Nouvelles de l'environnement

Guinée : Vaincre le changement climatique par le caïlcédrat menacé de disparition

  • À cause du changement climatique, le caïlcédrat est en voie de disparition dans les forêts guinéennes.
  • La préfecture de Boké, située dans le nord-ouest du pays, est particulièrement touchée. Elle perd progressivement ses arbres de protection, essentiels à l'équilibre écologique local.
  • L'aridification des sols et l'assèchement des cours d'eau entrainent une baisse significative de la production agricole dans plusieurs localités.
  • Depuis 2022, les autorités locales mènent des actions de sensibilisation auprès des communautés sur la nécessité de conserver les forêts, notamment les essences locales comme le caïlcédrat, afin de préserver les écosystèmes et les moyens de substance et vaincre le changement climatique.

Au pied des collines poussiéreuses de Boké, dans le nord-ouest de la Guinée, le chant des oiseaux s’estompe, remplacé par le silence sec des vents chargés de poussière. Il y a une décennie encore, cette région abritait de somptueuses forêts dominées par l’ombre imposante du caïlcédrat (Khaya Senegalensis). Aujourd’hui, ces forêts majestueuses ont laissé place à de vastes clairières arides, striées de pistes rouges, marquées par la sécheresse, la déforestation et la perte irréversible de la biodiversité.

« Aujourd’hui, la ville de Boké est menacée. Si ça continue comme ça, on risque de quitter et partir à Conakry ou vers le Sénégal ou la Guinée-Bissau », déplore au micro de Mongabay, Alpha Santana Koulibaly, un producteur agricole sexagénaire.

Il observe avec impuissance la baisse de la productivité de ses terres : « Nos cultures ne donnent plus comme avant. Tout est dégradé. Les entreprises minières détruisent les zones boisées, et parfois, les populations participent à cette déforestation. Nos champs deviennent arides, et les sources d’eau s’assèchent ».

Cette situation n’est pas unique à Boké. Elle traduit une tendance générale dans les zones forestières guinéennes où le Khaya Senegalensis, l’une des espèces phares de la région, tend à disparaître progressivement.

Un géant végétal menacé

Le caïlcédrat est un arbre majestueux qui peut atteindre 30 à 40 mètres de hauteur. On le trouve dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, notamment en Guinée, au Mali, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Sa robustesse et son rôle écologique sont cruciaux.

L’arbre joue un rôle essentiel dans la protection de l’environnement, la purification de l’air et la prévention de l’érosion des sols. Il est particulièrement efficace pour séquestrer le carbone, ce qui en fait un allié de taille dans la lutte contre le changement climatique.

« Ce sont des plantes très hautes. Donc, leur absorption du CO₂ est proportionnellement plus élevée. Le Khaya absorbe plus de carbone que beaucoup d’autres arbres », explique Paul Camara, Directeur préfectoral de l’Environnement et du développement durable de Boké.

Le Lieutenant-colonel Moussa Kanté, ancien directeur de l’Office guinéen du bois (OGUIB), renchérit : « Par la photosynthèse, les plantes captent le dioxyde de carbone présent dans l’air et rejettent de l’oxygène. Le caïlcédrat, dominant souvent la canopée, capte une quantité très importante de CO₂. C’est un arbre remarquable à ce titre ».

Le caïlcédrat, majestueux arbre pouvant atteindre 30 à 40 mètres de hauteur, représente l’ultime alternative pour lutter contre les effets du changement climatique en Guinée. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.
Le caïlcédrat, majestueux arbre pouvant atteindre 30 à 40 mètres de hauteur, représente une alternative pour lutter contre les effets du changement climatique en Guinée. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.

Une biodiversité en péril

L’importance écologique du caïlcédrat va au-delà de la seule séquestration du carbone. Il abrite des oiseaux, attire les insectes pollinisateurs et constitue un habitat pour d’autres espèces animales et végétales. Dans les écosystèmes forestiers et les savanes guinéennes, il agit comme un pilier de l’équilibre biologique, selon le Lieutenant-Colonel Kanté.

« Le Khaya est un protecteur dans la forêt. Partout où il est présent, les petits arbres poussent à son abri. Il tempère le vent, protège les sols, et favorise la régénération naturelle », explique Kerfala Soumah, pépiniériste originaire de la forêt classée de Kakimbo, située en banlieue de Conakry, dans la commune de Ratoma.

Cette forêt, qui couvrait autrefois environ 117 hectares en périphérie de Conakry, a été réduite à 15 hectares. Et avec elle, le nombre de caïlcédrat a chuté dramatiquement: « Avant, on comptait plus de 100 arbres de Khaya, mais aujourd’hui on ne trouve pas plus de 5 », ajoute-t-il avec amertume.

Selon Global Forest Watch, une plateforme en ligne de partage de données sur les forêts à travers le monde, entre 2001 et 2023, la Guinée a perdu environ 2 150 000 ha de couvert végétal, soit l’équivalent de la superficie du Djibouti, ce qui équivaut à 949 millions de tonnes de CO₂ relâchées dans l’atmosphère. Ce recul est d’autant plus inquiétant que le pays comptait 14 millions d’hectares de forêts dans les années 1960, contre seulement 700 000 ha aujourd’hui, soit une perte de plus de 95 %.

Dans sa Contribution Déterminée au niveau National (CDN), la Guinée vise une réduction inconditionnelle de 9,7 % de ses émissions d’ici à 2030, soit 2 056 kilotonnes équivalent CO₂ par an. Toutefois, la tendance indique une croissance des émissions de 5 % par an entre 2020 et 2030, mettant en évidence la nécessité urgente de renforcer les politiques de préservation forestière et de lutte contre le changement climatique.

Les caïlcédrats formant une haie dans les rues des grandes villes de la Guinée comme ici dans la ville de Forécariah ont pratiquement disparu, en raison des pressions humaines. Une biodiversité indispensable dans la séquestration du carbone et l’atténuation des effets du changement climatique dans le pays. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.
Les caïlcédrats formant une haie dans les rues des grandes villes de la Guinée comme ici dans la ville de Forécariah ont pratiquement disparu, en raison des pressions humaines et des effets du climat. Ces arbres constituent pourtant une biodiversité indispensable dans la séquestration du carbone et l’atténuation des effets du changement climatique dans le pays. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.

Le Khaya, une plante à multiples usages

Le caïlcédrat n’est pas seulement un acteur écologique. C’est aussi une plante médicinale, utilitaire et économique. Une étude souligne les usages variés de ses graines, feuilles et écorces. Elles sont utilisées dans le traitement de plusieurs maladies. L’écorce, en particulier, est connue pour ses propriétés anti-inflammatoires, et son utilisation dans le traitement de l’arthrite, des lombalgies et autres douleurs articulaires, mais aussi dans le traitement des dermatoses.

« C’est une espèce qui a beaucoup d’utilité dans la vie des populations pour ses vertus médicinales », dit Abdramane Diakité, ingénieur et juriste en environnement, en service à la Direction des pollutions, nuisances et changements climatiques en Guinée. « Elle peut être utilisée pour traiter certaines maladies telles que le paludisme et bien d’autres ».

Le Khaya est une plante utilisée aussi comme bois d’énergie et dans la menuiserie, à cause de la qualité de son bois. Son tronc est débité en pièces de bois pour la charpente. « C’est un arbre qui a une grande importance du point de vue commercial et écologique », dit Camara.

Il sert également à l’embellissement des villes à travers sa silhouette majestueuse et la densité de ses feuilles protégeant les habitations contre les vents violents, grâce à sa capacité de résistance et d’enracinement.

« Quand vous prenez les villes comme Boké et Forécariah, il y avait des arbres d’alignement depuis le temps colonial qui ne sont composés que de Khaya Senegalensis », a dit le Lieutenant-colonel Kanté.

Vers une extinction silencieuse de Khaya?

Le caïlcédrat est une plante qui a beaucoup d’utilité dans la vie des populations de Boké, sa disparition risque d’entrainer des conséquences climatiques, notamment la sécheresse, l’aridification des terres, l’érosion du sol et l’assèchement des cours d’eau.

En plus, elle risque de favoriser l’apparition de certaines maladies endémiques, réduire la production agricole et compromettre la sécurité alimentaire.

« Si nous réussissons à couvrir 50 % du sol de Boké avec les espèces comme Khaya Senegalensis, ça va nous permettre de mieux vivre, et le changement climatique n’aura pas sa présence ici », déclare Camara.

Pour Abdourahmane Diakité, une forte relation existe entre caïlcédrat et les communautés. Pour éviter toute forme d’agression contre la plante, il propose de créer des conditions pour que les communautés puissent avoir accès à des soins pharmaceutiques de qualité. « Il faudrait que les autorités prennent des dispositions pour créer des forêts privées qui vont être exploitées pour des besoins et laisser les plantes naturelles dans la nature ».

« Avant, les pirogues étaient faites avec le tronc de Khaya, mais aujourd’hui il est devenu rare. C’est pourquoi les pêcheurs préfèrent les petites pirogues de fortune. Sinon, une pirogue de Khaya peut résister pendant 25 à 30 ans, voire plus », dit au téléphone le Lieutenant-colonel Kanté, à Mongabay.

Kerfala Soumah, dans sa pépinière dans la forêt de Kakimbo en Guinée, est convaincu que lutte contre les effets du changement climatique passe par reboisement du pays par des essences locales comme le caïlcédrat, un arbre essentiel dans la protection de l’environnement, la purification de l’air et la prévention de l’érosion des sols. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.
Kerfala Soumah, dans sa pépinière dans la forêt de Kakimbo en Guinée, est convaincu que lutte contre les effets du changement climatique passe par reboisement du pays par des essences locales comme le caïlcédrat, un arbre essentiel dans la protection de l’environnement, la purification de l’air et la prévention de l’érosion des sols. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.

Des initiatives locales de préservation

Des voix s’élèvent pour préserver le caïlcédrat. Le Lieutenant-colonel Kanté est devenu l’un des promoteurs des essences locales dans son village natal à Siguiri en Haute Guinée.

« Je suis engagé dans un projet de reboisement. J’ai plus de 1 500 plants de Khaya dans ma pépinière, et plus de 50 kg de graines de Gmelina (Gmelinaarborea). C’est ma manière de lutter contre la disparition de nos arbres ancestraux ».

Ces efforts individuels, bien que salutaires, nécessitent un accompagnement institutionnel fort. Sur les 692 espèces d’arbres répertoriées en Guinée, 75 sont menacées de disparition, soit environ 11 %, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Malgré sa capacité de résistance face au changement climatique, le caïlcédrat est un arbre qui est en souffrance. Dans les forêts guinéennes, notamment à Boké, cette espèce disparait à causes des pressions tant climatiques qu’anthropiques. C’est pourquoi, la promotion des essences locales devient une priorité au regard des menaces climatiques auxquelles les communautés sont confrontées.

« Ce sont les genres d’espèces dont nous faisons la promotion », a dit Camara, « Nous conseillons toujours aux pépiniéristes d’avoir beaucoup d’essence de caïlcédrat dans leurs pépinières », a-t-il précisé.

Depuis 2022, l’autorité environnementale de Boké multiplie les activités de sensibilisation pour rappeler aux communautés l’importance de la conservation des forêts locales. Elle émet parfois des appels à l’endroit des sociétés minières, afin d’intégrer dans leur programme de reboisement la promotion des espèces locales telles que le caïlcédrat, le lengué (en Bambara) (Afzelia africana), le Gmelina (Gmelinaarborea), le néré (Parkiabiglobosa), etc.

Pour certains pépiniéristes, les essences locales ne sont pas valorisées dans la restauration des zones dégradées. À leur tour, ils invitent les autorités à prendre les dispositions nécessaires, afin de faire intégrer le caïlcédrat dans les campagnes nationales de reboisement.

« Il est important de faire la sensibilisation dans les zones d’existence de Khaya Senegalensis. Cela doit être le devoir de la presse, des techniciens du domaine, des responsables et des autorités, cela doit être les préoccupations de tout un chacun », a-t-il dit à Mongabay.

« La lutte contre la survie de Khaya n’incombe pas seulement aux spécialistes de l’environnement. C’est plutôt une responsabilité collective », a dit à Mongabay, le Lieutenant-colonel Moussa Kanté.

Image de bannière : Les caïlcédrats formant une haie dans les rues des grandes villes de la Guinée comme ici dans la ville de Forécariah ont pratiquement disparu, en raison des pressions humaines et des effets du climat. Ces arbres constituent pourtant une biodiversité indispensable dans la séquestration du carbone et l’atténuation des effets du changement climatique dans le pays. Image de Younoussa Naby Sylla pour Mongabay.

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