Nouvelles de l'environnement

Au Cameroun, des paysans font l’agriculture avec de l’eau de puits

  • Des cultivateurs se ravitaillent dans des points d’eau pour arroser leurs plantes, quand les pluies sont rares.
  • Les puits sont creusés par des nantis et ceux qui n’ont pas la possibilité de le faire s’y approvisionnent péniblement pour limiter les pertes de leurs cultures.
  • Des spécialistes de l’agriculture reconnaissent l’efficacité de cette solution, à condition de s’assurer que le point d’eau n’est pas pollué pour contaminer les plantes.

Des agriculteurs se sont rués dans leurs champs pour semer le maïs, la graine de courge, le manioc ou le cacaoyer après la première pluie tombée le 7 mars 2025. Mais, de cette date au 23 avril dernier, quatre averses seulement ont arrosé le sol du canton Yangben. Du coup, les plantes, asséchées, se battent entre la vie et la mort.

La situation date de plusieurs années dans cette partie département du Mbam-et-Inoubou, situé à l’extrême ouest de la région du Centre du Cameroun, à 145 kilomètres de Yaoundé. « Depuis plus de dix ans, nous avons des difficultés pour produire, parce que l’eau devient rare. Nous avions l’habitude de faire les premières semailles à la mi-mars. Et, les pluies s’enchaînaient jusqu’à la fin du mois de juin. Nous avons perdu les repères de notre climat équatorial (deux saisons sèches et deux saisons de pluies, comme nous l’avons après à l’école) », a dit Minette Béhémi, agricultrice dans le canton Lémandé, dans l’arrondissement de Bokito, aujourd’hui, âgée de 64 ans.

Face à la situation, pour éviter de perdre la semence mise en terre, des paysans, seul ou en groupe, développent des solutions en fonction de leurs moyens.

C’est le cas de Christophe Bense, agriculteur, qui produit du cacaoyer et des arbres fruitiers (orangers, citronniers, mandariniers, avocatiers, entre autres) sur 10 hectares de savane dans le canton Yangben, dans le même arrondissement dont il est natif.

Dans son champ où Mongabay l’a rencontré, Bense a creusé une centaine de puits, selon ses dires. À l’aide des fûts qu’il a installés, il peut faire des réserves d’eau qu’il utilise sur les portions les moins arrosées, car, a-t-il confié, l’on n’a pas trouvé de l’eau à certains endroits forés.

À l’aide des tuyaux, il transporte facilement l’eau vers les différents points. « L’idée d’avoir les puits dans ma plantation au départ était pour faciliter la pulvérisation des pesticides pour nettoyer le champ et protéger les plants contre des nuisibles », a dit Bense.

Un des puits principaux de Christophe Bense dans sa plantation à Yangben. Image d'Adrienne Engono pour Mongabay.
Un des puits principaux de Christophe Bense dans sa plantation à Yangben. Image d’Adrienne Engono pour Mongabay.

Sauver les variétés naturelles, plus exigeantes en eau, de la chaleur

Seulement, dit-il, à cause de la montée de la chaleur et du soleil, il est en train de s’équiper de motopompes et des installations pour sauver ses cultures pendant la rude saison sèche. « Je vais produire des spéculations d’oranges naturelles. J’ai découvert que les variétés greffées ne sont pas succulentes, elles ne sont pas bonnes au goût et sont moins juteuses. Et, les oranges naturelles sont plus appréciées et sont plus exigeantes en eau que les greffées ».

Les puits de Bense aident aussi d’autres paysans du village voisin, Omendé. Certains ont même fait leur pépinière dans sa plantation, afin de réduire la distance à parcourir pour l’arrosage. Cette proximité a fait que ces derniers n’ont perdu aucun plant.

À contrario, Jean-désiré Balo, n’a pas eu un accès facile à l’eau. « Les petits ruisseaux autour de ma pépinière ont tari. J’ai perdu plus de 60 % de plants. A partir de décembre, l’eau est rare et il devient impossible d’arroser les pépinières ne serait-ce qu’une fois par semaine. Or, le strict minimum est de trois arrosages pour les sept jours », a indiqué ce jeune agriculteur de Yangben.

Balo a retardé d’un mois la pulvérisation de l’herbicide sur la parcelle qu’il voulait apprêter pour repiquer son cacaoyer. « Il n’y avait pas moyen de trouver ne serait-ce que 16 litres d’eau pour « herbicider ». Il fallait débourser au moins 3000 francs CFA (6 USD) pour avoir 500 litres d’eau au forage. Je ne pouvais pas m’offrir ce luxe », a-t-il indiqué.

À l'aide d'un morceau de bouteille enfoui dans le sol, surmonté d'un tuyau, Bense arrose ses plantes par le système de goutte à goutte. Image d'Adrienne Engono pour Mongabay.
À l’aide d’un morceau de bouteille enfoui dans le sol, surmonté d’un tuyau, Bense arrose ses plantes par le système de goutte à goutte. Image d’Adrienne Engono pour Mongabay.

Des bouteilles en plastique pour sauver deux hectares de cacaoyer

René Bitang, agriculteur au village Bakoa dans le canton Gunu sud, arrondissement de Bokito, ne s’est pas simplement limité à l’arrosage de la pépinière. Pour sauver ses deux hectares de cacaoyer, il a conçu un système de goutte à goutte. Un travail qu’il a abattu pendant deux années. « J’ai utilisé des bouteilles en plastique que j’ai accrochées sur des tuteurs (petites branches d’arbre). Au fond des bouteilles, nous avons formé de petits trous par lesquels l’eau coulait en petites gouttes. Cela a duré de 2009 à 2011. Ma femme et moi, devions recharger les bouteilles d’eau tous les trois jours sur une surface de deux hectares. Les gouttelettes d’eau qui tombaient servaient à humidifier le sol. Cette cacaoyère produit déjà, mais nous ne sommes pas toujours à l’abri des dégâts du soleil qui s’intensifie dès le mois de décembre », a dit Bitang, rencontré à Bokito, à sept kilomètres de son village, le 28 avril dernier. Un système que Bense a commencé à expérimenter depuis quelques jours.

Sylvain Bidias, producteur de cacao au village Bakoa, lui aussi, rencontré à Bokito, ce 28 avril, a dit qu’à cause de la forte chaleur, trente pieds de cacaoyer sur 1200 plantés par hectare, dans son exploitation agricole se sont asséchés ; une perte de 100 mètres carrés au total, sur un hectare.

Il en est de même pour Jérôme Kibiné du village Yoro, dans le même arrondissement, pour qui, il est indispensable de creuser des puits dans les plantations aujourd’hui pour éviter les pertes des cultures. « Nous devons déjà intégrer cette nouvelle pratique. Il y a des gens qui ont perdu des pépinières entières, parce que le soleil était très rude et ils doivent recommencer à zéro. Le soleil détruit le cacaoyer, même lorsqu’il produit déjà. Au contact d’une seule pluie, il périt. Il faut les tailler pour qu’il recommence à se développer ; attendre trois ans, en moyenne, pour qu’il produise encore. Sans compter que si le climat n’est pas clément l’année suivante, il ne va pas se relever », a indiqué Kibiné.

Pour lui, les changements climatiques sont déjà effectifs dans le Mbam. Comparant les périodes, Kibiné, déjà âgé de plus de soixante ans, se souvient qu’il y a une trentaine d’années, les parents s’en sortaient mieux en agriculture, parce que le climat était moins agressif. « Avant, nos parents ne se gênaient pas trop. Ils n’avaient même pas besoin de pépinière. Il suffisait que celui-là cueille une cabosse de cacao et laisse tomber des fèves quelque part. Au bout de quelques temps, c’est une cacaoyère qui se créait sans difficulté », dit-il.

Un cacaoyer asséché dans la plantation de Bense à Yangben. Image d'Adrienne Engono pour Mongabay.
Un cacaoyer asséché dans la plantation de Bense à Yangben. Image d’Adrienne Engono pour Mongabay.

William Tagne est ingénieur agronome, promoteur de Willizinger Farm, une structure d’encadrement des agriculteurs et des institutions basées à Douala. Joint au téléphone, il indique que l’eau est indispensable pour le développement des plantes, quelle que soit son origine.

Seulement, Tagne indique que la santé de l’eau utilisée est importante. « L’eau de pluie arrose directement les plantes et celles-ci la reçoivent et se développent bien. Si les producteurs utilisent l’eau des puits, elle est aussi bonne lorsqu’elle n’a pas été polluée, parce que si c’est le cas, elle va infecter les plantes », a dit Tagne. « Si la nappe est saine, l’eau des puits a plus d’avantages dans la mesure où, plus l’on la retrouve en profondeur, plus elle est riche en oligo-éléments tels que le zinc, le calcaire, le calcium, qui sont importants pour la vie de la plante », a-t-il précisé.

Insuffisance d’encadrement

Le rapport de 2022 de l’Institut national de la statistique (INS), basé à Yaoundé, chiffre à 2 ,7 millions, la population du Cameroun présente dans le secteur agricole. Mais la Banque mondiale avait déjà observé, dans le « Rapport annuel sur l’efficacité du développement 2004 » que la valeur ajoutée du secteur agricole qui représentait 44 % en 2001, a considérablement décliné à 17 % en 2021. Le changement climatique figure parmi les défis à relever.

Le Cameroun a annoncé son passage à l’agriculture de seconde génération pour un rendement plus important. Avec les changements climatiques, la disponibilité de la ressource en eau reste une des conditions capitales pour y arriver. Ce qui signifie que les zones rurales doivent être dotées des ressources matérielles et humaines conséquentes pour un rendement agricole satisfaisant.

Un agriculteur se ravitaille dans l’un des puits de Bense. Image d'Adrienne Engono pour Mongabay.
Un agriculteur se ravitaille dans l’un des puits de Bense. Image d’Adrienne Engono pour Mongabay.

Jusqu’ici, l’accompagnement des producteurs agricoles pour l’adaptation au changement climatique est encore faible, selon certains paysans. « Nous nous débrouillons tous seuls. Si quelqu’un parmi nous expérimente une pratique qui réussit, il l’enseigne aux autres », a affirmé Bense.

À Bokito, le Délégué du ministère de l’Agriculture et du développement rural (MINADER) pour l’arrondissement, Ghislain Messina Eteme, a dit à Mongabay, que cette unité administrative est durement affectée par le changement climatique, avec particulièrement, une longue et très rude saison sèche.

Il conseille aux agriculteurs de respecter les instructions des autorités sur les périodes de semis. Il s’agit de ne pas semer à contretemps, suivre le calendrier agricole publié en fonction des zones écologiques.

Ces instructions sont souvent données par des experts de l’Observatoire national sur le changement climatique en collaboration avec le ministère en charge de l’agriculture. Elles concernent les périodes effectives du lancement de la campagne agricole dans les différentes zones écologiques.

Bense déplore que ces informations ne soient pas vulgarisées pour que les paysans les reçoivent et les mettent en pratique. Il souligne aussi que des formations des agriculteurs sur des gestes à adopter face aux changements climatiques sont indispensables.

Si les hommes s’adaptent quand-même, les femmes restent encore vulnérables quand elles n’ont pas d’enfants pour les aider à transporter de l’eau des puits éloignés. Elles espèrent que les décideurs pourront plus leur faciliter l’accès à l’eau et aux variétés de semences adéquates pour l’amélioration de leur rendement agricole, car jusqu’ici, les puits sont, majoritairement, l’œuvre des hommes.

Image de bannière : Un des puits principaux de Christophe Bense dans sa plantation à Yangben. Image d’Adrienne Engono pour Mongabay.

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