Nouvelles de l'environnement

Guinée : Quand les excréments de bétail servent d’engrais dans les périmètres maraîchers

Planche de laitue au périmètre maraîcher Kosimankan. Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.

Planche de laitue au périmètre maraîcher Kosimankan. Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.

  • Pour accroître le rendement, les agriculteurs font souvent usage des engrais chimiques et pesticides. De nos jours, le constat révèle aussi l'utilisation des engrais organiques par plusieurs femmes dans les activités de maraîchage.
  • Parmi ces intrants organiques utilisées par les femmes maraîchères de la préfecture de Kankan, figurent les excréments de bœuf. Une pratique qui, au-delà de son coût jugé favorable, contribue au maintien de la biodiversité et la protection de l’écosystème.
  • Dans la région, les femmes se constituent en différents groupements pour pratiquer le maraîchage dans certains quartiers. L'activité génère des revenus aux fermiers et est aussi bénéfique pour les sols.

Sur les domaines du Centre de recherche agronomique de Bordo (CRAB), situé au nord-ouest de la commune urbaine de Kankan, en Guinée, se trouve le périmètre maraîcher Kosimankan. Depuis 2014, cet espace de 3,5 hectares, clôturé par des barbelés, est entretenu par la coopérative Kosimankan, composée de 10 hommes et de 125 femmes. Sur le site, laitues, oignons, aubergines et carottes y sont cultivés sur des plate-bandes de 1,20 mètre de largeur et de 5 à 10 mètres de longueur, espacées de 50 cm, où passent les brouettes et les tuyaux pour l’irrigation. C’est à partir de l’unique forage alimenté par des panneaux solaires que l’eau est tirée pour arroser les plants de légumes et de laitues cultivés sur 8 à 10 rangées.

De l’intérieur à l’extérieur du jardin, des petits tas d’excréments de bœuf et d’autres matières végétales, dont les sons de riz, jonchent le sol, certains déjà décomposées. Ces débris végétaux et animaux ressemblant à la terre noire, servent d’engrais pour les membres du groupement Kosimankan.

« La pratique dure maintenant 9 ans », dit leur présidente, Denkoura Camara, lors d’une réunion hebdomadaire des groupements maraîchers, qui se tient chaque mardi, dans l’enceinte du périmètre maraîcher. Avec une voix légèrement cassée, la sexagénaire revient sur la composition des matières utilisées comme engrais. « Ici, nous n’utilisons que des engrais organiques. Il s’agit d’un mélange de matières fécales issues des vaches, des chèvres et du son de riz. C’est cela notre engrais ».

Parlant du choix de ces produits comme engrais, elle met l’accent sur son importance pour la terre et le rendement des cultures. « Quand on les utilise, ça rend fertile la terre. Les produits issus de ces engrais organiques sont meilleurs et faciles à conserver que ceux qui sont issus des engrais chimiques. Aussi, après la récolte, nos salades vertes peuvent être bien conservées jusqu’à 3 jours. L’une des raisons pour lesquelles d’ailleurs nos clients nous préfèrent ».

Déchargement à bord d’un tricycle des excréments composés de la bouse de vache. Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.
Déchargement à bord d’un tricycle des excréments composés de la bouse de vache. Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.

En plein cœur de Fasso Daimain, une autre ferme maraîchère, située à Bordo non loin de Kosimankan, gombos, piments, feuilles de patates et persil frisé sont cultivés sur des buttes et des planches. Sur place, Mariama Traoré partage avec deux autres femmes un plat de riz comme déjeuner. Interpellée sur l’utilisation des engrais organiques, elle interrompt son repas et nous répond avec sourire aux lèvres. « Ce sont des bouses de vache, fientes de coq, crottes de chèvre que nous utilisons ».

C’est à l’issue d’une formation que Mariama et les membres de son groupement ont adopté les engrais organiques. « Il y a trois ans, nous avons été sollicitées par la Directrice du centre d’autonomisation des femmes de Kankan pour une formation sur les engrais organiques. Cette session de formation s’est déroulée au siège de l’ONG AGUISSA. Au bout de trois mois, nous avons appris la conservation et l’utilisation des excréments de bœuf comme engrais… Quand on utilise les engrais chimiques pour les salades vertes, il faudra consommer le même jour après la récolte. Sinon, après deux à trois jours, elles se détériorent. Mais avec les engrais organiques, ce n’est pas le cas. La salade peut résister jusqu’à trois jours. Ce qui nous permet de bien vendre. Cette activité de maraîchage nous aide beaucoup », dit la présidente du groupement Fasso Daimain, qui exhorte d’autres femmes à l’utilisation des excréments de bœuf comme engrais.

Mais comment ces excréments sont conservés et utilisés ?

Au champ maraîcher Kossimankan, tous les jours, les femmes accompagnées et soutenues par leurs enfants et petits fils, ainsi que des proches parents, viennent pour entretenir les cultures. Les différents travaux s’effectuent sans aucune machine, sous la vigilance de Mamadou Madi Camara.

Ce technicien agricole travaille et collabore avec le Centre de recherche agronomique de Bordo, afin de former et d’assister les femmes maraîchères. « Nous utilisons deux techniques ici : le compost souterrain et aérien. Avec la méthode souterraine, ce sont les fosses que nous creusons et on y met les sons de riz, la bouse de vache, les crottins de chèvre, la fiente, en quelque sorte, les débris végétaux. La longueur peut être de 2 à 3 mètres et la largeur 4 mètres. Si vous faites 3 fosses, vous allez remplir 2 et garder l’une vide. Après une à deux semaines, on retourne les éléments de la première fosse dans la troisième fosse, qui est restée vide, et on met le contenu de la deuxième fosse dans la première fosse. C’est ça qu’on appelle, le retournement ».

Planche de laitue au périmètre maraîcher Kosimankan. Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.
Planche de laitue au périmètre maraîcher Kosimankan. Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.

À la question de savoir le temps mis pour le compostage, l’ingénieur agronome explique : « Si vous prenez le temps de retourner régulièrement, vous pouvez faire 21 jours. Il y a des composts d’un à six mois. Quant à la deuxième méthode appelée compost aérien, on associe ces ingrédients. Cette fois-ci, au lieu que ça ne soit dans le sol, on les regroupe en tas sur le sol et on couvre avec un plastique noir qui va conserver la chaleur pour accélérer la décomposition. Lorsque ça fait cinq jours ou une semaine, vous enlevez avec la pelle. La partie souterraine revient à la surface et la partie superficielle descend en bas. C’est pour mélanger les ingrédients associés », dit Madi Camara, avant de révéler que les femmes du groupement sont toutes outillées sur ces deux méthodes.

En ce qui concerne l’utilisation, il précise : « On n’utilise pas, si ce n’est pas décomposé ». Selon Madi Camara, il y a trois phases qui déterminent la décomposition d’un compost : « La première phase, c’est lorsque vous ne parvenez plus à distinguer les différents ingrédients qui entrent dans la composition d’un compost. La deuxième étape, c’est la diminution ou la disparition de la température. La troisième étape se détermine par la disparition des odeurs nauséabondes qui se dégagent après le mélange des matières organiques. La coloration aussi peut changer, elle tend vers la couleur brune ou noirâtre. On prend les brouettes pour mettre les engrais et on se sert des râteaux pour éparpiller. Ensuite, on mélange avec le sol. Cette opération se fait avant le semi ».

Difficultés pour l’achat et le transport des déchets

Après l’achat, le transport des matières fécales constitue une réelle difficulté pour ces femmes qui se plaignent du manque de moyens de transport et d’argent pour la location des tricycles et des camions bennes. « Pour un voyage, les frais de transport d’un tricycle sont de 15 USD. Pour le camion benne, le transport varie entre 15 à 45 USD. Ce qui est très compliqué pour moi », dit Denkoura Camara. « Quand on achète une quantité considérable, le transport pour ici, nous cause énormément de problème. On dépense trop dans le transport de nos déchets », renchérit Kounady Traoré.

En mai 2025, Fatoumata Bérété, la trentaine, vient de commander un chargement de tricycle de déchets de bouse de vache. Le chauffeur et ses apprentis ont fini de débarquer les six sacs de 80 kg. Le travail est loin de finir pour eux, car un tas important d’excréments sur lequel les sacs étaient déposés attend dans le tricycle. Sory Traoré ayant effectué la commande pour Fatoumata tient la pelle et commence le déchargement. Avec un regard attentif tourné sur ses sacs de bouse de vache posés à même le sol et les travailleurs qui déchargent, Fatoumata se confie sur les difficultés qu’elle rencontre. « Pour ce chargement de tricycle, j’ai payé 180 USD, y compris les frais de transport. C’est auprès des chauffeurs de tricycle que nous négocions. Ce sont eux qui vont chercher ces déchets pour nous. On peut utiliser ce chargement jusqu’à 6 mois, presque durant toute la saison pluvieuse ».

Tas d’excréments de bœuf. Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.
Tas d’excréments de bœuf. Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.

Non loin du périmètre maraîcher de Kosimankan, trois autres domaines cultivables sont aménagés et exploités par des groupements féminins dont Konkomagni qui signifie « la famine n’est pas bonne », en maninka. Dans cet autre périmètre, les excréments de bœuf et crottes de chèvres sont également utilisés comme engrais.

Un engrais bénéfique pour les plantes et la biodiversité

Dans l’enceinte du bâtiment administratif du Centre de recherche agronomique de Bordo dans la commune urbaine de Kankan, Mamoudou Wodia Condé vêtu d’une chemise noire, explique l’importance de ces engrais : « En guise d’exemple avec la tomate, si vous n’utilisez que l’engrais minéral, elle va se détériorer vite avec vous après la récolte et vous allez perdre sa valeur. Elles-mêmes ont compris cela, donc mieux vaut utiliser les engrais organiques que minéraux. Les seuls moyens pour atténuer les effets du changement climatique, c’est l’utilisation des engrais organiques…Ces engrais minéraux qui sont utilisés par les paysans de façon incontrôlée, se décomposent, se lessivent et descendent vers la nappe phréatique. Ce qui peut affecter l’environnement » Il ajoute que « le pourcentage d’utilisation des engrais organiques dans les périmètres maraîchers de Kankan s’élève à 85 % ».

Selon Madi Camara, ces engrais organiques sont très avantageux pour le sol : « Ils sont hydrophiles, c’est-à-dire qu’ils absorbent beaucoup d’eau. Lorsque vous mettez un peu d’eau seulement, l’humidification est faite. Deuxièmement, ils gardent l’humidité relative. Lorsque vous utilisez un engrais organique et que vous faites l’arrosage le matin, l’humidité relative reste maintenue toute une journée par rapport à un engrais chimique qui acidifie le sol. Troisième avantage, les trois éléments principaux dont les plants ont besoin, sont représentés dans les engrais organiques, à savoir, le potassium, phosphore et l’azote ».

« Les engrais organiques sont d’une grande importance, parce qu’ils jouent un rôle primordial dans le sol. Ils apportent, les éléments nutritifs à la plante que sont l’azote, du phosphore et du potassium. En dehors de ces éléments, ils améliorent la structure du sol. Le sol devient aéré et par l’intensité de l’activité microbienne, c’est-à-dire la microfaune chargée de la décomposition de cette matière organique fait que le sol est aéré. Avec cette aération, le sol a une bonne porosité », dit Saoro Yéké, analyste et chargé des paramètres physiques du sol.

Les produits issus de l’utilisation des excréments bien accueillis par les consommateurs

Au marché Sogbè, Maimouna Kourouma vend des légumes et des laitues. En face d’elle, un récipient en plastique remplie de laitues déposé sur un tabouret. Sur le sol, des concombres sont disposés sur un sac de riz vide. Avec son enfant attaché au dos, cette vendeuse apprécie la qualité de sa marchandise : « Moi, je ne me rends pas dans les périmètres maraîchers. Mais je prends des salades auprès de celles qui vont acheter dans ces jardins maraîchers. Les salades issues de ces périmètres sont d’une bonne qualité, car c’est bio. Quand j’achète les salades, les tomates venant de là-bas, je peux bien les conserver contrairement aux produits issus des engrais minéraux qui se gâtent vite avec nous. Ce qui nous cause des pertes dans la vente ».

Mamadou Madi Camara, ingénieur agricole entrain de montrer les excréments de bœuf prêts à être utilisés (Compost). Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.
Mamadou Madi Camara, ingénieur agricole entrain de montrer les excréments de bœuf prêts à être utilisés (Compost). Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.

Bintou Diané quant à elle, fait partie de celles qui commandent directement les laitues et légumes à partir des périmètres maraîchers. C’est à Kosimankan, qu’elle fait ses achats. Malgré l’utilisation des excréments de bœuf et de chèvre comme engrais, elle ne se gêne pas d’y retourner. Pour elle, ce qui prime, c’est la qualité : « Moi, j’achète en gros. Le prix varie entre 12 USD et 35 USD. On préfère prendre là-bas, car la qualité est bonne et différente des salades issues des engrais chimiques », dit-elle, toute souriante.

Des alternatives pour encourager et pérenniser l’utilisation des engrais organiques à Kankan

Aboubacar Kaba, Directeur régional de l’agriculture et de l’élevage de Kankan rappelle que l’agro écologie est une pratique à encourager. « Pour moi, il faut aller vers le renforcement des capacités de ces personnes et leur montrer pourquoi les excréments des bœufs qui sont avec elles, peuvent leur servir d’engrais pour leurs exploitations agricoles. Le deuxième aspect qu’il faut encourager, c’est le contrôle de cet élevage en encourageant les pratiques de pâturage à travers la création des zones dédiées aux pâturages. Ces zones ne doivent pas subir de pressions anthropiques, ni de pression liée au feu. Elles vont se reposer et servir deux à trois ans après de domaine d’alimentation pour les animaux ».

« Ensuite, après 3 à 4 ans, les agriculteurs retournent sur le même sol qui sera cette fois propice à l’agriculture. Car le sol est enrichi avec les engrais organiques qui permettent d’augmenter le niveau de production et de se passer de l’engrais chimique. Il faut des décisions fortes pour ne pas causer des conflits entre agriculteurs et éleveurs. Nous sommes en train d’envisager cela avec nos partenaires à travers plusieurs projets », a-t-il dit.

Image de bannière : Planche de laitue au périmètre maraîcher Kosimankan. Photo de Mohamed Slem Camara pour Mongabay.

Kéoulen Doumbouya : « À siguiri, il peut y avoir plus de vingt sociétés qui travaillent avec un seul permis de recherche »

Quitter la version mobile