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Une guêpe « guerrière » aide les agriculteurs à contrôler la chenille mineuse de l’épi de mil au Niger

  • À Badifa, dans le sud-ouest du Niger, les paysans utilisent une guêpe parasitoïde, pour lutter contre la chenille mineuse de l’épi de mil, un ravageur responsable de pertes agricoles pouvant atteindre 60 %.
  • Introduite dans ce village il y a cinq ans, cette méthode de lutte biologique s’appuie sur un élevage local de guêpes nourries à partir de larves de d’un insecte-hôte facile à produire.
  • Les attaques de chenilles ont diminué de plus de 70 %, les rendements se sont améliorés, et les paysans formés se disent convaincus de l’efficacité de cette solution écologique, économique et non toxique.
  • Malgré son efficacité, la méthode reste marginale, en raison d’un manque de soutien institutionnel, de formations insuffisantes et de la dépendance aux projets pilotes, freinant ainsi sa généralisation à l’échelle nationale.

À Badifa, un village de la commune de Koré Mairoua, situé dans la région de Dosso au Niger, les paysans se préparent activement à la nouvelle saison des pluies. Les premières averses, accueillies avec soulagement, ont déjà permis à certains de démarrer les semis. Ici, le mil règne en maître. « À Badifa, si vous semez autre chose que du mil, c’est comme si vous n’aviez rien cultivé », affirme Namata Maizama, représentant du chef du village. « C’est notre héritage agricole, mais aussi notre principale source de revenus », ajoute-t-il.

Il y a encore peu de temps, cette précieuse céréale suscitait davantage d’angoisse que d’espoir. Chaque saison, dès l’apparition des premiers épis, un ennemi invisible s’invitait dans les champs : la chenille mineuse ou murzuna en haoussa. Cette larve de papillon perçait les grains de l’intérieur, réduisant la récolte en poussière. « Elle pouvait anéantir un champ entier. Le mil infesté n’avait ni goût ni valeur », dit Chaibou Nakiada, agro-fermier du village.

Quand l’ennemi se cache dans les grains

Selon une étude publiée en 2017, dans la revue scientifique en ligne Cahiers Agricultures, la chenille mineuse de l’épi (Heliocheilus albipunctella) est un lépidoptère dont la larve s’attaque au mil en creusant des galeries dans les épis, ce qui les rend impropres à la consommation. Elle ronge les graines de l’intérieur, les réduit en poussière, détruit la récolte et appauvrit les agriculteurs. Cette chenille, qui se développe sur l’organe de fructification du mil, peut provoquer jusqu’à 60 % de pertes de rendement en grain lors des années de fortes pullulations.

Selon Dr Laminou Saidou Amani, entomologiste à l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi arides (ICRISAT) : « Le ravageur est difficile à détecter au début. En effet, les femelles papillons pondent leurs œufs discrètement à la base des inflorescences de mil. Dès l’éclosion, les chenilles pénètrent à l’intérieur des épis, se nourrissant des graines et y creusant des galeries invisibles de l’extérieur. Lorsqu’un champ est infesté, les épis prennent un aspect flétri, brunâtre, avec des graines réduites. »

L’habrobracon en phase nymphale. Photo fournie par Dr Laminou Saidou Amani, entomologiste à ICRISAT.
L’habrobracon en phase nymphale. Image fournie par Dr Laminou Saidou Amani, entomologiste à ICRISAT.

Pour les paysans, c’est un désastre. « Elle se propageait à une si grande vitesse qu’elle pouvait en finir avec un champ tout entier », dit Chaibou Nakyada, agro-fermier du village. « Elle ronge certaines graines et concasse d’autres. Personne ne voulait acheter le mil infesté. Il n’avait aucun goût non plus », précise-t-il.

« J’ai vu plusieurs cultivateurs abandonner complètement leurs champs en cas d’attaque de la mineuse. La seule solution, c’est de hâter les récoltes. De couper les épis avant qu’ils ne soient totalement détruits », témoigne Abdoulaye Namata, un autre fermier de Badifa.

Ce que confirme Sani Nabirni, agriculteur aussi : « Il y a encore six ans, je me souviens n’avoir pu sauver que six bottes, parmi les vingt bottes, que j’ai été obligé de récolter avant la maturité complète, quand la mineuse s’est emparée de mon champ. C’était l’une des pires années de ma vie. Et c’était assez fréquent à l’époque ».

Dans une région déjà confrontée à l’insécurité alimentaire et à des conditions climatiques extrêmes, cette menace pèse lourd sur les rendements agricoles et aggrave la vulnérabilité des communautés rurales.

La lutte biologique via la guêpe

C’est pour répondre aux attaques de chenille mineuse de l’épi de mil qu’une méthode de lutte biologique novatrice a été introduite dans le village : l’élevage et le lâcher de l’Habrobracon hebetor, une minuscule guêpe parasitoïde qui s’attaque directement aux larves de la chenille mineuse.

Comme l’explique Dr Amani, entomologiste à l’Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi arides (ICRISAT), la guêpe ne mesure que quelques millimètres, mais agit avec une précision chirurgicale. « Lorsqu’elle repère une chenille hôte, elle la paralyse en y injectant une toxine à l’aide de son ovipositeur. Ensuite, elle y dépose ses œufs. Les larves qui en émergent se nourrissent de la chenille jusqu’à la vider entièrement. Le cycle de développement complet, de l’œuf à l’adulte, prend en moyenne 8 à 12 jours », dit-il. Cette rapidité fait de l’Habrobracon un outil de lutte très efficace, surtout en période de forte infestation.

À Badifa, comme dans plusieurs autres localités du Niger, plusieurs paysans ont reçu des formations sur cette méthode de lutte contre la chenille mineuse de l’épi de mil, s’appuyant sur un hôte de substitution : la larve du Corcyra cephalonica, un insecte de stock facile à produire localement.

Chaibou fait partie de ceux qui ont reçu cette formation. Dans un petit local aménagé pour l’occasion, il élève méticuleusement les deux insectes : le Corcyra cephalonica, et son prédateur naturel, la guêpe Habrobracon hebetor. Le premier sert d’hôte à l’élevage du second.

Dans cette tâche, il se fait aider par plusieurs jeunes agriculteurs de Badifa, partageant avec eux son expérience et son savoir-faire en la matière.

Dans des boîtes en plastique recouvertes de moustiquaires, les fermiers placent des grains de mil pour nourrir les papillons de Corcyra, qui pondent à leur tour des œufs. Les larves issues de cette ponte sont ensuite parasitées par la guêpe. « Une femelle Habrobracon peut pondre une centaine d’œufs sur les larves de Corcyra. Les petites guêpes qui naissent en quelques jours tuent les chenilles en s’en nourrissant », explique-t-il.

Une fois que les guêpes sont prêtes, elles sont transférées dans les champs par deux méthodes : soit par un « lâcher direct », où les boîtes d’élevage sont ouvertes directement au-dessus des champs infestés, soit par un « lâcher indirect », où les larves parasitées sont enfermées dans de petits sacs en jute suspendus aux épis. Les guêpes s’échappent progressivement pour attaquer les chenilles dans les champs.

Cette méthode de lutte biologique, bien que peu connue du grand public, est utilisée dans divers pays pour le contrôle des ravageurs. Selon l’étude citée plus haut, au Niger, une vaste opération a été menée en 2015 et 2016, avec le déploiement du parasitoïde Habrobracon hebetor dans les cinq régions agricoles du pays (Dosso, Maradi, Tillabéry, Tahoua et Zinder). Cette initiative, impliquant aussi les organisations paysannes, visait à sensibiliser les producteurs, repérer les zones infestées et procéder à des lâchers ciblés via plus de 9 000 sacs contenant les insectes. En deux ans, plus de 1,4 million d’hectares ont été couverts, représentant environ 21 % des surfaces cultivées en mil dans les zones ciblées. Les résultats se sont révélés encourageants : 77 % des agriculteurs interrogés ont exprimé leur satisfaction, estimant à 76 % la mortalité des larves nuisibles et à 50 % l’augmentation des rendements.

Ce qui rend cette méthode particulièrement intéressante dans le contexte nigérien, c’est son « faible coût et son caractère écologique. Contrairement aux insecticides chimiques, les parasitoïdes n’ont pas d’effet nocif sur la santé humaine ni sur l’environnement », précise Dr Amani.

La mineuse de l’épi de mil à l’état adulte. Photo fournie par Dr Laminou Saidou Amani, entomologiste à ICRISAT.
La mineuse de l’épi de mil à l’état adulte. Image fournie par Dr Laminou Saidou Amani, entomologiste à ICRISAT.

« C’est une méthode propre, sans pesticide. Elle ne tue pas les pollinisateurs, elle est efficace et facile à mettre en œuvre une fois qu’on est formé », explique aussi Chaibou. « Pour un paysan comme moi, cette technique est une véritable révolution. Elle offre la possibilité de protéger sa culture sans dépendre des produits chimiques coûteux et souvent indisponibles », ajoute-t-il.

Avec l’aide des actions initiées par le gouvernement, Chaibou a formé une trentaine de paysans de la commune de Dankassari à cette technique. « Au début, certains étaient sceptiques. Ils pensaient que ces petites bêtes ne pouvaient rien contre la murzuna. Mais après la première saison, ils ont vu la différence », dit-il avec fierté.

Certains producteurs ont même vu leur rendement doubler. « On ne voyait plus les épis troués comme avant. Le mil était propre, bon à vendre et à manger. C’est pourquoi je dis tout le temps que cette guêpe mérite bien son nom de guerrière. Elle mène un vrai combat pour nous », témoigne Sani Nabirni, content de cette innovation.

Une science au service du terrain

Cette innovation est le fruit de plusieurs années de recherche. Comme l’explique Dr Amani « Habrobracon hebetor est un parasitoïde très efficace, déjà utilisé dans d’autres pays contre divers ravageurs. Il est adapté aux conditions sahéliennes et peut être produit localement avec peu de moyens ». Il ajoute : « Cette solution s’inscrit dans la logique de l’agroécologie, en valorisant les interactions naturelles plutôt qu’en les détruisant ».

Selon un article publié par le Centre pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Niger (CSAN), le recours à cette guêpe représente une alternative crédible et durable dans un contexte marqué par la raréfaction des ressources et la montée des vulnérabilités climatiques. En s’attaquant uniquement aux larves de ravageurs, la guêpe permet de conserver l’équilibre écologique du champ, tout en assurant un contrôle naturel des nuisibles.

Des défis persistants

Malgré son efficacité, la méthode peine à se généraliser. « Certains ne croient pas à cette méthode tant qu’il n’y a pas un projet qui l’accompagne », regrette Chaibou. L’absence de subventions pour démarrer un élevage, le manque d’accès à l’information, et parfois une méfiance vis-à-vis des méthodes non traditionnelles, constituent des freins importants.

De plus, l’élevage de ces insectes demande une certaine rigueur. Il faut un espace adapté, une température stable, et du matériel de base. « Si on arrête de produire le Corcyra, on ne peut plus avoir de guêpes. C’est un cycle qu’il faut maintenir », explique Chaibou.

Le soutien institutionnel est donc crucial. Des programmes de vulgarisation, des formations continues et des subventions ciblées pourraient aider à pérenniser cette pratique. « C’est maintenant qu’il faut agir, avant que la chenille ne revienne en force », dit-il.

Une solution d’avenir dans un contexte de crise climatique

Au Niger, comme dans d’autres pays sahéliens, les effets du changement climatique exacerbent les problèmes agricoles. La fréquence des sécheresses, la dégradation des sols et l’irrégularité des pluies rendent la production alimentaire de plus en plus incertaine. Dans ce contexte, des solutions écologiques, adaptatives et peu coûteuses comme celle de l’Habrobracon hebetor semblent prendre sens sur le terrain.

Pour Dr Amani, « la lutte biologique n’est pas seulement une alternative, c’est une nécessité. Elle permet de restaurer un équilibre dans les agroécosystèmes, de renforcer la résilience des paysans et de réduire leur dépendance aux intrants chimiques ».

Selon lui, l’approche doit être systémique. « Il faut intégrer la lutte biologique dans une gestion intégrée des cultures : pratiques culturales adaptées, rotations, variétés résistantes, et bien sûr sensibilisation des communautés ».

Un aperçu des dégâts causés par la mineuse de l’épi de mil (la chenille mineuse de l’épi (Heliocheilus albipunctella). Photo fournie par Dr Laminou Saidou Amani, entomologiste à ICRISAT.
Un aperçu des dégâts causés par la mineuse de l’épi de mil (la chenille mineuse de l’épi (Heliocheilus albipunctella). Image fournie par Dr Laminou Saidou Amani, entomologiste à ICRISAT.

Une mobilisation locale à encourager

Chaibou vend désormais ses guêpes à prix réduit à d’autres paysans, espérant que la lutte biologique puisse s’étendre. Il rêve de créer une coopérative locale capable de produire en grande quantité et de diffuser la méthode dans tout le département.

Pour lui, cette méthode est plus qu’une solution agricole : c’est un acte de résilience face à la crise climatique et à la précarité alimentaire. « Avec cette guêpe, on protège notre mil, notre culture, notre survie », conclut-il, le regard fixé sur le sol de son champ encore humide, dû à la première pluie tombée la veille à Badifa.

Enracinée dans une tradition agricole éprouvée, mais ouverte à l’innovation, la communauté de Badifa trace aujourd’hui une voie nouvelle, où des insectes minuscules deviennent des alliés puissants contre les ennemies de leur principale source de revenu, le mil.

Image de bannière : Un aperçu des dégâts causés par la mineuse de l’épi de mil (la chenille mineuse de l’épi (Heliocheilus albipunctella). Photo fournie par Dr Laminou Saidou Amani, entomologiste à ICRISAT.

Adamou Hamadou : Le mil Chakti, « une solution concrète pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle » au Niger

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