours devraient aboutir à une restitution supplémentaire de plusieurs milliers d’hectares à l’État, qui sera alors chargé d’en assurer la rétrocession aux communautés. Cette opération sera formalisée par un nouvel avenant au bail emphytéotique du 30 juin 2000, dès validation des surfaces par l’État », précise Socfin.

Le groupe déplore cependant les lenteurs administratives dans sa collaboration avec les services du MINDCAF, dont les délais de réponse et des services fonciers compliquent le respect des jalons fixés ; le manque de retours du « Comité d’évaluation et de suivi » mis en place par le MINDCAF, pour évaluer les mesures correctives de la SOCAPALM. En effet, ledit comité ne s’est pas encore réuni et retarde la production de ses recommandations.

Faisant suite aux recommandations de EF pour renforcer sa collaboration avec les communautés, Socfin dit qu’elle envisage de mettre en place un planning de réunions d’échanges formels au moins une fois par trimestre, pour faire le point sur les travaux et répondre aux préoccupations.

Aussi prévoit-elle la mise en place des supports de réunion enrichis, qui incluent désormais les sujets sensibles et détaillent les actions concrètes entreprises par Socfin pour répondre aux dénonciations formulées contre ses filiales, de même que la présentation d’un bilan annuel, pour présenter les progrès réalisés, les actions menées et les perspectives, en présence des représentants communautaires et des autorités locales.

Image de bannière : Plantation de palmiers à huile au Cameroun. Image de Flore de Preneuf/PROFOR via Flickr (CC BY-NC 2.0).

Une enquête internationale confirme la responsabilité de Socfin dans les cas d’abus dénoncés par les communautés riveraines de ses plantations

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